Les assurances accidents-santé sont désormais presqu’aussi importantes en valeur que l’assurance automobile

L’assurance européenne dans tous ses états

d'Lëtzebuerger Land du 18.02.2022

Comme l’ensemble des services financiers en Europe, le secteur de l’assurance a fait preuve d’une bonne résilience depuis le début de la crise sanitaire. Mais il a connu, en peu de temps, des évolutions qui semblent appelées à durer et à modifier profondément les conditions d’exercice de l’activité.

C’est ce que montre un document publié en janvier 2022 par l’Autorité européenne des assurances et des pensions, plus connue sous son acronyme anglais Eiopa. Intitulé « 2021 Consumer Trends Report » et riche de 58 pages, il fait le point sur les principales tendances en cours.

Entre juin 2019 (dernière année normale avant la crise) et juin 2021, le montant des cotisations a augmenté de 7,3 pour cent, mais la progression a été plus forte en assurance non-vie (+8,6 pour cent) qu’en assurance-vie (+6,3 pour cent). De ce fait la répartition générale des cotisations s’est trouvée modifiée. L’activité vie reste majoritaire mais de très peu (52,9 pour cent du total) et pourrait bientôt être rattrapée en termes de collecte.

Si l’assurance-vie a marqué le pas c’est en raison de la forte diminution des encaissements sur les contrats à taux garanti (curieusement appelés « contrats en euros » en France), dont les primes ont chuté de 14,6 pour cent. En revanche la collecte des contrats en unités de compte a bondi de près de moitié (+46,2 pour cent précisément) preuve de l’intérêt qu’y portent les consommateurs malgré les préventions des autorités de tutelle vis-à-vis de ces produits (lire encadré).

Du côté de l’assurance non-vie les trois grands pôles (incendie-risques divers, accidents-santé et véhicules) ont vu leur poids cumulé encore augmenter, passant de 75,3 pour cent des cotisations en 2019 à 78,6 pour cent en 2021. Mais leur importance relative a beaucoup changé. Avec un accroissement des primes de 29 pour cent en deux ans, les assurances accidents-santé sont désormais presqu’aussi importantes en valeur que l’assurance automobile et assimilée dont les cotisations sont restées quasiment stables (hausse de 2,2 pour cent) : les restrictions à la circulation et aux voyages pendant la crise ont visiblement pesé, mais aussi une tendance plus générale à une moindre utilisation de la voiture.

Inversement la crise sanitaire a fait prendre conscience de l’utilité d’une meilleure couverture santé. Les primes d’assurance incendie-risques divers ont progressé de 13,5 pour cent. À titre anecdotique, on a observé une forte hausse de l’assurance-voyages, suite aux déboires des personnes n’ayant pu obtenir le remboursement des prestations touristiques annulées au moment du confinement de 2020.

La numérisation du secteur de l’assurance lui a permis de maintenir un niveau acceptable d’activité pendant la crise sanitaire. Déjà très présent dans le processus de vente et de distribution, en particulier pour les produits les plus banals, le digital irrigue désormais toute la chaîne de valeur, de la conception des produits à l’après-vente en passant par la gestion des sinistres et la détection des fraudes.

Avec le Covid, les organismes d’assurance ont observé une augmentation de l’usage des fonctionnalités digitales (e-signature notamment) de la part de l’ensemble de leurs clients, quel que soit leur âge, ainsi qu’une utilisation accrue des canaux digitaux pour souscrire et gérer les contrats ou déclarer des sinistres via les « espaces client » des sites Internet des assureurs. Les processus administratifs sont de plus en plus dématérialisés et les clients peuvent aussi trouver en ligne des ressources documentaires ou des chatbots pour répondre à leurs questions.

En termes de cotisations, la proportion des ventes numériques est généralement plus élevée dans l’activité non-vie (surtout pour l’assurance automobile et habitation) mais dans onze États membres, les ventes de contrats d’assurance-vie se sont principalement conclues de cette manière.

Un sondage OpinionWay publié en France fin octobre 2021 montre néanmoins les limites du phénomène. La moitié des personnes interrogées déclarent ne pas pouvoir se passer d’un conseiller, « un chiffre révélateur du besoin persistant d’une relation humaine, personnelle et privilégiée ». C’est un résultat surprenant dans un secteur où, contrairement à d’autres activités (la banque par exemple), les professionnels ont en temps normal peu de contact avec leurs clients. Il faut sans doute y voir l’effet de la crise sanitaire, qui a entraîné une forte sollicitation des assurances et la prise de conscience (observable particulièrement chez les moins de 35 ans) de la nécessité d’être mieux assuré.

Cet attachement, qui croit avec l’âge, s’alimente aussi des craintes liées à la vie privée et aux données personnelles, risques contre lesquels seulement 37 pour cent pensent être bien protégés, contre 41 pour cent en 2019. Les auteurs de l’étude notent que « les datas sont des éléments essentiels pour les assureurs aujourd’hui » mais que seule une très faible partie de la population est prête à partager des données personnelles, même pour bénéficier d’un contrat totalement adapté à ses besoins. Selon eux la baisse des coûts de son assurance est un levier puissant d’acceptation du partage.

La relation-client reste perfectible. L’image des assureurs, qui n’a jamais été excellente, a été ternie en 2020 par le comportement de certains acteurs (parmi les plus gros) refusant d’indemniser des particuliers pour les annulations de voyages ou des professionnels au titre des pertes d’exploitation. Bien que la digitalisation ait amélioré le processus de gestion des sinistres courants et de faible valeur, il reste le plus gros sujet de réclamations surtout en matière d’assurance automobile (dommages et responsabilité civile) et de l’habitation. Au processus de liquidation jugé long et compliqué il faut ajouter le manque de justification des rejets de réclamation qui ont pourtant beaucoup augmenté pour les frais médicaux et les dommages aux biens.

Mais de manière plus préoccupante, des cas de discrimination et d’exclusion indirectes sont observés, « creusant les lacunes de protection » selon l’Eiopa. Ils résultent de la révision à la baisse des garanties des contrats d’assurance-santé suite à la pandémie et d’assurance-dommages pour cause d’augmentation des risques de catastrophes naturelles. Ces changements interviennent au moment où les consommateurs attendaient au contraire que les risques liés au
Covid-19 soient mieux pris en compte. En matière automobile et d’habitation (88 pour cent des cas) l’Eiopa met en cause les pratiques de plus en plus fréquentes d’optimisation des prix qui « sont principalement le résultat de niveaux élevés de concurrence couplés à l’émergence de nouvelles techniques rendues possibles par le traitement et l’analyse modernes des données ». Leur conséquence majeure est une baisse des primes pour les nouveaux clients que l’on cherche à conquérir et une augmentation pour la clientèle ancienne ou fidèle et les consommateurs vulnérables. L’autorité européenne entend bien éviter que ces procédés ne se répandent.

Incontournable ESG

Les souscripteurs d’assurance-vie et de produits d’épargne-retraite sont de plus en plus sensibles à la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs investissements. Lors d’une enquête en France, un tiers des sondés déclaraient avoir pris en compte ces engagements lors du choix de leur fournisseur de produits. La moitié pourrait à l’avenir quitter son assureur actuel pour un autre qui respecterait mieux ces enjeux et un quart se disent prêts à payer un surcoût de dix pour cent pour cela. Les acteurs du marché revoient actuellement leur offre de produits, leurs politiques d’investissement internes et leurs documents d’information pour les adapter au règlement européen sur les informations relatives au développement durable dans le secteur des services financiers (connu sous son sigle anglais SFDR) entré en vigueur en mai 2021. Mais selon l’Eiopa, il est trop tôt pour fournir une évaluation de son impact. L’autorité a remarqué d’importantes disparités entre les pays nordiques (Danemark notamment) et baltes, très avancés dans l’introduction d’actifs durables dans les produits d’épargne-retraite, et ceux d’Europe du centre et du sud. Le SFDR réglemente aussi la communication sur les produits financiers durables pour éviter le greenwashing, un risque auquel l’Eiopa est particulièrement sensible au point de demander aux autorités nationales d’exercer une étroite surveillance des publicités.

Produit préoccupant

Malgré leur succès, les supports en unités de compte font figure de « produit préoccupant » pour les autorités de contrôle. En cause, leur complexité croissante et le manque de transparence dans le processus de vente, y compris en ce qui concerne les incitations, ce qui peut entraîner chez les consommateurs une mauvaise compréhension des produits et une appréciation faussée des risques et des avantages qu’ils offrent, faisant craindre des ventes abusives. Des problèmes persistent dans l’offre (risques de conflits d’intérêts, choix limités sur les plateformes numériques) et dans les informations fournies : ainsi il arrive souvent que les périodes de détention recommandées ne correspondent pas aux caractéristiques du produit et à la définition de son marché cible. Par ailleurs les coûts ont sensiblement augmenté : en 2020, le taux de commission européen moyen a augmenté de 1 point de pourcentage pour atteindre 3,3 pour cent mais il peut varier considérablement selon les pays membres, dont six signalent des taux supérieurs à 10 pour cent. Dans la majorité des États membres, il y a une détérioration du rapport qualité-prix de ces produits et l’analyse des réclamations confirme ces inquiétudes car les produits en unités de compte ont concentré la majorité d’entre elles dans le secteur vie. En 2021 le sujet a été identifié comme une priorité au niveau européen et plusieurs actions ont été entreprises au niveau national.

Georges Canto
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