Chronique Internet

Brasilia n’aime pas les cryptodevises

d'Lëtzebuerger Land vom 09.03.2018

Le Brésil se distingue par une approche originale des questions de réglementation des technologies liées à Internet. Il y a quelques jours, sa Commission de surveillance de la bourse, la Commissão de Valores Mobiliários (CVM), a décidé de suspendre la levée de fonds lancée par une entreprise active dans le domaine du « mining » de bitcoins. HashBrasil s’adressait aux investisseurs pour financer l’achat d’équipements spécialisés, surtout de cartes graphiques de haute performance, avec lesquelles sont effectuées les opérations qui permettent d’engranger des cryptomonnaies nouvellement émises. La CVM a estimé que l’offre de HashBrasil revenait à proposer des contrats relevant de la législation sur les titres. HashBrasil a été menacée d’une astreinte de 5 000 réals, près de 1 300 euros, si elle ne se soumettait pas à la suspension. L’entreprise visée n’a pas insisté, annonçant quelques jours plus tard qu’elle cessait ses opérations.

Alors que son voisin au Nord, le Vénézuéla, a choisi de se jeter dans l’aventure des cryptodevises en lançant dans des conditions rocambolesques un sulfureux « Petro » indexé sur les hydrocarbures, le Brésil officiel cache de moins en moins son aversion à l’égard des cryptodevises. En octobre dernier, le gouverneur de la banque centrale du pays, Ilan Goldfajn, avait estimé que le bitcoin relève d’un système pyramidal, c’est-à-dire d’une escroquerie dans laquelle les sommes versées par les nouveaux entrants servent à rémunérer les investisseurs précédents et où les titres vendus ont peu ou prou de valeur, mettant en garde contre le risque de bulle.

Il n’est pas simple pour une autorité boursière nationale de réguler de manière draconienne les cryptodevises dès lors que celles-ci s’échangent librement au-delà des frontières. Les pays qui s’y sont essayés ont souvent dû se contenter de valses-hésitations, fermant ou bridant des entités sur lesquels leurs instances de régulation ont une prise – comme par exemple en Corée du Sud où les bourses d’échanges de cryptodevises ont été fermées à l’automne dernier (avant que le pays n’annonce en janvier vouloir entièrement interdire le commerce de cryptodevises) – mais se gardant d’édicter des mesures n’ayant aucune chance d’être mises en œuvre. En janvier dernier, la CVM avait indiqué aux gestionnaires de fonds d’investissement que les cryptodevises ne sauraient être considérées comme des actifs financiers et que, par conséquent, leur acquisition par des fonds d’investissement n’était pas autorisée. En même temps, la CVM avait manifesté son désarroi face à ces monnaies en reconnaissant n’être pas encore parvenue à une conclusion quant à la possibilité d’y investir par le biais de fonds situés à l’étranger. En attendant, elle recommandait aux agents intéressés par de tels investissements indirects d’attendre que les autorités arrêtent leur position quant à la légalité de telles opérations.

Il y a deux ans, le monde s’était esclaffé lorsque des juges brésiliens avaient, à deux reprises, cherché à bloquer Facebook ou sa filiale WhatsApp parce que le réseau social n’avait pas donné droit à leurs demandes. En octobre 2016, un juge de Joinville avait imposé une astreinte quotidienne de 30 000 réals et demandé à l’autorité des télécommunications Anatel de bloquer le réseau dans le pays entier parce que celui-ci avait refusé de supprimer un compte qui se moquait d’un homme politique local. En juillet de la même année, un juge avait ordonné la saisie de 19,5 millions de réals appartenant à Facebook pour punir l’entreprise de ne pas avoir transmis le contenu de messages échangés sur WhatsApp par des personnes suspectées d’être des trafiquants. À présent, c’est la CVM et la Banque centrale qui adoptent une attitude des plus frileuses à l’égard des cryptodevises. Alors que de nombreux pays ont appris, à leurs dépens, que toute précipitation dans ce domaine sombre facilement dans le ridicule, le plus grand pays d’Amérique du Sud adopte à l’égard des cryptotechnologies une approche susceptible de flatter les instincts nationalistes de certains de ses citoyens, mais très probablement vouée à l’échec.

Jean Lasar
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