Deux visions générationnelles s’opposent sur le développement de la Ville-Haute

Vieille ville

Lydie Polfer se réfère toujours aux plans d’aménagement pour défendre sa politique
Photo: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land du 23.08.2024

Décider de vivre dans le centre d’une ville n’est pas un choix anodin. Les avantages sont aussi nombreux que les inconvénients : Du cachet patrimonial, mais des appartements anciens avec peu ou pas d’espaces extérieurs ; la proximité des restaurants et des bars, mais des nuisances sonores ; le voisinage des administrations et des commerces, mais peu de places de stationnement… Longtemps, les centres urbains se sont dépeuplés, entraînant la disparition des commerces de proximité, eux-mêmes indispensables à la vitalité des villes. Un cercle vicieux qui est aujourd’hui moins marqué avec des habitants qui se réinstallent dans les centres.

À Luxembourg, le quartier « Ville-Haute », suit lentement cette dynamique. Il comptait 3 509 habitants à la fin 2023, soit cent de plus qu’en 2019. Du point de vue des nationalités, le quartier ressemble à la moyenne de la capitale avec 30,4 pour cent de résidents étrangers (29,6 pour cent sur l’ensemble). Les Français sont les étrangers les plus nombreux, suivis par les Italiens et les Belges. (Pour la totalité de la Ville, les Portugais devancent les Italiens).

Le quartier de la Ville-Haute se singularise à travers sa démographie. La pyramide des âges a un profil particulier. Comme ailleurs, le pic de population se situe chez les 30-39 ans, mais dans la Ville-Haute, le nombre d’habitants s’étoffe au-delà des 80 ans. Cela s’explique par la présence d’un grand nombre d’hébergements pour personnes âgées. La Fondation Pescatore avec 350 résidents, représente à elle seule un dixième de la population du quartier. En plus, la Résidence Konviktsgaard et le CIPA Ste Elisabeth am Park accueillent ensemble près de 300 personnes. Comme le note le rapport de l’Observatoire social (2023), la Ville-Haute est à la fois un des quartiers où il y a le moins de jeunes (de moins de 25 ans) et le plus de vieux (un quart de la population a plus de soixante ans). Ce quartier est celui où la moyenne d’âge est la plus élevée de la commune (43 ans). C’est aussi l’un des rares quartiers qui ne compte pas d’école fondamentale : Celle de la rue de la Congrégation a fermé depuis le rassemblement des enfants à l’école centrale de Clausen en 2017.

Cette démographie particulière explique que le taux d’emploi est l’un des plus faibles de la commune, 44 pour cent. Cependant, les salariés qui y résident travaillent majoritairement dans le secteur des activités financières et des assurances (près de soixante pour cent). Les salaires moyens se révèlent les plus élevés de la capitale (7 490 euros par mois).

Ces caractéristiques se reflètent dans les résultats électoraux. Globalement, les scores du DP et du CSV sont nettement plus élevés en Ville-Haute que dans le reste de la capitale. Aux élections communales de 2023, le parti libéral y a récolté 35,1 pour cent des suffrages (31,4 pour cent sur l’ensemble de la Ville) et le parti chrétien social affiche 21,7 pour cent des voix (20,6). À l’inverse, les Verts sont encore moins populaires que dans d’autres quartiers, perdant 2,4 points par rapport à la moyenne de la commune.

La Ville-Haute a gagné une centaine d’habitants depuis 2019, avec une rotation résidentielle très marquée : les personnes nouvellement arrivées représentent quinze pour cent de la population du quartier. Un renouvellement important s’opère même si le nombre d’arrivées reste faible en valeur absolue. Les nouveaux arrivants étant plus âgés et plus souvent luxembourgeois que dans le reste de la Ville (vingt pour cent des arrivées contre onze pour cent ailleurs), on peut supposer qu’il s’agit principalement de pensionnaires des infrastructures pour personnes âgées.

Pour parler de l’évolution du centre-ville et de ses habitants, deux visions politiques et deux générations s’opposent. « La Ville-Haute est un petit quartier en superficie. Beaucoup de bâtiments sont occupés par des administrations nationales et communales, des bureaux, des commerces et même des musées. 3 500 habitants, c’est déjà bien », estime la bourgmestre Lydie Polfer (DP), face au Land. « Cent habitants en plus en cinq ans, ce n’est vraiment pas grand-chose au regard du potentiel qu’offre le centre-ville », oppose François Benoy. Le conseiller communal déi Gréng considère que la Ville doit faire plus et mieux pour redynamiser ce quartier « et pas seulement laisser faire ». Également dans l’opposition, Maxime Miltgen (LSAP) abonde : « Les partis au pouvoir ne font tout simplement pas assez pour le logement en général et le logement social en particulier. Les habitants les moins fortunés sont priés d’aller voir ailleurs. »

Elle se réfère aux chiffres de l’Observatoire social : 1 697 logements sociaux ont été répertoriés dans la Ville de Luxembourg en 2021. Cela représente 0,016 logement social par habitant. À titre de comparaison, le nombre de logements sociaux au sein de la Communauté d’agglomération de Thionville est de 0,1 logement social par habitant et de 0,13 à Metz, soit dix fois plus.

La bourgmestre précise que la Ville possède 32 logements sociaux ou abordables dans le quartier : Place du Théâtre (depuis 1985 et la rénovation du complexe autour du Théâtre des Capucins), au-dessus du Bierger Center et Passage de la Place Guillaume II vers la Place d’Armes. « Les critères d’attribution valorisent les personnes qui travaillent en Ville, avec des petits revenus, comme dans l’Horeca. » Elle met aussi en avant la création de nouveaux logements au Royal Hamilius (71 appartements) et au Cloître Saint-François (onze appartements au Marché-aux-poissons). Elle concède que ceux-là ne sont, « pas du tout du logement social », mais souligne que « tous les quartiers ont besoin de mixité ».

Force est de constater que la Ville-Haute figure dans le top 5 des quartiers où les prix de vente moyens sont les plus élevés (12 177 euros par mètre carré selon les chiffres 2023 de l’Observatoire de l’habitat). Même constat pour la location, avec des loyers demandés de 36,09 euros mensuels par mètre carré, même si le quartier est en dessous de la moyenne de la capitale (37,26 euros). « Ces prix élevés s’expliquent par la situation centrale de ce quartier et la concurrence importante imposée par les espaces de bureaux et d’autres utilisations professionnelles (cabinets médicaux, commerces), qui occupent bien souvent des logements », précise le rapport de l’Observatoire social.

Pour favoriser d’avantage de logements, Lydie Polfer se dit impuissante : « La Ville pourrait acheter des biens s’il y en avait en vente à des prix raisonnables. » Elle ajoute que presque l’intégralité de la Ville-Haute est située dans le « secteur protégé » : « On ne peut pas démolir trois maisons pour faire une résidence d’appartements. » Quant aux appartements situés au-dessus des commerces, souvent inoccupés ou servant de stockage, la bourgmestre pointe les freins : « Dans le temps, les commerçants habitaient au-dessus de leurs magasins. Il n’y avait pas toujours d’accès depuis la rue. Depuis le plan Joly, on a obligé à créer des accès, quand la taille de la façade le permet. Maintenant aussi, la police des bâtisses stipule qu’en cas de rénovation d’un bâtiment commercial, un niveau doit être réservé au logement. »

Elle accueille d’un haussement de sourcil la question de la taxation les logements vides ou mal affectés : « On ne fait pas ça ! » Le projet de loi portant sur l’impôt foncier, la mobilisation des terrains, ainsi que sur la taxation de la non-occupation des logements, déposé en octobre 2022 par le précédent gouvernement, a rencontré de nombreuses oppositions formelles de la part du Conseil d’État. En attendant sa révision, promise dans l’accord de coalition, il n’existe pas de sanction pour la non-occupation de logements, seulement une incitation.

Quand bien même une taxe sur les logements vides serait imposée, « il faut se mettre d’accord sur la définition et créer un registre », contrecarre la bourgmestre. Sans le citer, elle se souvient certainement que Paul Helminger avait voulu clarifier quelles surfaces étaient injustement occupées par des bureaux. Il avait lancé une enquête publique et envoyé des courriers à des sociétés et professions libérales installées dans des immeubles d’habitation, s’attirant l’ire et les foudres d’avocats et de notaires. D’aucuns supposent que c’est ce qui lui a fait perdre son fauteuil à l’Hôtel de ville. D’ailleurs, Lydie Polfer ne désire pas moins de bureaux : « C’est quand il y a plus d’emplois, qu’il y a plus d’habitants. »

L’opposition municipale martèle qu’un programme visant la réduction du nombre de logements vides est faisable et crucial. « Le taux de vacance des logements n’est nulle part aussi élevé que dans le centre-ville et dans le quartier de la gare, où quasiment personne n’habite au-dessus des commerces. Dans le cadre de la révision du plan d’occupation des sols, il serait possible de s’attaquer enfin à ce problème », indique François Benoy. Il plaide pour un programme « volontariste », avec l’acquisition de commerces et logements par la Ville. Le conseiller écolo voudrait réhabiliter le poste de city manager, « indépendant et doté de moyens » : une sorte de médiateur entre les résidents, les entreprises et la politique. « Le développement urbain doit tenir compte de différents aspects interdépendants : habitat, commerce, économie, patrimoine, espaces publics, mobilité, services publics. »

« La population visée pour revitaliser le centre-ville, ce sont les jeunes », pointe Maxime Miltgen. À trente ans, la conseillère communale entre parfaitement dans cette cible. D’ailleurs, elle vit au centre-ville depuis plusieurs années. Elle suppose que les jeunes seuls ou en couple peuvent vivre dans des appartements plus petits que dans certains quartiers, pourquoi pas dans des immeubles sans ascenseurs. Cela correspond à un mode de vie où on est moins chez soi, où l’espace public et l’aménagement urbain prennent alors de la valeur et doivent tenir compte des aspirations de ces jeunes. « Ils veulent une ville dynamique où ils peuvent sortir et où il se passe quelque chose. Ils savent aussi que le bruit des bars fait partie de cette vitalité. »

La socialiste ajoute qu’un quartier plus peuplé est aussi un quartier plus sûr. « La délinquance se déploie là où il n’y a pas d’œil pour la voir ». Le cercle vicieux peut devenir vertueux : plus d’habitants, plus de commerces, de restaurants, de bars, c’est plus de vie aux différentes heures de la journée et moins d’angles morts.

France Clarinval
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