Au poil

d'Lëtzebuerger Land du 02.03.2018

Le 3 mars, sera célébrée la journée internationale de la vie sauvage. Ce sera donc, mathématiquement parlant, la plus grande fête de l’année. Oubliez le 8 mars, journée internationale des droits des femmes, qui ne concerne que la moitié des sept milliards d’humains, soit environ 3,5 milliards de personnes. Samedi, il va falloir souhaiter bonne fête à 19 milliards de rats, l’espèce sauvage la plus répandue, ainsi qu’à quelques milliards d’autres animaux peuplant nos forêts, nos océans, nos airs et, pour les plus affectueux, nos penderies et nos literies. Vous pourrez également avoir une pensée pour les quelques 3 500 tigres, 20 000 rhinocéros, 30 000 lions, 100 000 girafes, 100 000 gorilles ou les 150 000 chimpanzés qui vivent encore à l’état sauvage. Ces chiffres font évidemment froid dans le dos quand on les compare, par exemple, à la population de notre pays. On compte donc aujourd’hui, sur notre planète, plus de Luxembourgeois que la somme de tous les survivants de ces espèces emblématiques de la diversité naturelle. Autrement dit, chacun d’entre nous pourrait adopter un de ces animaux sauvages.

D’ailleurs, un tel parrainage ne serait pas forcément une idée incongrue dans la mesure où les températures glaciales de ces derniers jours nous ont apporté, de nouveau, la vision de vieilles en vison devisant en ville. C’est sans doute le niveau de vie élevé de la capitale qui permet de croiser, dans un habitat naturel s’étendant sur un périmètre principalement situé entre le Limpertsberg et Bel-Air, avec une concentration particulière rue Philippe II et Grand-rue, autant d’animaux sauvages transformés en confortables et onéreux manteaux : visons, zibelines, renards argentés, castors ou rats musqués ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour contribuer à la multiplication des looks Cruella d’Enfer pour madame, grizzly pour monsieur, qu’on croyait pourtant socialement inacceptables depuis les campagnes de l’association PETA où des top-modèles déclaraient préférer être à poil plutôt qu’en fourrure (c’était avant les campagnes #MeToo où l’on apprenait, visiblement, qu’elles auraient sans doute préféré, en réalité, être habillées d’une armure pour certains shootings avec des photographes professionnels).

Depuis quelques années, la fourrure n’est pas réservée qu’à quelques vieilles fortunes, à la peau tannée par les heures passées en croisière ou dans les salons de bronzage, abritant leur lifting derrière des couches de fond de teint et des lunettes Gucci surdimensionnées, mais s’est relativement démocratisée, sous une forme un peu plus minimaliste : le collier de poils qui orne les capuches des doudounes, pour les hommes comme pour les femmes. Il n’est plus rare, en effet, de croiser des individus arborer un feston de longs poils soyeux au revers de leur capuche. Ce second retour en grâce du poil fait suite, sans doute, à la multiplication des barbes masculines qui avait déjà revalorisé notre côté « Néandertal ». Il est d’autant plus surprenant qu’aucun d’entre nous n’aurait accepté de s’accoutrer de la sorte si ses parents l’avaient demandé. On peut spéculer, au choix, sur une future mode du passe-montagne qui gratte ou, sans doute tout aussi désagréable, sur une troisième vague de mode du poil, qui passerait par l’abandon de toute forme d’épilation. Quoi qu’il en soit, les poils sont de sortie, pour le meilleur et pour le pire, pour l’homme des cavernes comme pour la femme du Kirchberg.

Le propos n’est pas ici de stigmatiser les plus riches, même si l’exercice a toujours des vertus roboratives, surtout quand il cible ceux dont le mauvais goût est proportionnel au compte bancaire. Il semble en effet un peu malhonnête de jouer à la police des pelisses, et prendre pour prétexte le bien-être des animaux, de toute façon déjà bien mis à mal par les duvets qui garnissent nos vêtements, la laine qui sert à tricoter nos pulls ou le cuir qui sert à faire nos chaussures (sans parler du filet américain de hier midi ou de la tartine de Kachkéis de ce matin). L’étonnement provient plutôt de la capacité de nos mentalités à transformer les symboles du « mal » en modèles du « cool », en à peine quelques années. Il est peu probable que les animaux tués pour nous tenir chaud aient été chassés par des braconniers sans foi ni loi. Ce sont certainement des animaux d’élevage, quand ils ne sont pas tout simplement inexistants, la fourrure synthétique résultant des miracles de l’industrie moderne pour lesquels les seules victimes à déplorer sont les élèves des filières scientifiques qui doivent subir d’interminables cours de chimie organique. Toutefois, on remarquera que le projet de loi n°6994, sur la protection des animaux, actuellement au stade des amendements parlementaires, vise à interdire l’élevage d’un animal en vue de l’utilisation principale de la peau, de la fourrure, des plumes ou même de la laine. La dignité et le bien-être de l’agneau seraient donc mieux préservés par un élevage visant à le transformer en gigot et en chapelet de merguez que par des tontes régulières pour prélever sa laine. Esthétiquement, quand on voit un mouton rasé de près, ça se défend, mais il n’est pas certain qu’on ait demandé l’avis à l’animal concerné. Quoi qu’il en soit, pour nous réchauffer, il ne restera plus que des Mettwurschten bien chaudes, les sous-pulls en tergal, les feux de cheminée et, sans doute le plus écologique d’entre tous, les câlins… à poil sous la couette.

Cyril B.
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