Le costume sous toutes ses coutures

d'Lëtzebuerger Land du 18.02.2022

À 15 ans, entourée d’une joyeuse bande de futurs grands noms du cinéma comme Jeff Desom ou Vicky Krieps, Caroline Koener dessine sans le savoir les prémices de sa carrière. « On tournait ensemble des films amateurs qu’on diffusait sur la plateforme Filmreakter. Je m’occupais des costumes parce que j’adorais les imaginer et que je rêvais d’en faire mon métier ». Créer des vêtements grandioses, leur donner vie à coup de ciseaux, d’aiguilles et de fils : l’adolescente voue une véritable passion à la couture que pourtant personne ne pratique dans son entourage. « Ça a étonné ma famille, je ne sais pas moi-même d’où ça m’est venu, mais j’ai appris bien plus tard qu’une de mes grands-mères, que je n’ai pas connue, était très douée ». Aussi, cette manuelle assumée, inscrite en filière artistique au lycée, envisage de poursuivre ses études dans une école qui lui permettra de perfectionner son art, qu’elle veut fantasque et onirique. « Je ne suis pas une fashion victim, j’aime la mode, regarde les magazines, mais je ne voulais pas créer des habits et fonctionner de manière commerciale. J’avais envie de coudre des costumes artistiques, qui sortent de l’ordinaire ». Sans tutoriel ni YouTube, la Dudelangeoise se lance dans la confection d’un corset et d’une jupe crinoline, deux pièces qui lui serviront à postuler auprès de plusieurs écoles de couture. « C’était amusant, je n’avais aucune connaissance, je ne savais pas du tout comment m’y prendre, alors j’ai utilisé des tuyaux dans lesquels je faisais passer des fils en métal pour obtenir la forme désirée. Mais ça a marché », se remémore Caroline, tout sourire à l’évocation de ce souvenir.

Un peu par hasard, et sûrement pour suivre ses amis cinéphiles intéressés par des cursus anglophones, la jeune couturière s’inscrit dans une école de couture en Angleterre, à Bournemouth. « J’ai entamé un bachelor ‘Costume Design for Screen & Stage’ et j’ai adoré mes études. J’ai appris des choses à la fois sur le design, le marketing, le patronage, la création et la manipulation de textiles… C’était très complet. J’ai poursuivi avec un master plus théorique et c’est là que j’ai fait mes premières créations importantes, notamment pour une pièce de théâtre ». Rester en Angleterre, partir ailleurs ou revenir au Luxembourg ? Au terme de ses études, la Franco-Italienne hésite. Les propositions de jobs ne manquent pas, mais ne correspondent pas tout à fait à son envie première, celle d’être costume designer, autrement dit de dessiner et de créer des costumes. « J’avais envie de bouger, de prendre des risques, mais je ne savais pas trop où aller. Et finalement, en revenant au Luxembourg, j’ai rapidement eu des commandes en design. J’ai eu la chance de travailler très rapidement sur des projets pour lesquels j’aurais dû attendre longtemps ailleurs ». Parmi eux, un spectacle de danse d’Hélène Van den Kerchove pour lequel elle signe quarante costumes, la pièce de théâtre Pink Slip Party mise en scène par Claude Mangen ou encore un premier film, La Symétrie du papillon. « Habiller des personnages, c’est un travail créatif qui touche aussi à la sociologie et à la psychologie. Il faut se mettre dans la tête du metteur en scène, se plonger dans l’univers de la pièce ou du film, comprendre le protagoniste, sa vie, son caractère… C’est une partie très intéressante de mon travail, d’autant que j’ai toujours aimé l’histoire et la littérature. Je cherche souvent à comprendre qui sont les gens, quelle est leur origine, pourquoi ils sont ce qu’ils sont ».

Suivant la commande – et le budget – Caroline est ainsi amenée à créer des moodboards pour définir les costumes que porteront les comédiens. Parfois elle les dessine et leur donne vie, parfois elle écume les friperies et les magasins de vêtements pour dénicher les pièces qui feront la différence. « Quand je travaille sur un film d’époque, je sais exactement suivant le rang social du personnage, quel tissu aller chercher. Il y a des codes à respecter. S’il s’agit d’un film contemporain, c’est beaucoup plus subtil. Il faut comprendre la silhouette de l’acteur pour ensuite créer quelqu’un d’autre ». Ses grandes fiertés ? Les costumes réalisés pour le film Mary Shelley, en 2016. « J’ai fait ceux des personnages principaux, dessiné les patrons, teint les textiles, tout cela entourée d’un atelier de couturières, c’était super. Pour les figurants, j’ai pu visiter les énormes stocks de l’industrie cinématographique, les Fundus comme on les appelle, qui regorgent de costumes. Ça aussi c’était incroyable ». Même son de cloche pour Le Tout Nouveau Testament. « Ça a été très amusant à faire, avec une ambiance un peu fofolle, beaucoup de flashbacks dans l’histoire et donc des costumes marrants à imaginer ».

Aujourd’hui, la costume designer tend à lever le pied. « Dès 2018, j’ai eu envie d’arrêter ce rythme de dingue. J’avais envie de me replonger dans les matières, de me concentrer sur les tissus et de retrouver mon atelier ». Un espace de 90 mètres carrés, installé sous les combles de sa maison à Dalheim. À coup de cours et d’ateliers donnés à des jeunes, Caroline Koener retrouve l’essence de son métier et de sa passion. « C’est un peu difficile de sortir de l’engrenage, je travaille encore sur une pièce et sur le prochain long métrage d’Andy Bausch, mais cela me réjouit. À Dudelange, j’ai fait la rencontre de Mich Feinen avec lequel j’ai monté le projet Huddelafastz qui est une réinterprétation du bleu de travail dans le but de sensibiliser aux principes de durabilité, d’écologie et de production locale. C’est important le durable, il y a tellement de gaspillage dans le cinéma », confie celle qui s’avoue aujourd’hui curieuse de savoir de quel fil sera cousu son destin.

Salomé Jeko
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