Élections municipales en France

Une claque pour la gauche

d'Lëtzebuerger Land vom 04.04.2014

Avec 151 villes de plus de 10 000 habitants qui ont basculé à droite, la gauche n’avait pas connu telle débâcle depuis 1983. Elle perd aussi plusieurs métropoles de plus de 100 000 habitants, comme Reims, Saint-Étienne, Angers, Caen, Tours ou Amiens. Toulouse, cinquième ville par sa population, est la plus grande à changer de camp. L’Ile-de-France voit aussi déferler cette vague bleue : plus de trente villes passent de gauche à droite.

La perte de deux bastions vient retourner le couteau dans la plaie : Limoge, dirigée par le Parti socialiste depuis 1912 quasiment sans interruption et Bobigny, communiste depuis 1920, basculent à droite. Maigre consolation, la gauche récupère Avignon, Lourdes, Douais et Verdun.

En Moselle, Metz reste à gauche à 770 voix près, mais Thionville passe à droite pour 77 bulletins. Les grandes villes de Paris, Lyon, Strasbourg, Lille et Rennes demeurent dans le giron de la gauche. Pour la première fois, la capitale va être dirigée par une femme : la socialiste Anne Hidalgo, 54 ans, a été choisie face à Nathalie Kosciusko-Morizet (UMP). Parmi les 41 villes de plus de 100 000 habitants, cinq maires sur six restent toutefois des hommes.

« Cette défaite dit l’ampleur du rejet de François Hollande », analyse Jean-Yves Dormagen, professeur de sciences politiques à l’université de Montpellier, interrogé par Libération. Le parti socialiste paye dans ce scrutin local l’impopularité du Président et reçoit là un avertissement des Français. La gauche pâtit aussi de ses règlements de comptes internes entre les deux tours. À droite, les politiques crient victoire et demandent un changement de cap. Pour l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, les résultats « expriment la déception, le désenchantement. Les Français demandent un changement ».

Avec plus de 98 000 conseillers sur les 212 974 élus aux élections municipales et un gain net de 142 villes, la vague bleue est aussi incontestable qu’inespérée. À Marseille, Jean-Claude Gaudin (UMP) s’offre un quatrième mandat consécutif avec une majorité très confortable (six mairies sur huit possibles). Les écologistes se réjouissent d’une belle prise : alliés au Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon et aidés par les dissensions au sein de la gauche, ils se sont emparés de Grenoble.

Les 36 pour cent d’abstention ont surtout affecté la gauche, donc beaucoup d’électeurs, découragés, ne se sont pas déplacés. Conséquence mathématique, la gauche risque de perdre plusieurs dizaines d’intercommunalités – dont celle de la future Métropole du Grand Paris, ainsi que sa courte majorité au Sénat. Les prochaines élections – européennes en mai, sénatoriales à l’automne et régionales en 2015 – s’annoncent périlleuses pour la majorité.

Avec dix mairies, le Front national affiche un score historique, bien au-delà de son record de 1995 qui était de trois mairies. Le parti de Marine Le Pen s’est même imposé dès le premier tour à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), sa ville laboratoire, avec l’élection de Steeve Briois, son secrétaire général. Autre victoire importante à Hayange (Moselle) où Fabien Engelmann, ancien de la CGT passé au Front national, devance largement ses adversaires.

À ces villes de petite et moyenne taille viennent s’ajouter trois mairies du Vaucluse emportées par la Ligue du Sud (parti d’extrême droite d’un ancien FN) et une mairie d’arrondissement à Marseille, qui représente 150 000 administrés. Ces conquêtes cachent toutefois trois échecs importants : Florian Philippot rate son parachutage à Forbach (Moselle), Louis Alliot (numéro deux du FN) s’incline à Perpignan (Pyrénées-Orientales) après être arrivé en tête au premier tour et Gilbert Collard est battu à Saint Gilles (Gard), première commune de France à avoir été dirigée par un maire FN en 1989.

Marine Le Pen confirme son implantation locale et réussit son pari de faire élire plus de mille conseillers municipaux. Un résultat à peu près identique à celui des élections municipales de 1995, où le FN avait obtenu 1 250 élus, sur les 520 000 que compte la France. Les analystes relativisent l’idée d’une déferlante de l’extrême-droite. « Ces victoires sont la moindre des choses pour un parti qui réalise régulièrement entre quinze et vingt pour cent lors des élections nationales. Le FN retrouve tout simplement son niveau des années 90 », constate Jean-Yves Dormagen. La présidente du FN voit « une sanction massive pour le pouvoir en place », mais aussi « l’adhésion à une autre manière de faire de la politique ».

Dès lundi, François Hollande a pris les décisions qu’imposait cette défaite. Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a été chargé de former un nouveau gouvernement, en remplacement de Jean-Marc Ayrault. « Un gouvernement de combat », avec trois missions : relancer l’économie, garantir la justice sociale et créer le rassemblement. Partisan de la fermeté (sur l’immigration et la sécurité notamment), Manuel Valls est un apprécié des Français depuis deux ans, mais il divise dans son propre camp, où il incarne l’aile droite du parti. Au point que les ministres écologistes Cécile Duflot et Pascal Canfin ont aussitôt annoncé leur départ du gouvernement. Un retrait qui conclut deux années de couacs ministériels au sein d’une majorité à l’équilibre parfois précaire entre socialistes et écologistes. D’après leur communiqué de presse, la nomination de Manuel Valls à Matignon n’est « pas la réponse adéquate aux problèmes des Français ». Le nouveau gouvernement est paritaire et resserré à seize ministres, dont deux nouveaux : Ségolène Royal à l’Écologie et François Rebsamen à l’Emploi. Le choix de Manuel Valls comme Premier ministre déplace la jauge du gouvernement vers la droite. Logique, après une élection où les Français ont nettement voté à droite, mais risqué pour François Hollande qui a été élu en 2012 sur des propositions plus à gauche.

Marianne Rigaux
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