Il l’a tellement proclamé, samedi dans l’émission « Background », que j’ai renoncé à compter. Il l’a d’ailleurs admis lui-même, promettant de ne plus se répéter. Jean-Claude Juncker se sent donc désormais, on l’aura compris, « un homme libre ».
« La politique n’est pas un jeu, » disait-il un jour, au sommet de sa gloire. Et pourtant, en niant la défaite du PCS qui reste, et de loin, le parti le plus fort, il ramène le débat politique, et partant les élections, à un jeu où il s’agit de marquer le plus de buts possibles, d’engranger un maximum de sièges de députés. Mais ce qui est vrai au foot et au tennis, n’est pas vrai en politique. Dans le sport, les points et la victoire qui en découle sont le but du jeu. En politique, le but n’est pas le nombre de votes engrangés, mais le moyen de mettre en œuvre une politique et des idées. On ne soutient pas un parti politique comme on encourage une équipe de foot. Juncker, le vieux renard, devrait le savoir. Ensemble, les trois partis de la nouvelle coalition ont obtenu une majorité pour mener une politique sociétale (mariage pour tous, vote des étrangers, dépénalisation de l’avortement, séparation de l’Église et de l’État) qui ne pouvait pas se faire avec les chrétiens sociaux. Ces points figuraient en toutes lettres, et sans aucune ambiguïté, dans le programme du LSAP, du DP et des Verts. Les électeurs ont donc voté en connaissance de cause, et ces idées ont rassemblé une majorité de votants le 20 octobre dernier. Quand donc Monsieur Juncker et les siens reconnaîtront-ils pour de bon que la politique n’est pas un jeu, mais un débat d’idées qui se règle, démocratiquement, par un rapport de forces issu des élections ?
Non, Jean-Claude Juncker n’est pas un homme libre, il reste prisonnier de ses réflexes d’homme de pouvoir et d’appareil. Tiens, c’est d’ailleurs avec ce qualificatif d’homme libre que le monde entier a salué, la semaine dernière, la mémoire de Nelson Mandela. Pour ce grand homme d’État, en effet, la politique n’était pas un jeu,
mais un combat où il forgeait ses idées et ses outils dans l’adversité. Sa période d’opposition, il ne la vivait pas sous les lambris d’un parlement démocratique, mais derrière les barreaux de Robben Island. Il était libre avant d’être libéré et il a fait de ses ennemis des adversaires, avec qui il organisait ensuite la réconciliation. Juncker, au contraire, voit ses adversaires comme des ennemis, ce qui est le réflexe du paranoïaque. Il est vrai qu’il a des excuses : trente ans de pouvoir,
cela vous coupe des réalités et vous livre aux courtisans. Le changement pour lui, il l’a répété dans l’émission de samedi dernier, ne pouvait avoir d’autre signification que le énième remplacement du « junior-partner » du CSV. Mauvaise foi ou vrai déni de la réalité ?
Mais enfin, comme nous accordons un « délai de grâce » à la nouvelle majorité, faisons de même pour l’opposition. Souhaitons au déchu qu’il jette la rancune (illégitime, mais humaine, en démocratie) dans la Moselle et qu’il se hisse lui aussi, enfin, au statut sinon d’homme d’État, du moins à celui de beau joueur. Mais il est vrai, que la politique n’est pas un jeu…