Architecture

La marge de Luxembourg

d'Lëtzebuerger Land du 23.12.2022

Connu comme réalisateur et producteur de documentaires, Yann Tonnar retrouve la photographie avec Stadtrand. Si l’image en mouvement est plutôt son domaine, il revient ici à sa première pratique comme photographe en se déplaçant lui et non l’image. Durant l’année 2021, il est monté sur son vélo pour suivre les chemins périphériques autour de la ville et en revenir avec un reportage mi-sociologique, mi-esthétique.

Cette double approche permet à la fois une exposition au Luxembourg Center for Architecture (Luca) où les images participent de l’analyse de l’évolution urbaine. Elles aussi sont exposées en pures images au Projects Nosbaum Reding. Les deux expositions Stadtrand partagent un sujet qui n’attire pas nécessairement l’attention. C’est donc bien le regard du visiteur, qu’il soit amateur de photographie (chez Nosbaum-Reding) ou professionnel de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement (au Luca) qui est invité à scruter ce qu’on pourrait appeler en français des « non-lieux ».

C’est l’ethnologue et anthropologue Marc Augé qui, en 1992, c’est-à-dire voici trente ans, utilisait ce terme pour analyser le début de notre époque, et plaidait pour ce qu’il était encore possible de faire pour habiter le territoire, se croiser, y créer de la cohésion sociale. C’était au début des autoroutes construites et virtuelles qui rendaient l’individu apparemment libre mais solitaire. L’opuscule eut un succès retentissant dans les écoles d’architecture. Aujourd’hui, ceux qui sont à l’avant-garde de la profession, plaident pareillement, mais en quelque sorte comme le verso d’Augé : pour maintenir en friche ces franges de la ville. Elles seraient prometteuses d’auto-suffisance alimentaire car cultivable, de vivre ensemble, d’échanges et de partage. Les photos de Stadtrand, c’est la bataille du lieu commun (commun ground en anglais) en guerre contre la globalisation et l’individualisme, en n’appartenant à personne et donc à tout le monde.

Philippe Nathan et Norry Schneider animeront en début d’année prochaine, inaugurant ainsi la programmation 2023 du Luca, une rencontre autour de cette « ceinture vitale » et le Français David Mangin, architecte et urbaniste, Grand Prix d’architecture, viendra parler de « (dé)construire la périphérie autrement ». Le Luca s’affiche ainsi résolument critique.

Mais au fait quelles images de quelle périphérie urbaine Stadtrand diffuse-t-elle ? Si le Luca est le lieu des débats, c’est à la galerie Nosbaum-Reding qu’il faut se rendre, pour voir, dans l’accrochage proposé par Yann Tonnar, ce que sont ces « non-lieux » si convoités par l’extension urbaine. Pour les rendre désirables à l’œil du visiteur, Tonnar a organisé des séries non dénuées d’esthétique, où le plein contraste avec le vide. La forme rectangulaire d’un dessous de pont versus la façade latérale d’un bâtiment fonctionnel, le plein de la façade arrière d’un hangar et le plan d’un terrain de sport. Ou les bancs des joueurs, design, contrastant avec un banc improvisé en lisière de forêt.

Des murs et des clôtures, cela se décline de diverses manières : en mur de chantier peint en bleu, en une paroi rabattue d’un transport exceptionnel (d’arbre adulte), en barrières qui ferment la route, en méchants travaux de maintenance qui font obstacles aux piétons, ou en trou dans un mur où un coup de vent a arraché une bâche… Il y a d’autres exemples associés quoi que paradoxaux dans Stadtrand : la décharge de terre et la terre labourée où – symbole par excellence – le Kirchberg* (et pourquoi pas le Ban de Gasperich ?) et ses tours émergent à l’horizon.

De fait, on reconnaît peu de lieux dans les photographies de Stadtrand. Le contenu de l’image prévaut sur sa localisation : autoroute contre chemin forestier, transformateurs électriques et lampe de rue au milieu de nulle part. Les déchetteries sauvages bien sûr font partie du programme de défiguration du paysage, comme la villa en démolition et le hangar tout confort, doté d’une parabole et de la climatisation… Yann Tonnar a aussi « fixé » plusieurs vues de cabanes de jardin bricolées, de trampolines monté pour les enfants dans des jardins pas forcément léchés.

Stadtraum, l’exposition de photographies est à voir au Projects Nosbaum Reding jusqu’au
14 janvier et au Luca jusqu’au
13 janvier. Programme des conférences et workshop sur luca.lu

Marianne Brausch
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