Chroniques de l’urgence

Quand le FMI évoque le risque d’extinction

d'Lëtzebuerger Land du 18.10.2019

Le Fonds monétaire international est plus connu pour les plans d’austérité dont il assortit l’octroi de ses prêts que pour des cris de Cassandre sur la crise climatique. Pourtant, cette forteresse de l’ordre économique mondial a ouvertement évoqué, dans un document de travail publié en septembre, le risque d’extinction de l’humanité.

Certes, ce document ne reflète pas, ou du moins pas encore, la position officielle du Fonds. Et son intitulé « Politiques macro-économiques et financières pour l’atténuation du changement climatique », précise prudemment qu’il s’agit d’une « revue de la littérature ». N’empêche, l’irruption d’un tel langage au sein de cette institution est parlante.

Signe Krogstrup, gouverneure adjointe de la banque centrale danoise, et William Oman, du FMI, concluent que pour s’attaquer au changement climatique, « un des plus grands défis de ce siècle », la fiscalité doit jouer un rôle central, mais conseillent de ne pas négliger des instruments de politique financière et monétaire. Là s’arrêtent leurs certitudes : pour le reste, ils recensent « les questions sans réponse » et « le peu de publications » quant aux combinaisons de politiques les plus efficaces et au rôle des outils et objectifs d’atténuation lorsqu’il s’agit d’évoluer vers une « économie bas-carbone ».

Krogstrup et Oman reconnaissent qu’une « série d’échecs des marchés et de la gouvernance empêchent la transition d’avoir lieu par le biais des marchés », citant notamment les comportements de franc-tireur, le court-termisme et une « information imparfaite » sur les marchés de capitaux. En même temps, ils constatent qu’il y a « un accord de plus en plus fort entre économistes et scientifiques sur le fait que les risques extrêmes sont matériels et que le risque de désastre catastrophique et irréversible est croissant, comportant des coûts potentiellement infinis si le changement climatique n’est pas atténué, y compris, en risque ultime, l’extinction humaine ».

Le FMI a contribué de manière non négligeable à empêcher toute action climatique sérieuse au nom de la doxa libérale, en façonnant sans égards les politiques menées par ses créanciers. Qu’il se prépare à reconnaître l’échec de sa propre politique en y accolant ce constat désespérant sur les perspectives de l’humanité ne consolera ni ne rassurera aucune des victimes de ces politiques.

La direction de l’institution a entamé son aggiornamento, mais il reste timide. Son directeur par intérim, David Lipton, a évoqué devant l’Assemblée générale de l’Onu, le 26 septembre, le « risque existentiel » posé par le changement climatique. Si, au moment de commenter sa nomination, sa nouvelle directrice générale, Kristalina Georgieva, a mentionné la menace, elle s’est contentée de l’insérer comme un problème de plus, sur le mode « liste de courses », dans un discours parfaitement technocratique. L’orthodoxie a la vie dure.

Jean Lasar
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