Chroniques de l’urgence

Façades vertes, comptes anthracite

d'Lëtzebuerger Land vom 04.03.2022

Côté rue, le monde de la finance assure avoir pris ses responsabilités face à la crise climatique, multipliant les promesses qu’il va se désengager rapidement des énergies fossiles. Côté cour, même en ne prenant en compte que la plus polluante d’entre elles, le charbon, c’est le contraire qui se passe : l’argent continue de couler à flot, y compris pour des projets nouveaux. C’est ce qui ressort d’un rapport publié en février par Urgewald, Reclaim Finance, 350.org Japan and 25 autres ONG partenaires de la version 2021 de la « Global Coal Exit List ».

L’étude repose sur un patient épluchage et recoupement de données publiées par les entreprises concernées elles-mêmes. Le constat est atterrant : loin de prendre le chemin de la sortie, les grandes banques internationales poursuivent leur soutien massif au charbon, y compris en s’engageant à financer de nouvelles mines et centrales. Au total, entre janvier 2019 et novembre 2021, elles ont versé 1 500 milliards de dollars au millier d’entreprises de l’industrie charbonnière reprises dans cette liste sous forme d’émission d’actions et d’obligations. En même temps, elles restent fortement exposées au secteur, avec un montant total d’investissements de 1 200 milliards de dollars.

L’étude fait voler en éclat le mythe selon lequel l’expansion du charbon serait le seul fait de pays non industrialisés. Cette activité financière provient à 80 pour cent d’établissement financiers situés dans six pays : les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Inde, le Canada et le Royaume-Uni. Si 376 banques commerciales ont accordé pour 363 milliards de dollars de prêts à l’industrie charbonnière durant cette période, il y en a douze qui ont à elles seules représenté 48 pour cent de ce montant, une liste emmenée par trois banques japonaises (Mizuho Financial, Mitsubishi UFJ Financial et SMBC Group), la britannique Barclays et l’américaine Citigroup. Dix des douze premiers créanciers de cette industrie sont membres de la « Net Zero Banking Alliance ». En France, la « banque verte » Crédit agricole est épinglée pour plusieurs transactions avec les groupes Glencore et Marubeni.

Les ONG décochent aussi une flèche en direction des gestionnaires de fonds Blackrock et Vanguard, tous deux membres de la « Net Zero Asset Managers Initiative » qui regroupe 220 investisseurs gérant 57,4 milliers de milliards de dollars. « Ces deux institutions ont davantage de responsabilité dans l’accélération du changement climatique que n’importe quel autre investisseur institutionnel dans le monde », résume Yann Louvel, de Reclaim Finance.

Le constat est clair. Loin d’agir de manière vertueuse, loin de se contenter d’accompagner leurs clients existants en prévision de l’indispensable cessation progressive de leurs activités, les grandes banques poursuivent le financement de projets de nouvelles infrastructures pour extraire, traiter et transporter du charbon. Pour rester en-deçà de 1,5 degré de réchauffement, mieux vaut ne pas les croire sur parole lorsqu’elles affirment vouloir s’autoréguler pour répondre au défi climatique.

Jean Lasar
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