Après une élection inédite, un gouvernement tout aussi inédit. Comme il l’avait annoncé, Emmanuel Macron a constitué, avec son Premier ministre de droite, Edouard Philippe, un exécutif transpartisan et ouvert à ce qu’il est convenu d’appeler la « société civile ». Venu d’un gouvernement socialiste, le président trentenaire a nommé des personnalités de droite à plusieurs postes clés : le ministère de l’Économie et des Finances pour Bruno Le Maire, celui de l’Action et des Comptes publics (fonctionnaires, budgets de l’État et de la Sécurité sociale) pour Gérald Darmanin, celui de l’Éducation nationale pour Jean-Michel Blanquer, qui en était en quelque sorte le numéro deux pendant la seconde moitié du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Des centristes ont, eux, hérité de fonctions prestigieuses comme la Justice (François Bayrou) et les Armées (l’eurodéputée Sylvie Goulard). Quant aux socialistes, Jean-Yves Le Drian reste au gouvernement en passant de la
Défense à l’Europe et aux Affaires étrangères (le nouvel intitulé du Quai d’Orsay) et le maire de Lyon Gérard Collomb y entre enfin, à 69 ans, chargé de la sécurité des Français face au terrorisme.
L’autre nouveauté consiste dans l’entrée en force de non-professionnels de la politique, au premier rang desquels le très populaire Nicolas Hulot, sans doute la plus belle « prise » d’Emmanuel Macron, qui ne s’était guère distingué par ses accents écologistes pendant la campagne présidentielle. Une ex-DRH de Danone, Muriel Pénicaud, devient ministre du Travail. Françoise Nyssen, jusqu’alors co-directrice de la maison d’édition Actes Sud, va diriger la Culture. Et la double championne olympique d’escrime, Laura Flessel, le ministère des Sports.
Après ce casting novateur, le nouveau président a étalé toutes ses qualités de grand communicant en faisant ses premiers pas, considérés comme plutôt réussis, sur la scène internationale. D’abord au G7 de Taormina en Sicile, puis en recevant Vladimir Poutine en grande pompe dans le cadre royal du château de Versailles, enfin en répliquant sans attendre à l’annonce par Donald Trump du retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat. « Make the planet great again », a-t-il notamment lancé en anglais, paraphrasant le slogan de campagne de l’imprévisible président américain.
Pendant les mêmes journées, prévalait toutefois le sentiment que rien ne change sur la scène intérieure hexagonale. Après l’affaire Fillon, François Bayrou a présenté un projet de loi de « moralisation de la vie publique » (interdiction pour les parlementaires d’engager un conjoint ou de faire plus de trois mandats successifs notamment), mais des soupçons de favoritisme dans une affaire immobilière ont entaché l’image de Richard Ferrand, l’un des piliers du macronisme. Une enquête préliminaire a été ouverte.
Sur le plan social, alors que des pans entiers du commerce d’habillement s’écroulent (Vivarte, Mim, Tati), avec la fermeture de centaines de petits magasins dispersés dans le pays, le gouvernement à peine constitué est intervenu pour éviter de potentiels licenciements collectifs qui auraient été beaucoup plus visibles. Le nouveau patron de Bercy a ainsi obtenu des constructeurs automobiles Renault et PSA quelques commandes supplémentaires pour leur sous-traitant GM&S de la Creuse, afin d’éviter une liquidation imminente. Au même moment, il officialisait le déblocage de 35 millions d’euros au groupe verrier Arc International, présenté comme « le numéro un mondial des arts de la table », mais qui manquait de trésorerie pour payer les salaires… du mois de juin. Sachant que son immense usine regroupe quelque 5 000 salariés dans le Pas-de-
Calais, l’un des deux départements qui a voté majoritairement Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, on imagine la déflagration territoriale que constituerait sa fermeture…
C’est évidemment pour éviter toute explosion sociale avant les législatives des 11 et 18 juin que ces interventions de « l’État pompier » ont été si rondement menées. Car aussi incroyable que cela puisse paraître, Emmanuel Macron pourrait gagner son deuxième pari après l’Elysée : réunir une majorité absolue à l’Assemblée pour La République en marche (LREM).
Avec un score moyen autour de trente pour cent des voix au premier tour, deux sondages viennent de prédire au second autour de 400 députés macronistes sur 577. Ce serait un raz-de-marée, les pleins pouvoirs, une chambre « Bleu Macron », en référence à celle « Bleu horizon » qu’avait connue la France au sortir de la Première Guerre mondiale. On en oublierait presque le Front national, qui a fait figure d’épouvantail pouvant accéder au pouvoir suprême depuis un an, et ne devrait au final réunir qu’une quinzaine de députés, dont Marine Le Pen qui se présente pour la troisième fois consécutive à Hénin-Beaumont.
À gauche, d’anciens ministres socialistes font campagne sans même l’étiquette du PS sur leurs affiches, comme Marisol Touraine ou Myriam El Khomri. Cette dernière, qui a donné son nom à la si controversée loi Travail de 2016, mène un combat symbolique dans le nord de Paris contre la féministe Caroline de Haas, à l’origine de la pétition contre cette même loi qui avait réuni 1,3 million de signataires. Quant à la gauche de la gauche, le paysage est aussi confus qu’opaque : La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste, qui le soutenait pour la présidentielle, n’ont pas réussi à se mettre d’accord, si bien qu’ils présentent des candidats concurrents dans un grand nombre de circonscriptions. Simple mouvement, La France insoumise voudrait en fait se transformer en véritable parti et bénéficier du financement que procurent les victoires aux législatives. Pour cela, non seulement en siphonnant les derniers bastions du PCF, mais surtout en « remplaçant », selon le mot de Jean-Luc Mélenchon, un PS en plein doute. De l’issue du duel de ce dernier à Marseille contre une figure socialiste locale, Patrick Mennucci, dépendra sans doute la réussite ou non de cette entreprise.
Mais pour revenir au cœur du pouvoir, c’est en fait surtout à droite qu’Emmanuel Macron a cherché au cours du mois de mai à s’attirer des voix, pour obtenir cette majorité absolue qui lui permettrait de faire passer ses réformes, en particulier la loi d’habilitation permettant ensuite d’adopter – via la procédure accélérée des ordonnances – de nouveaux assouplissements du code du travail, comme la possibilité de baisser les salaires en dérogeant aux accords de branche.
Cette réforme paraît en effet centrale pour lui, tant il a procédé à son sujet avec méthode. Pendant de longs mois, il s’est bien gardé d’en faire état. Le 25 novembre 2016 dans Le Monde, pour mieux se démarquer de Manuel Valls, il déclarait : « Je ne crois pas une seconde aux cent jours et à la réforme par ordonnances. Regardez ce qui vient de se passer quand on réforme en passant par le 49.3, qui est pourtant un article constitutionnel : les gens le prennent très mal ». Ce n’est qu’après avoir consolidé son statut dans les sondages que le 9 avril, à seulement deux semaines du premier tour de la présidentielle, il propose une réforme du code du travail dès l’été et par ordonnances.
Et rebelotte à peine entré en fonction : il reçoit tous les syndicats, qui se disent plutôt rassurés, surtout Force ouvrière (FO) mais aussi la CGT, quant au calendrier et au fond de la réforme. Mais nouvelle douche froide le lundi de Pentecôte, en plein week-end prolongé des Français. Le Parisien dévoile un avant-projet qui va beaucoup plus loin que prévu. Pourraient être renvoyés à la négociation au niveau des entreprises, et non des branches, non seulement le salaire, la santé ou la sécurité… mais également le contrat de travail. C’est-à-dire les conditions de recours au CDI et au CDD, et leurs modalités de rupture. Une réforme audacieuse pour les uns, explosive pour les autres. Peut-être une méthode de négociation plaçant la barre très haut, pour obtenir au moins ce que le nouveau président veut. Méthodique, Emmanuel Macron engrange. Jusqu’à quand ?