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À tambour battant

d'Lëtzebuerger Land du 09.04.2021

Lorsque les membres d’un jury de festival de cinéma sont divisés quant au choix du lauréat, il arrive que deux films aient à se partager une même récompense. On se souvient par exemple de L’Enfance d’Ivan (1962) d’Andreï Tarkovski, qui remporta in extremis le Lion d’or à la Mostra de Venise contre l’avis de la délégation soviétique, ex-æquo avec La Fille à la valise (1961) de Valerio Zurlini. Même chose pour l’édition de 1979 du Festival de Cannes présidée par Françoise Sagan cette année-là : l’écrivaine avait résolument pris parti en faveur du Tambour, quitte à dénoncer les pressions que son jury avait prétendument reçues pour que la Palme d’or soit remise à Apocalypse Now...

Il était une fois, en Poméranie, la ville libre hanséatique de Dantzig (1919-1939). Vingt années durant lesquelles cette cité peuplée majoritairement d’Allemands fut administrée par la Pologne, tout en bénéficiant d’un statut autonome sous l’égide de la Société des Nations. Entre les deux langues nationales principales, on y parle aussi kachoube, à ce jour le dernier des idiomes poméraniens. À Dantzig naît, en 1927, Günther Grass, dont Die Blechtrommel, publié en 1959, allait connaître un succès littéraire planétaire. De cette œuvre monumentale devenue depuis trilogie, Volker Schlöndorff a adapté au cinéma le premier volet seulement, et de façon très lacunaire (au point qu’une version Director’s cut de 162 minutes a vu le jour en DVD en 2017, enrichie d’une vingtaine de minutes par rapport à la copie lauréate de Cannes). C’est cette toile de fond géopolitique que l’on retrouve dans Le Tambour (1979) de Schlöndorff, quarante ans exactement après les faits. Car la Seconde Guerre mondiale commence à Dantzig. Une fois le bureau de Poste de la ville ravagé par l’armée nazie le 1er septembre 1939, le pays tout entier est envahi par Hitler, suivi quelques jours plus tard de l’armée soviétique en raison du Pacte Ribbentrop-Molotov. Aujourd’hui, Dantzig se nomme Gdańsk. Et si les frontières ont bougé au cours du siècle, la belle cité portuaire demeure, elle, tournée vers la mer Baltique.

Ce sont ces événements que l’on suit au travers de la famille Matzerath, et notamment de son protagoniste et narrateur, le jeune Oscar (David Bennent), qui décida à trois ans de cesser de grandir. Comme Peter Pan. Armé de baguettes et d’un tambour qu’il ne quitte jamais, Oscar met à l’épreuve le monde des adultes, faisant dérailler une cérémonie organisée en l’honneur d’un dignitaire nazie, ou poussant à bout les membres de sa famille pour que ceux-ci révèlent leurs (mauvaises) intentions.

Lors de la Masterclass qui s’est tenue en 2018 dans le cadre du Luxembourg City Film Festival, le cinéaste allemand, né en 1939, avait confié s’être reconnu dans l’histoire de ce petit garçon : « Dès le premier jour de tournage, je m’identifiais totalement [à] lui et je me rendais compte que j’étais en train de travailler sur le trauma de ma propre enfance. J’ai perdu ma mère dans un feu quand j’avais cinq ans et l’histoire de ce petit garçon complètement perdu dans le monde […] et qui a un côté un peu grinçant à vouloir provoquer les adultes, et bien, c’est mon portrait craché... » À côté de cet autoportrait, le scénariste Jean-Claude Carrière, avec lequel Schlöndorff travaille sur le Tambour, insiste de son côté sur l’aspect politique de cette fable. Le film parvient à réunir ces deux regards. La situation triangulaire que connaît alors Dantzig, coincée entre la Pologne et l’Allemagne, renvoie à celle de ce petit garçon qui ignore qui, de Alfred Matzerath ou de Jan Bronski le Polonais, est véritablement son père. C’est aussi celle de sa mère aux mœurs libres qui, lorsqu’elle se promène dans la rue, donne le bras à son mari tout en tendant sa main au second, dans son dos. Le simple fait de marcher et d’aimer est ainsi chose politique.

Le Tambour (1979), vostf, 140’, sera présenté lundi 12 avril à 19h à la Cinémathèque de Luxembourg

Loïc Millot
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