Victor Ferreira

Un héros très discret

d'Lëtzebuerger Land vom 11.11.2011

Vous l’avez peut-être déjà croisé en faisant vos courses au supermarché ou en mettant de l’essence dans votre voiture. C’est peut-être avec lui que vous avez discuté la dernière fois que vous avez été chercher vos enfants à l’école. Lui, c’est Victor Ferreira, 38 ans, marié, deux enfants, graphiste de profession et accessoirement nouvelle sensation de la scène musicale luxembourgeoise sous le pseudonyme Sun Glitters.

Son histoire est un véritable conte de fées aux normes du web 2.0. Actif dans la musique électronique au sens large depuis 1998 sous le pseudonyme de Sug(r)cane, il a pris en 2011 une autre dimension. Il y a neuf mois, il se demandait encore quelle direction donner à sa carrière musicale, aujourd’hui il revient de deux concerts en Angleterre et cinq à New York (ces derniers dans le cadre du prestigieux festival CMJ, décrochés avec l’aide de la plate-forme luxembourgeoise à l’export Music:LX) et est actuellement sur la route pour une tournée européenne de 21 dates dans quinze pays. Il fut mis à l’honneur comme « artist of the day » sur The Guardian, son album a été chroniqué sur les sites de référence Resident Advisor et XL8R, il a été mis en avant sur le portail indépendant par excellence, Pitchfork, et il vient de donner une interview pour les magazines Fader et Dazed [&] Confused. Tout seul, sans avoir l’air d’y toucher, Victor Ferreira a mis le Luxembourg sur la carte mondiale de l’électronique.

Alors comment en est-on arrivé là ? Comment un musicien underground d’un petit pays arrive à rassembler plus de 4 500 fans sur sa page Facebook en moins de six mois en faisant une musique dont pas une seule note ne peut être considérée comme commerciale ? Voici la belle histoire de Sun Glitters.

Les termes chillwave, wonky beats ou post-dubstep ne vous disent peut-être rien. C’est sous ces appellations un peu barbares pour le non-averti qu’est caractérisée la musique de Victor Ferreira. Des styles qui évoquent des textures, des nappes, des rythmiques cassées, des voix éthérées comparables à ce que peut faire un artiste majeur des cinq dernières années venu du Royaume-Uni, le mystérieux Burial. « Les influences rock de mes débuts, et principalement shoegazing, que l’on pouvait retrouver dans Sug(r)cane apportent clairement une nouvelle respiration à une scène chillwave qui commençait à s’essouffler, » précise Victor. Le son qu’il préfère est toujours celui de ses clés de voiture, mais tout est plus travaillé maintenant : « Sug(r)cane sonnait plus lo-fi, c’est vrai que j’ai fait un effort sur le son, surtout pour les aspects vocaux et rythmiques » confie Victor.

C’est en offrant une musique hybride faite de post-dubstep (Burial donc, grosse influence au niveau des voix), broken beats (on pense à Flying Lotus) et empruntant des éléments shoegazing (Victor est un grand fan de My Bloody Valentine) qu’il a pu se faire remarquer dans une communauté très active sur le web. Car si la musique a évolué, c’est bien la toile qui fut l’élément déclencheur : « J’ai envoyé des morceaux à certains blogs qui ont aimé, et la machine s’est mise en route comme cela, » précise Victor. De par la nature underground de ces styles musicaux, les blogs sont en effet un terrain de défrichement privilégié et regroupent une communauté d’auditeurs fidèles n’hésitant pas à propager la bonne parole. Il ne fait aucun doute que l’information ne serait jamais parvenue aux oreilles de Pitchfork sans le coup de pouce de tous ces anonymes partout dans le monde (dont soit dit en passant Victor pourrait être le père).

Fort de cette vague positive et d’une reconnaissance croissante, Victor dit se sentir enfin dans la peau d’un véritable artiste. Pas celui qui pose pour des photos (même si c’est maintenant le cas), mais plutôt celui qui discute avec son auditoire et qui surtout se sent investi de nouvelles missions : ne pas décevoir, voire surprendre un public acquis, faire découvrir sa musique à plus grande échelle, concrétiser ses nouvelles envies, établir des ponts avec d’autres artistes qu’il apprécie (Balam Acab par exemple, avec qui pas mal de similarités peuvent être tracées). Bref, faire de la musique pour les autres et non plus pour lui. L’avenir, après la sortie récente d’un album de remixes, c’est la parution d’un maxi (12’’) et un deuxième album en préparation, qu’il veut être à la hauteur de Everything could be fine, son premier disque. Les négociations pour le label sont en cours, mais la sortie devrait se faire sur une enseigne plus prestigieuse que LebensStrasse Records qui a sorti le premier opus.

Afin d’être prêt pour cette tournée qui s’achèvera par deux dates luxembourgeoises, Victor a pris un congé sans solde de deux mois et a travaillé sur la transcription de ses morceaux en live, avec l’appui de projections vidéo. Il veut marquer le coup et profiter de son petit succès actuel afin de redéfinir ses ambitions futures mais aussi d’en faire profiter d’autres : « Je dois tellement de choses à plein de gens qui m’ont aidé et supporté depuis des années, j’aimerais vraiment rendre la pareille et donner un coup de pouce à d’autres artistes luxembourgeois, » glisse Victor avec enthousiasme.

Personnalité modeste, attachante et avec une tête bien vissée sur les épaules, Victor n’oublie jamais de mentionner l’importance de sa femme dans son épanouissement musical : « Elle est compréhensive et motivante, c’est important ». Car Sun Glitters est une histoire de familles en fait : une famille proche qui stimule, épaule, encourage et qui se retrouve sur les pochettes des disques (sa fille sur Everything could be fine), une famille musicale luxembourgeoise qui n’a cessé de le soutenir, l’Exit07 et le D:qliq en tête, et une grande famille d’inconnus du monde entier reliés par des réseaux sociaux, qui ont compris qu’on tenait là un artiste, un vrai.

Sun Glitters sera le 25 novembre à la Rockhal dans le cadre du festival Sonic Visions avec entre autres Metronomy, The Drums et Yuksek ; infos :www.rockhal.lu. Un showcase en guise de warm up de ce concert aura lieu le 24 novembre à L’Exit 07 ; www.rotondes.lu.
Sébastien Cuvelier
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