La pilule est passée. En apparence en tout cas. La communauté bancaire s’est bien gardée lundi de brocarder le ministre du Trésor et du Budget Luc Frieden, venu s’expliquer, dans un grand hôtel de la capitale, sans caméra ni micros, sur la décision du gouvernement, prise trois jours plus tôt, de se conformer aux standards de l’OCDE sur l’échange d’informations sur demande « dans des cas spécifiques et sur base de preuves concrètes », tout en maintenant le secret bancaire, « qui n’est pas incompatible, selon Luc Frieden, avec les règles de l’OCDE ». Des règles qui devraient devenir le standard commun des Européens. C’est une exigence des Luxembourgeois avant de commencer à rediscuter avec ses partenaires les conventions de non-double imposition sur les nouvelles bases. Les autorités ont également l’intention de se faire entendre sur la réforme de la directive sur la fiscalité de l’épargne, notamment sur la question des taux et de leur caractère actuellement non-libératoire.
Une heure d’exercice de questions/réponses à l’issu duquel le ministre CSV a rappelé la détermination du Luxembourg au maintien du secret bancaire, en dépit de l’adversité que cette particularité suscite dans l’Union européenne. Intervention marathon efficace, selon l’un des participants à cette réunion. Le plus dur sera sans doute à venir. Après le G20, auxquels ni le Luxembourg, ni la Suisse, ni l’Autriche n’appartiennent, les partisans du secret bancaire devront encore aller convaincre leurs amis américains pour éviter de se retrouver sur une liste des paradis fiscaux. Luc Frieden avait annoncé la semaine dernière à la Chambre des députés qu’il avait demandé à rencontrer les autorités américaines.
Comme il l’avait déjà assuré vendredi le ministre du Trésor et du Budget, en marge du conseil de gouvernement, l’échange d’information sur demande et de manière très encadrée ne veut pas dire échange d’informations automatique. Un communiqué du 13 mars de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) relevait à ce sujet qu’ « à l’encontre de l’échange d’informations automatique, l’entraide administrative reste soumise à des conditions claires et strictes ». « Le secret professionnel, ajoute le communiqué, reste intact et les clients étrangers au Luxembourg restent à l’abri d’aléatoires ‘fishing expeditions’ fiscales ».
« Il n’y a pas grand chose qui change par rapport à la situation actuelle », ose un professionnel qui ne s’inquiète pas outre mesure des retombées immédiates de la décision annoncée vendredi. Il se montre toutefois plus réservé pour la suite des évènements, notamment du caractère « soutenable » à long terme de la position du Luxembourg et de son allié autrichien, les derniers membres de l’UE à maintenir le principe du secret bancaire sous l’angle de la protection de la vie privée. La renégociation de la directive sur la fiscalité de l’épargne s’annonce épicée. La perspective des élections au Parlement européen au mois de juin prochain, avec dans ce sillage, la mise en place d’une nouvelle Commission européenne, pourrait donner un peu de répit aux dirigeants luxembourgeois. Le temps pour eux de s’occuper de leur propre réélection au niveau national avec des citoyens qui sont davantage préoccupés par le maintien de leur pouvoir d’achat et de leur emploi que par les questions liées au secret bancaire. Le problème étant de savoir si sans ce dernier, qui draine d’énormes flux financiers au grand-duché et de recettes dans les caisses de l’État, la prospérité pourra être conservée telle quelle.
Lors du mini-sommet avec la Suisse et l’Autriche dimanche dernier au Château de Senningen pour affûter en commun la défense du secret bancaire, Luc Frieden avait demandé à l’Union européenne de prendre ses responsabilités au lieu de faire sous-traiter les questions de fiscalité par des organisations internationales comme l’OCDE et le G20. Il s’était également montré très ferme sur les intentions du gouvernement luxembourgeois de ne pas transiger sur l’échange d’informations en matière fiscale : pas question de troquer, avait-il souligné, la retenue à la source contre un passage à l’échange automatique d’informations, comme le souhaiteraient quelques États membres les plus rétifs au secret bancaire. D’autant plus que le rapport intermédiaire établi par la Commission européenne l’année dernière a démontré que le seul système qui fonctionne à peu près efficacement est celui de la retenue à la source sur les revenus de l’épargne des non résidents, actuellement de vingt pour cent, et si la directive est appliquée sans modification, de 35 pour cent d’ici à 2011.
Lundi, les banquiers avaient surtout envie d’entendre Luc Frieden les rassurer sur l’interprétation de la directive de 2003 sur la fiscalité de l’épargne que la Commission européenne, sous l’aiguillon d’États membres comme l’Allemagne et la France, entend remettre sur le métier le plus rapidement possible. Une réforme qui pourrait d’ailleurs se transformer en opportunité commerciale pour le Luxembourg, c’est du moins le message rasssurant que la communauté financière veut faire passer dans l’opinion publique. Encore faudra-t-il que les dirigeants politiques conservent le cap et leur bonne foi affichée de se conformer à l’évolution de l’environnement réglementaire international. Sans arrières-pensées. Ce ne fut pas toujours le cas. Une stratégie semble en tout cas bel et bien avoir été définie, comme ce fut le cas à la fin des années 1990. Sauf qu’à cette époque, les capitaines luxembourgeois ont modifié leur plan de route à plusieurs reprises, au point de ne plus savoir quelle était leur destination finale.
Car pourquoi avoir fait la promesse, en 1997 par exemple, dans le cadre des discussions sur les bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises, de ne rien entreprendre qui se révélerait « dommageable », mais avoir mis en place au niveau national des instruments législatifs participant au jeu du mieux disant fiscal pourtant décrié ? On a supprimé les sociétés holding relevant de la loi de 1929, mais dans le même temps, et avec la bénédiction du Conseil d’État, qui a suggéré lui- même de prendre en compte le nouvel outil de gestion patrimoniale dans certaines conventions de non-double imposition (et donc en porte-à-faux avec les fameux standards préconisés par l’OCDE), on a inventé la société de gestion de patrimoine familial. Une structure qui a permis à des familles très riches, peu disposées à faire l’étalage du nombre de zéros qu’il y a sur leurs comptes en banque, de restructurer leur patrimoine à l’abri des regards.
C’est dans ce contexte un peu particulier que la communauté financière attendait des signaux rassurants de la part du gouvernement. Elle les a obtenus lundi. Luc Frieden a été très clair sur les intentions du gouvernement luxembourgeois : il n’est pas question de mettre fin à la « période de transition » prévue par la directive de 2003 sur la fiscalité de l’épargne au niveau européen qui ferait basculer tous les États membres de l’UE, y compris l’Autriche et le Luxembourg, à l’échange d’information automatique, ce qui, de fait, signifierait la mort du secret professionnel. Selon les points de vue, la directive (article 10) prévoit cette étape si les États tiers comme la Suisse, le Liechtenstein, Monaco, Andorre ou Saint-Marin se conforment au principe de l’échange de renseignement sur le modèle de l’OCDE. Ils s’y sont désormais engagés (les intentions de Saint-Marin ne sont pas encore définies). Luc Frieden a toutefois affirmé que le Luxembourg et l’Autriche s’opposeront à l’application de l’article 10, sujet d’ailleurs à de multiples interprétations. Car, la directive de 2003 requiert un constat unanime des 27 avant un passage à l’échange automatique d’informations. Le paysage est donc encombré d’incertitudes. Même au Royaume Uni où le G20 va se tenir en avril prochain, nul ne connaît encore les véritables intentions des autorités à l’égard des Îles anglo-normandes, qui peuvent sans mal être classées parmi les « paradis fiscaux ». Vu du Luxembourg, les déclarations de bonne foi des Britanniques relèvent de la « farce ».
Il y a donc un peu de marge de manœuvre pour les derniers tenants du secret bancaire pour négocier une nouvelle vie de la place financière luxembourgeoise.