Point de trêve des confiseurs pour nos amis français qui, bien après les agapes de faim d’année, continuent de faire une indigestion de bananes et autres quenelles d’appellation d’origine plutôt douteuses.
Dois-je l’avouer ? Il y a quelques années, je me suis farci le spectacle de l’« humoriste » Dieudonné, prenant exemple sur feu le cardinal Daniélou qui lui aussi, par devoir, était regarder d’un peu trop près de quoi le péché avait l’air. Contrairement au bienheureux prélat, je n’en suis pas mort. Pas mort de rire, en tout cas, car le spectacle n’était pas drôle, mais un peu, quand même, mort de trouille. Mort de trouille de ne pas avoir applaudi avec la meute les vannes antisémites et de ne pas avoir fait la quenelle avec les andouilles qui baissaient le bras et la garde devant le danger de cet allumé qui, histoire d’alibi, glissait bien quelques méchancetés sur les pygmées et autres aborigènes pour faire diversion. Il en profita pour avouer (déjà) qu’il allait de temps en temps au Cameroun visiter son père et vider ses bourses. Cacher son fric, c’est justement ce que lui reproche bien tardivement aujourd’hui la justice qui, pour le dire avec les maux de Dieudonné, poursuit le Noir qui blanchit son fric en Afrique.
Mais si la justice est enfin dans son rôle, la police ne l’est pas. En interdisant les spectacles du provocateur (tout en lorgnant sur sa cote de popularité), le ministre de l’Intérieur, en vrai Sarkozy de gauche, fait vallser de plaisir le sinistre sbire qui fait les gros titres des journaux de droite et de gauche, la palme de l’hypocrisie revenant à Libération qui lui offre gracieusement sa une. L’arsenal juridique est assez armé pour condamner le racisme, l’antisémitisme et l’incitation à la haine, les multiples condamnations de Dieudonné sont là pour le prouver. À condition cependant de vouloir se donner les moyens (qui existent) pour veiller à l’exécution des sentences qui sont, jusqu’à présent, restées lettre morte. En confirmant l’interdiction de ces spectacles nauséabonds, le Conseil d’État a peut-être donné à court terme des gages aux âmes généreuses et bien intentionnées auxquelles votre serviteur se flatte d’appartenir, mais il a rendu un bien mauvais service à la liberté d’expression, à la démocratie et enfin à l’État de droit. Le « comique » n’a-t-il pas négocié avec la préfecture l’autorisation de présenter son nouveau spectacle parisien, garanti, main d’or sur le cœur, pure Afrique et « judenfrei ». Anastasie vous salue bien et ses ciseaux, rangés heureusement depuis bien longtemps, reprennent ainsi aujourd’hui service. Comme quoi, Dieudonné est bien un terroriste, à l’image d’Al Qaida, de la bande à Baader et des Brigades Rouges qui ont réussi, chacun en son temps, à faire renoncer l’Etat de droit à son honneur et à son éthique.
Mais de quoi, finalement, Monsieur M’bala M’bala et le bruit qu’il déclenche sont-ils le symptôme ? D’une société qui a perdu ses repères, du « sanglot de l’homme blanc », comme dirait Bruckner, d’un monde où droite et gauche sont bonnet blanc et blanc bonnet et où même les antisémites ne savent plus s’ils sont de droite ou de gauche, d’un équilibre géopolitique devenu chancelant avec la chute du mur de Berlin. Dans un tel monde, Dieudonné livre des repères et un « Feindbild » aux uns et aux autres. À ses fans, il jette en pâture le juif qui, par médias et banques interposés, gouvernerait l’univers. À ses détracteurs, il fournit avec sa personne un épouvantail dans la haine duquel gauche, extrême-gauche, antiracistes et « droits-de-l’hommistes » peuvent communier et se retrouver, alors qu’ils ne sont plus d’accord sur presque rien d’autre. Netanyaou, la crapule corrompue, et feu Scharon, le paranoïaque intègre, ont beaucoup fait pour la renommée du sinistre farceur.
Mais rendons cet hommage à Dieudonné, qui n’est pas un fou du roi, mais un fou du moi : « à l’insu de son propre gré », il a rappelé à toutes ces gauches que la lutte contre l’antisémitisme est inscrite dans leurs gênes. Le tiers-mondisme, la cause légitime des Palestiniens, l’indéfectible alliance d’Israël avec les États-Unis leur ont parfois fait perdre cela de vue. Ou pour le dire, à peu près, avec l’ancien complice Elie Semoun : « Merci de nous avoir rappelé que nous sommes tous des Noirs ! »