Ticker du 17 novembre 2023

d'Lëtzebuerger Land du 17.11.2023

En marche

Au congrès du CSV mercredi soir avenue Marie-Thérèse, Gilles Roth ne voulait pas s’exprimer sur les dossiers qu’il allait traiter en priorité la semaine prochaine dans ses nouvelles fonctions de ministre des Finances. Il sait qu’il y a « du pain sur la planche ». « Beaucoup », même. Face au Land, se borne à une synthèse de l’action qu’il mènera sous la conduite de Luc Frieden qui, par deux fois, a répété ce jeudi qu’il s’y connaissait en matière de finances publiques. Gilles Roth veut parvenir à un « équilibre » subtil : « Donner plus de pouvoir d’achat aux gens dans le cadre d’une politique anti-cyclique. Il faudra, bien entendu, renforcer l’attractivité de la place financière et la compétitivité des entreprises en général, le tout en essayant d’assurer la soutenabilité des finances publiques à moyen et long terme ». Un pitch-ascenseur léché.

Gilles Roth, 56 ans, bénéficie d’une expérience politique solide. Car, avant d’accéder à la rue de la Congrégation, il était un homme politique pressé. Benjamin des bourgmestres en 2000 (à Mamer), benjamin des députés en 2007. Le Wort l’avait baptisé « der talentierte Neuling ». Gilles Roth a vite gravi les échelons avant de se cogner au plafond. De Jean-Claude Juncker, d’abord, qui ne l’a pas pris à bord du gouvernement en 2009. De l’opposition ensuite. Dix années à la Chambre où il a veillé aux questions financières avec son binôme de QP Laurent Mosar. Ce qui lui a par ailleurs laissé du temps pour veiller sur sa commune.

Le voilà de retour à la Jofferegässel. Sa connaissance de la maison, que le juriste (et avocat) avait abandonnée en tant que premier conseiller de gouvernement, lui permettra de gagner du temps sur les dossiers urgents. À commencer par le budget 2024. Un premier moment clé dans la flèche du temps gouvernemental de Luc Frieden. Le candidat Frieden a promis une baisse d’impôts pour tous et un déficit contrôlé. Le formateur Frieden a annoncé ce jeudi qu’il n’y aura pas de Spuerprogramm. Il a aussi informé que le gouvernement procèdera à une adaptation du barème fiscal équivalant à quatre tranches indiciaires en 2024, et non pas 2,5 comme le prévoyait la coalition sortante après la tripartite du mois de mars. Financer la Kaafkraft devrait coûter bonbon à la communauté. Des recettes liées à davantage de consommation, d’investissement ou d’emploi, sont espérées concomitamment pour renflouer les caisses publiques. « C’est la trajectoire du déficit public qui est importante », a expliqué Luc Frieden jeudi avec le maintien du AAA en ligne de mire.

Les dossiers européens sur le bureau du nouveau ministre des Finances auront aussi leur importance, notamment pour ce qui concerne la compétitivité du centre financier. Petit atout pour Gilles Roth encore : il a officié à la représentation permanente à Bruxelles. Last but not least. Il faudra aussi choisir qui occupera la direction de l’Administration des contributions directes où se dessine un vaste chantier. Sans parler de la conjoncture économique morose (voir plus bas). pso

Licence to handle

Les 1 200 salariés de LuxairCargo concernés par la reprise de ses activités, très probablement par une filiale de Cargolux créée pour l’occasion, sont inquiets. Ils l’ont fait savoir lundi par l’intermédiaire des syndicats. Il est question d’un sentiment « d’abandon ». Luxair n’a pas postulé à l’appel d’offres ouvert par Lux-Airport pour octroyer deux licences de ground handling cargo.

Une filiale de Cargolux, Luxcargo Handling, s’est alignée dans une logique dictée depuis le ministère des Transports. Le transfert devrait intervenir entre mars et juillet 2024. Tous les salariés de Luxair Cargo sont concernés. Les conventions collectives de travail de Luxair arrivent à échéance au 31 décembre, mais sont reconduites, avait tenté de rassurer le patron de Luxair, Gilles Feith, dans un courrier aux salariés qui s’inquiétaient déjà. Ils avaient même monté un piquet de protestation au Findel pour le signaler. Dans cette communication envoyée le 12 octobre, il est encore écrit que la procédure de soumission devait arriver à échéance le 31 octobre.

Mais depuis, plus de nouvelles. Et le ministère de tutelle change de mains cette semaine. D’où l’émoi des salariés. « Après 27 ans de loyaux services auprès de LuxairCargo, le transfert de l’activité et du personnel à la fin du processus de soumission vers une nouvelle société soulève des questions fondamentales », écrivent LCGB, OGBL et NGL, demandant la garantie de l’emploi, une convention collective copiée-collée sur celle de Luxair ou la reconnaissance du travail accompli ces dernières années.

Sollicités par le Land, les services de François Bausch répondent ne pouvoir s’exprimer car « la procédure est toujours en cours » au niveau de LuxAirport, l’instance qui a soumis les appels d’offres. Un marché a aussi été ouvert pour octroyer deux licences d’assistance en escale, où Luxair s’est aligné, mais dont les résultats ne seront rendus qu’en janvier. « Le ministre s’efforcera de préparer ce dossier de la meilleure manière possible, afin de permettre au nouveau ministre de prendre toute décision », poursuit-on au Héichhaus. L’on verra dans les prochains mois si la libérale Yuriko Backes entend piloter de la même manière les intérêts nationaux au Findel. Selon une source, Luxcargo Handling et Goldair Handling, un groupe grec de logistique, ont satisfait aux critères. Ils sont donc dans l’attente de l’obtention de la licence par la ministre. pso

Récession

Nous y voilà. La Commission européenne a publié mercredi ses perspectives économiques d’automne. Et, comme la météo de saison, elles se révèlent bien maussades avec un recul du PIB de 0,6 pour cent en 2023, synonyme de récession. Selon Bruxelles, cette mauvaise performance tient à des conditions de financement restrictives et à des exports moindres. Ce qui choque surtout, c’est que le Luxembourg figure parmi les dix pays européens à avoir une croissance du PIB négative cette année. L’Irlande aussi voit sa production de richesses reculer, mais les prévisions pour 2024 et 2025 sont plus optimistes pour le concurrent irlandais : 3 et 3,4 pour cent de croissance contre 1,4 et 2 pour cent au Grand-Duché (deux pays à la comptabilité nationale aliénée par les transferts financiers opérés par les groupes internationaux qui y domicilient). Pour rester optimistes, il faut se rendre sur le site du Statec, qui prévoit (toujours) 1,5 pour cent de croissance en 2023 et 2,5 en 2024. Mais cette semaine, la fondation Idea a quelque peu fustigé ces prévisions : « Pour atteindre une croissance de 1,5 pour cent en 2023, le PIB au deuxième semestre 2023 devrait croître de 5,3 pour cent par rapport au 1er semestre 2023. » En réalité, la présentation offerte par le directeur du Statec, Serge Allegrezza, au formateur annonce une contraction du PIB pour 2023 de l’ordre de un pour cent. Elle devrait être confirmée dans la prochaine note de conjoncture. pso

Vol direct vers la Chine

Une première. Selon le média Aeroroutes, la compagnie China Southern opérera à partir du 21 décembre la première ligne reliant directement Luxembourg à la Chine, et plus exactement Zhengzhou, capitale de la province du Henan à l’Est de l’Empire du Milieu, ville industrielle et hub logistique (notamment de Cargolux en Chine). Un vol par semaine sera opéré. Les prix des premiers aller-retour en Airbus A350 coûtent 930 euros (classe Eco). Le vol dure onze heures.

« La compagnie China Southern Airlines a été formellement désignée par les autorités aéronautiques chinoises pour effectuer des vols passagers commerciaux entre la République populaire de Chine et le Grand-Duché de Luxembourg dans le cadre de l’accord bilatéral », informe la Direction civile de l’aviation. Des échanges sont en cours pour formaliser les droits de trafic. pso

From Russia with love

Le Land s’était étonné du chiffre d’affaires mirobolant de Beta Aquarii, start-up du conseil en affaires de l’ancien vice-Premier ministre, Etienne Schneider (LSAP): six millions d’euros en 2022. Un réel tour de force pour un deuxième exercice financier et seulement trois salariés. Dans le cadre d’une collaboration avec le consortium international de journalistes ICIJ, Reporter a retracé ce mercredi l’origine d’une partie de cette manne : une mission confiée par deux oligarques russes (qui ont des intérêts au Luxembourg via une holding de leur groupe Evraz) au lendemain de l’invasion de l’Ukraine. Avec un versement de 2,5 millions d’euros « upfront » et la même chose en cas de succès. Le contrat consulté par Reporter est d’une simplicité douteuse selon des experts consultés et la mission, un mystère. Ce document a en outre été signé en avril, alors qu’Etienne Schneider venait tout juste d’abandonner son mandat auprès du conglomérat russe Sistema après l’agression décidée par Vladimir Poutine et l’émotion publique suscitée par une telle association. Etienne Schneider précise auprès du média en ligne qu’il n’a pas récolté les 2,5 millions d’euros promis en avril 2023 en cas d’accomplissement de ladite « mission ». Les deux oligarques en question sont sanctionnés au Royaume-Uni, mais pas en Union européenne. pso

Benu arrête son char

Benu Village était menacé d’insolvabilité depuis septembre dernier. Ce mercredi, le conseil d’administration de l’association sans but lucratif a annoncé lancer une procédure de demande de liquidation. Une situation dénoncée par l’OGBL qui fustige « une gestion misérable et une indifférence inacceptable de la part des responsables politiques ». Cet éco-quartier installé entre la Grenz et le Brill à la lisière d’Esch-sur-Alzette, inauguré en 2019, devait être un modèle de durabilité et d’inclusion. Ce projet pilote, conventionné avec la Ville d’Esch et le ministère de l’Environnement (2017-2019), a attiré les regards de la presse, reçu des éloges et des récompenses, accueilli des visites officielles. Recyclage, réutilisation et valorisation de matériaux destinés au rebut, ateliers pour redonner vie à de vieux meubles et pour transformer vêtements et textiles usagés, puis restaurant écologique, Benu a grandi passant de trois à plus de quarante salariés. Une dette d’un million d’euros s’est accumulée rapidement, les coûts des projets et les frais de fonctionnement ayant augmenté, plus vite que le chiffre d’affaires, resté, lui, constant. Il y a encore un mois, Georges Kieffer, le fondateur et directeur de l’asbl espérait une « convention de transition » qui lui permettrait de sortir du rouge.

Face aux demandes de soutien financier et laissant entrevoir une nouvelle convention, le ministère de l’Environnement a mandaté mi-octobre un expert indépendant pour analyser la situation de Benu Village. Le rapport rendu cette semaine est sans appel. Il pointe l’absence de stratégie qui permettrait la continuité des activités. Il constate une croissance importante des charges « disproportionnée par rapport aux fonds disponibles à moyen et long terme » et calcule que deux millions d’euros annuels seraient nécessaires pour réaliser les activités courantes avec l’équipe actuelle. La lettre conjointe du ministère et de la Ville d’Esch révèle une « gestion financière peu prévoyante » et une « politique irresponsable en matière d’embauche de personnel ». Le texte conclut : « une nouvelle subvention publique ne permettrait ni de résoudre les problèmes de gestion de trésorerie de Benu Village, ni de réduire la dépendance par rapport aux subventions publiques de l’ASBL, à moyen, voire long terme ».

La trésorerie ne permet pas de payer les salaires au-delà du 15 novembre. La liquidation est en marche. L’inquiétude est grande chez les salariés qui ont reçu ce jeudi un courrier (que le Land a pu lire) les informant que « le comité a décidé jusqu’à contre ordre de libérer tous les employés de l’asbl d’exercer leur travail ». La missive poursuit : « Néanmoins les contrats de travail des employés du Benu ne seront pas résiliés. Ce sera au liquidateur nommé par le juge de décider de la suite des contrats de travail et de l’avenir à donner à l’asbl.» Dans une réponse à une question parlementaire de Marc Goergen (Piraten) la ministre de l’Environnement, Joëlle Welfring (Déi Gréng), précise : « Il ne peut être garanti que d’autres initiatives prendront la relève de ces salariés ». Les derniers embauchés pour le restaurant en particulier craignent pour leur avenir. « Une demie-douzaine de personnes sont là depuis moins de six mois et risquent de ne pas toucher le chômage », relate Valérie Marx, employée depuis près de deux ans, jointe ce jeudi matin, en pleine réunion avec ses collègues. Elle regrette une « totale opacité » de la part de la direction et un manque d’écoute du Conseil d’administration, « des amis de Georges Kieffer ». Le personnel reste convaincu de l’intérêt du projet. Il planche sur une reprise, et travaille à un business plan. « Les investissements les plus importants ont été réalisés. On veut continuer et renouer le contact avec la Ville d’Esch », s’enthousiasme l’employée. En attendant, à l’heure où nous bouclons le journal, les profils de Georges Kieffer et de Benu Village ont disparu des réseaux sociaux. fc

Pierre Sorlut, Bernard Thomas
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