Monnaie virtuelle

Airbnb envisage d’introduire la blockchain

d'Lëtzebuerger Land vom 11.03.2016

Un des fondateurs de Airbnb, Nathan Blecharcyzk, a révélé dans une récente interview à la radio City AM que sa plateforme envisageait d’introduire dans le courant de l’année la blockchain pour authentifier ses utilisateurs. Le réseau, qui utilise déjà des méthodes avancées faisant appel à la vérification en ligne par un tiers de pièces d’identité scannées pour identifier ceux-ci, entend donc aller plus loin. Qu’Airbnb envisage de déployer la blockchain ou une technologie similaire pour établir de manière claire l’identité de ses utilisateurs, leur historique et leur réputation, en dit long sur le potentiel de cette méthode, qui intéresse aussi de plus en plus les banques, mais montre aussi les risques que cette recherche d’un haut niveau de confiance dans les transactions en ligne peut représenter pour l’intégrité de l’identité individuelle.

La blockchain, une des briques de base de la crypto-monnaie bitcoin, séduit de plus en plus de monde parce qu’il créé un historique public vérifiable depuis tout point du réseau, ce qui le rend pratiquement infalsifiable. Lorsqu’il s’agit de se protéger contre des criminels cherchant à saboter un système de paiement ou à s’approprier les bitcoins d’autrui, la blockchain est parfait car simple, décentralisée, bon marché et efficace. En revanche, la prudence est de mise si l’on commence à appliquer cette technologie implacable aux identités d’êtres humains. Dans son interview, Blecharcyzk a suggéré qu’Airbnb pourrait demander à ceux de ses utilisateurs souhaitant louer des lieux exclusifs de montrer patte blanche à l’aide d’un historique enregistré à l’aide de blockchains et établissant leur réputation de manière univoque. Ce serait une façon de garantir au propriétaire que toutes les mesures ont été prises pour éviter les locataires indélicats.Les réseaux sociaux marchands cherchent depuis plusieurs années à établir de manière plus sûre l’identité de leurs utilisateurs, afin de se prémunir contre les usurpateurs d’identité. Ceci est compréhensible en ce que cela permet d’assurer un niveau minimal de sécurité, mais sert aussi à écarter, sur leurs forums si essentiels à la formation de l’opinion de leurs utilisateurs, les commentaires non authentiques, qu’ils soient publiés par des trolls, inspirés par des concurrents malveillants ou qu’ils relèvent de l’auto-promotion éhontée. Toutefois, de même que les règles de certains réseaux sociaux visant à imposer que ne participent aux échanges que des individus à l’identité clairement établie se sont avérées être un facteur limitant l’expression et la pluralité, la mise en œuvre de la blockchain pour mieux identifier des personnes et leur historique peut s’avérer tout aussi dommageable. Il est facile en effet d’imaginer des situations dans lesquelles un individu se retrouverait dans l’incapacité d’effacer ou de corriger des mentions une fois qu’elles figureraient dans un historique irréversible de type blockchain. En cas de fraude par exemple, l’intégrité de nos identités individuelles pourrait s’en trouver compromise et avoir un effet considérablement plus dévastateur que des mentions dommageables figurant dans la presse et reprises sur les moteurs de recherche. Mais même en l’absence de fraude, un historique implacable recensé dans une blockchain ou un système distribué comparable pourrait avoir des conséquences néfastes jusque sur notre façon d’envisager nos parcours personnels : si toute interaction passée est gravée à jamais dans le marbre d’un historique que pourraient consulter ceux participant à une transaction en ligne, le libre arbitre devient une notion fragile. Si le moindre commentaire que l’on a publié ou dont on fait l’objet est repris dans un tel historique irréversible et par nature librement accessible, cela sera plus efficace pour imposer l’autocensure et mettre les citoyens au pas que des bataillons entiers de vigilantes.

Jean Lasar
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