Il disait d’elle « Aïda, c’est ma mémoire », elle l’appela « apaïguess », « petit frère » en arménien. En 1986, alors sexagénaire, Aïda Aznavour-Garvarentz publia Petit frère, le récit de sa vie et de celle de son frère cadet (de seize mois) Shahnourh Aznavourian, enfants d’immigrés arméniens ayant fui le génocide en Turquie. Elle raconte comment ils se sont reconstruits en France, intégrés via la langue. Tous les deux ont grandi comme des jumeaux, enfants de la balle, faisant l’école buissonière dans les cinémas du cinquième arrondissement de Paris et dans le restaurant de leur grand-père paternel, jadis cuisinier du tsar, où se retrouva la diaspora russe et arménienne. Dans son adaptation du livre pour la scène, la compagnie française La Ronde de Nuit autour de Laure Roldàn (qui incarne Aïda) recrée avec quelques effets tout simples une belle ambiance chavirant entre l’enthousiasme de la vie parisienne et la douleur que fut la déchirure de l’exil et d’une famille décimée par les génocides de 1915 et 1923. « Je suis la mémoire de la famille », répète Aïda encore et encore. « Il fallait tout reconstruire par fragments », se souvient-elle.
Puis vient la music-hall, les premiers pas sur scène de Charles, la Deuxième Guerre mondiale, la rencontre avec Edith Piaf… Et le spectacle se perd alors dans ce grand récit du
XXe siècle que fut la vie d’Aznavour, mort en 2018 à l’âge de 94 ans. Une histoire dont la complexité, visiblement, dépasse l’équipe. Laure Roldàn, qu’on connaît charmante en jeune ingénue (elle l’est à nouveau en Aïda jeune), ne convainc pas dans le rôle d’une sexagénaire (une perruque grise ne suffit pas pour faire âgée) et agace en voulant mimer une Piaf clownesque. Son partenaire de scène Grégoire Tachnakian par contre est très juste en Charles Aznavour, qui se dépeint comme un homme banal ayant su tranformer cette banalité en force. Un des artistes français les plus connus au monde, qui se décrit pourtant comme « tâcheron » de l’écriture plutôt que poète (il aura quand même écrit plus de 1 400 chansons). Le récit biographique est beau lorsqu’il est sobre et tout en retenue, mais s’éparpille lorsque, dans la deuxième moitié, il tente de reproduire le parcours artistique de l’artiste.