d’Land : Le DP a longtemps été opposé à des mesures qu’il défend aujourd’hui. On pense à la taxation des logements vides et des terrains vacants. Les libéraux se cachaient derrière la « Bomi » qui garderait les terrains pour ses petits-enfants. Ne portez-vous pas une responsabilité politique pour le retard accumulé ?
Claude Meisch : C’était un peu plus nuancé. On disait que c’était normal que les propriétaires gardent des terrains pour leurs enfants en attendant que ceux-ci terminent leurs études. Mais on disait également que certaines choses n’étaient pas justifiables.
Jusqu’à la dernière mandature, vous mettiez surtout l’accent sur la protection de la propriété privée.
Qu’un parti libéral soit pour la propriété privée, cela ne devrait pas vous surprendre. Nous ne sommes pas un parti communiste. Mais cela ne veut pas dire qu’un propriétaire soit exempt de responsabilités. Beaucoup de gens sont dans une situation d’urgence et nous avons une responsabilité collective. Les derniers gouvernements ont tenté d’avancer, et certaines choses se sont améliorées. Mais face au grand challenge de la croissance démographique, nous avons collectivement échoué.
Pendant des années, tout le monde a tapé sur Henri Kox. Aujourd’hui, tout le monde veut continuer sa politique. Cela paraît un peu injuste, non ?
Je l’ai dit très clairement à la tribune de la Chambre : Nous nous situons dans la continuité de ce qui a été fait. L’actuel gouvernement, tout comme celui qui l’a précédé, veut investir plus dans le logement public abordable. Nous l’avons fait, mais sans réussir à rattraper le retard accumulé sur des décennies. J’aimerais tout de suite ajouter que je ne vais pas non plus réussir dans les cinq prochaines années. Ce ne serait pas une ambition réaliste. Il s’agira plutôt de faire une Weichenstellung. Ce qui nous différencie par contre du dernier gouvernement, c’est que nous voulons intégrer les promoteurs privés.
Mais existe-t-il un modèle d’affaires pour le logement abordable ? Sachant que les loyers tournent autour de quatre euros le mètre carré, vous devrez trancher la question : Combien l’État est-il prêt à dépenser pour assurer un rendement privé ?
Le secteur privé nous a soumis une série de propositions que nous sommes en train d’évaluer. Nous sommes priés de fournir les premiers éléments d’ici la fin mai. Mais nous n’allons certainement pas pouvoir conclure sur tous les points.
Ces propositions, parlons-en. La Chambre des métiers propose que les privés construisent des logements abordables sur des terrains publics. Y êtes-vous favorable ?
Je peux l’imaginer, mais uniquement dans une petite envergure. Dans le secteur privé certains s’imaginent que l’État serait assis sur un gigantesque réservoir de terrains immédiatement mobilisables. Mais cette représentation ne correspond pas à la réalité, c’est une sornette. Ce serait génial si je pouvais ouvrir l’armoire, sortir le cadastre et distribuer des parcelles. Il faudrait bien sûr passer par une soumission et l’État devrait rester propriétaire du terrain. Ce serait la plus belle chose qui soit. Mais à part quelques rares Baulücken, ce n’est pas faisable.
Les promoteurs faisaient de telles marges sur le marché privé que l’abordable les intéressait très peu. La crise immobilière a-t-elle changé la donne ?
Ils disent vouloir le faire, et j’en prends acte. Ils savent que ce ne sera pas pour demain. Tout simplement parce que la loi actuelle ne le permet pas. Ce ne sera donc qu’au bout d’un processus législatif, qui durera au moins deux ans, que nous pourrons autoriser les premiers projets.
Actuellement, Giorgetti, Kuhn ou Becca devraient d’abord constituer une fondation ou une société d’impact sociétal avant d’être éligibles aux 75 pour cent d’aide à la pierre.
D’après la loi actuelle, les SA ou SARL ne sont pas éligibles. Les promoteurs privés ne peuvent donc tirer de bénéfices des logements abordables.
Mais pourquoi s’y lanceraient-ils alors ?
C’est pourquoi nous devons créer de nouvelles conditions. Mais j’ai dit très clairement à la Chambre que certaines choses sont politiquement inconcevables. Nous n’allons pas financer des plus-values privées avec de l’argent public. Soixante-quinze pour cent d’aide à la pierre, dat ass verdammt vill ! L’État financerait donc l’investissement d’un acteur privé. Dans ce cas, il devra devenir propriétaire de l’immeuble. Ils construisent, nous achetons, et c’est bon : Ce serait la piste actuelle du rachat de Vefas [Ventes en l’état futur d’achèvement].
Vous voulez donc créer une toute nouvelle filière, distincte du cadre actuel qui régit le logement abordable actuel. J’imagine que l’État devra contribuer quelque chose ?
Cela me semble évident (rires). Il faudra trouver un autre modèle qui soit adapté au secteur privé.
Les partenariats public-privé (PPP), le DP les a revendiqués dans son programme électoral de 2013, puis dans celui de 2018 et enfin dans celui de 2023. Cela fait donc onze ans que vous en parlez, mais sans avoir de modèle concret en tête ?
Une entreprise privée qui vend sa Vefa à l’État : C’est bien dans la logique des PPP. Nous aimerions désormais faire un pas de plus. Nous voulons qu’un entrepreneur privé puisse réaliser des logements abordables en régie propre. Il faut donc fixer d’autres conditions. Je peux m’imaginer qu’on donne une certaine subvention publique pour qu’on aboutisse à un loyer qui soit en quelque sorte abordable. Car un loyer de quatre à six euros, cela ne suffira certainement pas pour garantir un rendement. Il faudra donc que l’État contribue. Nous en discutons actuellement. Dans un tel scénario, les privés pourraient faire un profit raisonnable.
Qu’entendez-vous par « raisonnable » ?
Nous pourrions trouver des références. Il existe par exemple la notion de « bénéfice raisonnable » pour des entreprises qui remplissent une mission publique. On pourrait s’en inspirer.
Les promoteurs sociaux doivent louer en abordable pendant quarante ans. Comptez-vous réduire cette période ?
Les promoteurs sociaux existants sont issus du secteur caritatif. Ils ne le font donc pas pour le bénéfice. Je ne vois donc pas pourquoi nous réduirions cette période.
Et dans le nouveau modèle PPP auquel vous travaillez ? Les quarante ans vont-ils être revus à la baisse ?
Il faudra trouver un équilibre. Mais laissez-nous le temps. Dat rëselt een net sou aus dem Aarm. Nous allons également devoir prendre en compte la question des aides d’État. Ces règles poseront déjà un cadre.
Le programme de rachat étatique pour Vefas enlisées n’a pas été un grand succès jusqu’ici. Seulement six contrats de réservation ont été signés sur une année.
Nous sommes coriaces dans les négociations. Nous n’acceptons pas toutes les offres soumises par les promoteurs privés. Je l’ai dit clairement aux fonctionnaires qui suivent ces dossiers – dont je me tiens délibérément éloigné – que nous ne sommes pas là pour dépanner quelqu’un qui aurait fait de mauvaises spéculations foncières. L’État ne doit pas être le garant en dernier ressort.
La Ville de Luxembourg a, quant à elle, rassemblé cinq projets en un mois et demi. Comment s’explique ce succès ?
La Ville peut offrir des prix plus élevés. Elle ne s’est pas ralliée à notre cahier des charges et je ne pense pas qu’elle compte louer ces appartements en abordable. Mais je trouve que c’est positif qu’une commune veuille devenir un acteur, que ce soit dans le contexte du logement abordable ou non.
Si la Ville hésite à passer par l’aide à la pierre, c’est qu’elle veut choisir elle-même ses locataires. Ce que ne permet pas le Registre national de logement abordable [Renla]…
Je suis prêt à discuter avec les communes d’une ouverture de ce système. Je veux que les communes qui s’engagent dans le logement abordable aient leur mot à dire sur qui occupera ces appartements.
Avant les élections législatives, il y a déjà eu un compromis entre Déi Gréng et le DP à ce sujet : C’était justement le Renla.
Je crois que c’était surtout un compromis entre le ministère et la Ville de Luxembourg (rires). Mais ce système est tellement complexe qu’il en devient dissuasif. Je veux que le bourgmestre puisse décider qui vivra dans les logements sociaux. C’est lui qui doit convaincre les conseillers communaux et les riverains. Aux yeux des bourgmestres, le système actuel a des allures de boîte noire.
Mais la boîte noire n’est-ce pas plutôt l’arbitraire communal ?
Il faudra évidemment remplir des conditions pour être éligible. Mais les maires construisent pour leur population. Je ne le leur reproche pas, c’est leur mission. Ils ne vont soutenir le système que s’ils peuvent dire : « On construit pour les jeunes de notre commune, peut-être pour vos enfants ». Dann rëtscht dat éischter…
Le sous-texte de ce message n’est-il pas souvent : On ne veut pas de locataires pauvres dans notre belle commune de riches ?
Je ne vais pas commenter tous les préjugés qui existent sur le logement social. Nous avons besoin de tout le monde dans ce pays. Quand on parle de manière sachlech avec les gens, ils comprennent. On a également besoin d’un logement pour celui qui me sert à la caisse du supermarché, pour celui qui me livre ma pizza, pour celui qui me construit ma maison...
Le « fonds citoyen » est un autre evergreen libéral qui a trouvé son entrée dans le programme de coalition. De nouveau, on se demande comment cela doit fonctionner : Une loi Rau immobilière, avec un incitatif fiscal ?
On pourrait se l’imaginer ainsi. Cela s’adresse à des gens qui ont mis un peu d’argent de côté et qui cherchent à compenser l’inflation. On parle donc de taux comparables à ceux d’un compte-épargne. Dat ass eng sécher Saach, puisque l’État est quelque part derrière. En plus, on aide à résoudre un problème national. Je peux m’imaginer qu’assez de gens seront prêts à investir des montants même modestes.
Ce « Biergerfonds » devrait aussi investir dans le marché privé, apprend-on dans l’accord de coalition.
Si on veut que le rendement soit un minimum attractif, on ne peut miser sur le seul segment de l’abordable. Ces loyers suffisent à peine à financer l’encadrement des locataires. Je peux donc m’imaginer un mix. Si la main publique devenait un acteur de poids sur le marché, cela pourrait un peu freiner [zähmen] les attentes de loyer et de rendement des acteurs privés. Mais nous en sommes encore très éloignés…
Dans le cadre de la crise immobilière, le gouvernement CSV-DP parle de tout (et surtout d’incitatifs fiscaux), mais jamais de prix immobiliers. Pour les Vefas, la baisse des prix a été de 7,6 pour cent. Dans l’ancien par contre, la chute est bien plus prononcée : moins 18,8 pour cent. À l’inverse des promoteurs, les particuliers ont donc accepté de baisser leurs attentes.
Je trouve aussi que les promoteurs pourraient encore faire des efforts. Nous remarquons qu’ils en font par rapport à l’État, lorsqu’ils nous offrent leurs Vefas. Mais en général, ils n’ont plus mis d’objets sur le marché pour maintenir leur prix. Dans l’existant, la situation est tout autre. Certains propriétaires n’ont pas d’autre choix que d’accepter le prix que les acquéreurs sont prêts à payer.
Le DP, tout comme Luc Frieden, ont expliqué durant la campagne qu’il fallait construire plus « en hauteur ». Or, tout le monde sait que ce n’est pas aux ministres mais aux maires d’en décider. Soit la politique nationale a le courage de l’imposer, soit elle arrête d’en parler, non ?
Si, je vais continuer à en parler ! Déjà parce que je suis aussi ministre de l’Aménagement du territoire. Si on veut une croissance économique et si on accepte une croissance démographique, il faudra que le logement soit organisé d’une autre manière. Nous ne pouvons continuer l’artificialisation des sols au même rythme. Nous devons plutôt la freiner, pour un jour l’arrêter.
Claude Turmes ne disait pas autre chose. Mais il faut aussi se donner les moyens de ses ambitions. L’article 29bis était miraculeusement sorti indemne du Conseil d’État. Il imposait aux communes de bâtir dix pour cent de plus. Ne faudrait-il pas plus souvent oser défier la sacro-sainte autonomie communale ?
Nous avons besoin des communes dans ce processus. Ce sont… je ne dirais pas un goulot d’étranglement… mais des acteurs très importants. Car les maires sont toujours impliqués. Aucune autorisation de bâtir n’est signée et aucun logement n’est construit s’ils ne sont pas d’accord. Si le gouvernement veut que les communes l’accompagnent, du moins celles qui sont censées grandir, il doit comprendre leurs réticences.
Avant de terminer, nous devons brièvement revenir sur « l’affaire Cocottes ». Le Parquet a classé le dossier sans suite. Mais il reste une question que vous n’avez jamais abordée et qui paraît pourtant centrale : C’est celle du rapport de pouvoir entre un ministre et sa fonctionnaire.
Je comprends que les gens se posent cette question. Mais je dois dire que les personnes concernées, c’est-à-dire ma collaboratrice et moi-même, avons eu et avons toujours une bonne relation professionnelle ; il n’y a rien qui la trouble. Et ass näischt hänke bliwwen. Même si nous regrettons tous les deux que le pays entier a dû en parler.
L’auteure de la vidéo accusatrice l’avait rapidement retirée de son compte Instagram. Étiez-vous au courant que celle-ci continuait à circuler ?
On m’a envoyé la vidéo le soir même des faits. J’ai immédiatement appelé la personne concernée, c’est-à-dire ma collaboratrice, pour l’en avertir. Dans les semaines qui ont suivi, je pensais que la vidéo avait disparu. Je me disais que, finalement, il n’y aurait pas de shitstorm. Jusqu’à ce que j’apprenne que certaines personnes s’occupaient activement à la diffuser.
Le malaise persistant provient du mélange des genres entre votre vie privée et votre fonction publique. Il s’agissait d’une discussion, que vous-même avez qualifiée d’« émotionnelle » et de « houleuse », entre un ministre et sa première conseillère de gouvernement. On ne peut pas dire que cela concernait simplement la personne privée Claude Meisch…
Aussi bien moi-même que ma collaboratrice avons tout dit et écrit à ce sujet. Je pense qu’il n’y a plus rien à y ajouter.
En absence d’un super-ministère revendiqué par le DP, le ministre du Logement n’a pas beaucoup de prérogatives. Est-ce que cette affaire vous a affaibli dans votre fonction, notamment dans vos négociations avec l’Intérieur et les Finances ?
Je ne l’ai pas constaté. À mon avis, cela n’a pas entravé ma force comme politicien dans les discussions et décisions. Même si c’est quelque chose que je regrette. J’aurais été content que cela ne soit jamais arrivé et qu’on n’en ait pas discuté. Vous pouvez me le croire.
« Mince, très mince »
Dix hauts fonctionnaires communaux, quatre échevins, trois promoteurs et une bourgmestre étaient réunis ce jeudi pour un « point presse » dans la « salle de cérémonie » au Knuedler. En face : trois journalistes. Lydie Polfer tenait à conférer une certaine solennité à la signature du premier contrat de réservation pour une Vefa privée. Il s’agit du projet « River Place » que le promoteur belge Immobel va développer en face de la gare de Dommeldange. Une grande partie sera constituée d’espaces de colocation : 92 chambres (auxquelles s’ajoutent 25 appartements). C’est une autre première pour la Ville qui n’a jusqu’ici jamais eu à gérer de coloc.
La commune fait une bonne affaire : Elle acquiert 117 unités pour 60,66 millions d’euros : 9 800 euros le mètre carré, soit 4 000 pour le terrain et 5 800 pour la construction. Immobel consent à une sérieuse décote, le prix moyen d’une Vefa tournant autour de 14 300 euros dans la capitale. « Elle est mince, très mince », dit sa directrice, Muriel Sam, à propos de la marge. Et d’assurer : « Ce n’est pas un projet sur lequel on va gagner de l’argent ». Immobel aurait dû faire « un arbitrage commercial », dit-elle. Le promoteur aurait opté pour des liquidités à court terme plutôt que pour des profits à moyen terme. Pour comprimer les coûts, le développeur aurait fait quelques adaptations « au niveau du design ».
En octobre dernier, la Ville avait lancé un appel à candidatures pour acquérir des Vefas enlisées. Quinze projets étaient entrés, la Ville en a retenu cinq. Après la signature du premier contrat de réservation ce jeudi, les négociations continuent pour les quatre projets restants qui sont de taille plus modeste, représentant quelque 140 unités au total. Un point d’interrogation persiste sur la question des subventions étatiques (75 pour cent de l’investissement). Lydie Polfer devra rencontrer Claude Meisch pour déterminer si le projet de colocation tombe dans les critères officiels. Si la commune touchait l’aide à la pierre, elle devrait passer par le Registre national du logement abordable pour choisir ses locataires. Une harmonisation des critères qui gêne énormément les édiles locaux. « Mir kënnen net d’Laascht op ons huele fir de soziale Wunnengsbau ze maache vum ganze Land. Mir mussen awer e bëssi kënnen d’Gewiichtunge ginn, wéi mir mengen dat se gutt wäre fir d’Stat » s’est ainsi plaint le libéral Claude Radoux, ce mardi, peu avant le vote (à l’unanimité) au conseil communal. Dans la commission des finances de la Ville, la majorité bleue-verte se disait prête à éventuellement « renoncer aux subsides pour louer à un prix raisonnable en vue d’un return on invest sans bénéfice ».