Entretien avec Lucien Lux (LSAP)

« Je suis un homme heureux »

d'Lëtzebuerger Land vom 06.08.2009

d’Lëtzebuerger Land : Vous avez dédicacé votre premier discours dans votre nouveau rôle de président du groupe parlementaire du LSAP à la Chambre des députés, jeudi dernier, à tous les gens qui ont peur de l’avenir, qui ont perdu leur emploi ou sont marginalisés d’une manière d’une autre. On y a reconnu l’engagement social de l’ancien syndicaliste que vous êtes, une thématique que vous aviez quelque peu abandonnée depuis 2004…Lucien Lux : …C’était une vraie jouissance que de reparler de ces sujets ! Voyez-vous, je sens, notre parti aussi sent que nous avançons à reculons dans ce pays. Il m’importait donc de prendre clairement position pour les valeurs sociales, celles qui devraient être le « label LSAP ». Ces valeurs ne sont plus les mêmes que dans les années 1960 ou -70 – à l’époque, en 1978, quand j’ai commencé au LAV, le précurseur de l’OGB-L, la défense de la politique sociale « classique » se concentrait sur les assurances sociales, la lutte contre les effets de la crise et le chômage. 

Aujourd’hui, la politique sociale s’est déplacée dans d’autres domaines, notamment l’école, où Mady Delvaux s’engage à donner les mêmes chances de réussite scolaire à tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale, ou encore la soli­darité intergénérationnelle, notamment pour les retraites. Ces thèmes sociaux sont mon humus, je les porte en moi quoi que je fasse, même si durant cinq ans, j’ai côtoyé d’au­tres couches, avec les ONGs dans le domaine écologique, Greenpeace, Mou­vement écologique, et ainsi de suite… D’ailleurs, je suis persuadé que notre parti devra réussir à concilier les deux – défi social et défi écologique – s’il veut conquérir de nouveaux électeurs. 

Revenons quand même aux élections législatives du 7 juin : Vous y avez perdu plus de 6 000 voix personnelles par rapport à votre score de 2004. Dans l’immédiat, vous vous disiez persuadé que cela était dû aux deux grandes décisions impopulaires que vous aviez prises durant votre mandat au ministère de l’Environnement et à celui des Transports : l’introduction de la taxe automobile écologique et la limitation du taux d’alcoolémie pour conducteurs à 0,5 pour mille, ainsi que, en partie, à une campagne de dénigrement à votre encontre. Quelle est votre analyse de cette défaite deux mois plus tard ? Ma façon de faire, très volontariste, était presque une garantie d’échec aux élections. Même si je n’ai jamais rencontré autant de gens qui me soutiennent, qui m’encouragent et me félicitent pour ce que j’ai fait que depuis le 7 juin, des gens qui trouvent que j’ai pris des décisions qui s’imposaient. Les deux décisions dont vous parlez furent des décisions communes, d’abord du gouvernement, puis avalisées par le Parlement – la loi sur les 0,5 pour mille a été adoptée par 55 des soixante députés ! Et pourtant, je me suis senti bien seul lorsque les réformes sont entrées en vigueur, quand je regardais derrière moi, il n’y avait personne pour me soutenir face aux mécontents. La même chose était le cas pour le projet de loi sur la chasse – les chasseurs estimaient que c’était une loi contre eux, les défenseurs des droits des animaux me reprochaient d’encourager la chasse – ou ma décision de ne pas faire abattre les cormorans, par laquelle je me suis fait beaucoup d’ennemis parmi les pêcheurs, alors même que leurs fédérations n’ont jamais demandé qu’on les abatte… 

À tous ceux-là s’ajoutèrent les ennemis du tram, et me voilà perdant.Pour ce qui est de la taxe automobile toutefois, j’ai aujourd’hui la satisfaction qu’en 2008, les émissions en CO2 ont baissé pour la première fois au Luxembourg, et si cette baisse est due en partie aux effets de la crise économique, elle l’est aussi aux six pour cent de réduction des voitures des résidents. Nous comptons 24 pour cent de voitures à émissions réduites dans le parc automobile luxembourgeois actuellement, contre six pour cent en 2004 et en 2008, 45 pour cent des nouvelles voitures payaient moins de cent euros annuels en taxe automobile. J’estime que c’est un succès, même si moi, je me suis fait écraser sous ces nouvelles voitures...

Est-ce que vous auriez voulu rester ministre et président du groupe parlementaire ne serait alors qu’un lot de consolation ? Ou étiez-vous conscient qu’il fallait partir ? Dès le 8 juin, je savais qu’il fallait que je quitte le gouvernement. Je fais ce métier depuis bien assez longtemps, et je respecte notre système électoral à tel point que je sais ce que les électeurs expriment par les scrutins personnels auxquels ils tiennent tant : perdre au­tant de voix personnelles est un message fort de leur part. Alex Bodry et Lydia Mutsch s’étaient classés avant moi, ils auraient assumés la charge ministérielle aussi bien que moi.

Et puis le président d’un groupe parlementaire de la majorité a un rôle important à jouer. Cela me permettra aussi de travailler de manière transversale, de toucher tous les thèmes politiques actuels.

Vous n’êtes donc pas déçu ou aigri ?? Vous savez, je me suis présenté une première fois à des élections en 1987, aux municipales à Bettembourg, et le soir, je me suis retrouvé bourgmestre. En 1989, j’ai tout de suite été élu député, cinq fois réélu dans les deux mandats. Je me considère gâté par le suffrage universel. Donc, lorsque le vent tourne une fois, je ne veux pas me plaindre. Aujourd’hui, je suis un homme heureux et, en regardant ma carrière politique, je pourrai dire que j’ai à peu près assumé tous les rôles possibles. 

Je suis persuadé que, si les élections avaient eu lieu en décembre 2008, je n’aurais plus été élu du tout, même pas député suppléant. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de retrousser les manches et de me battre pour défendre mon bilan. J’espère que ces cinq prochaines années de la législature, mon parti assumera les décisions qu’il prend comme un seul homme, qu’il soutiendra celui ou celle qui aura à défendre des mesures peut-être impopulaires.

Vous vous disiez, toujours lors du même discours, extrêmement critique vis-à-vis du grand ministère du Développement durable de Claude Wiseler, qui pourrait à vos yeux avoir du mal à prendre une décision objective pour la protection de l’environnement si le même ministre qui dépose un projet de construire une route décide de son impact écologique. Est-ce impossible, selon votre expérience ? Disons : je crois que c’est extrêmement difficile. Durant mon mandat, je n’ai eu qu’un seul dossier où j’étais en conflit avec moi-même, c’était celui de l’aviation : je devais, en tant que ministre de l’Environnement, prendre très au sérieux les enjeux de la pollution, en émissions de gaz à effets de serre aussi bien qu’en nuisances sonores. Et en même temps, en tant que ministre des Transports, je devais veiller à ce que la nouvelle aérogare soit une réussite et puisse se développer, tout comme la santé des sociétés Luxair et Cargolux devaient me tenir à cœur… Et déjà, les citoyens me reprochaient de ne pas être objectif. Le « superministère » aura à concilier de tels intérêts divergents au quotidien, voyez par exemple la construction de routes… Le ministre en charge, Claude Wiseler, a estimé lors d’une interview télévisée que cette constellation lui permettait d’accélérer les procédures, c’est peut-être vrai, mais il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment de la nature.

De toute façon, je plaiderai pour qu’on se concerte, pourquoi pas parmi tous les partis, deux ans avant les prochaines élections, sur une meilleure organisation des ressorts ministériels et qu’on fixe alors, hors de tout enjeu personnel ou de stratégies de pouvoir, la meilleure structure possible pour un gouvernement. Cela éviterait de tomber dans les demi-mesures – comme : pourquoi est-ce que le CSV n’a pas voulu attacher les Classes moyennes à l’Économie par exemple ? – et les électeurs sauraient à quoi s’attendre. 

Vous présidez une fraction très modeste de treize députés, soit la moitié de ceux du CSV. Comment ferez-vous pour vous affirmer face à un partenaire de coalition aussi surpuissant ??J’ai dit, la semaine dernière, que 26, c’est beaucoup, mais ce n’est pas 31. Ce à quoi Jean-Claude Juncker a répondu : oui, mais treize, ce n’est pas 26 ! Les deux sont vrai… Notre meilleure chance de nous défendre, c’est de travailler, et travailler beaucoup, maîtriser à fond tous les dossiers. D’ailleurs, je vais profiter de l’été pour organiser notre équipe de façon à ce que tout le monde soit prêt en automne pour attaquer cette nouvelle législature. 

Cette inégalité numérique est aussi la raison pour laquelle j’ai tenu à définir le périmètre dans lequel nous nous situons, ce qui est possible avec le LSAP et ce qui est hors de question – comme : nous n’accepterons aucun démontage social ! En même temps, en lisant le programme de cette coalition, on se rend compte qu’il est très fortement marqué par la signature social-démocrate, nous ne nous sentons donc pas si inférieurs... 

Ne croyez-vous pas qu’il sera difficile de faire un travail parlementaire indépendant vis-à-vis du gouvernement alors même que vous et votre homologue du CSV, Jean-Louis Schiltz, êtes d’anciens ministres – et d’anciens collègues des membres du gouvernement. N’y a-t-il pas un risque de trop de collégialité, voire de complaisance ? Oh, vous savez, cela va très vite. On reprend son indépendance très rapidement. Personnellement, rien ne me retient de travailler de manière tout à fait indépendante, j’aime parler du contenu politique. Ceci dit, nous allons sans conteste être associés de très près au travail de l’exécutif, d’ailleurs Jean-Claude Juncker nous a déjà proposé d’assister régulièrement aux réunions du conseil de gouvernement, lorsque l’actualité politique le demande – ce qui constitue une nouveauté.

Quelles sont les priorités politiques dans votre agenda ?? Très vite, et de façon continue, nous devons suivre l’évolution des finances publiques, ce qui nous permettra aussi d’établir les priorités des projets à réaliser et à en remettre d’autres à plus tard, et ce dès l’automne, dans le cadre de l’établissement du budget d’État pour 2010. Puis nous devrons nous consacrer au système des pensions, où nous allons nous concerter avec le ministre de la Sécurité sociale, Mars di Bartolomeo, afin de voir comment nous pouvons pérenniser notre système actuel en adaptant certains de ses facteurs constitutifs. Et en troisième, il me semble qu’il faudra nous consacrer à la réforme du projet dit 5611 sur le chômage des jeunes afin que nous soyons prêts à leur donner les meilleures chances possibles sur le marché de l’emploi. Là aussi, nous allons travailler avec le ministre en charge, Nicolas Schmit.

Sur les treize élus, le LSAP ne compte que deux nouveaux, Claude Haagen, élu au Nord et Ben Scheuer à l’Est – ce dernier étant aussi le plus jeune député, avec ses 28 ans. Avec 51 ans, la moyenne d’âge est assez élevée. Ne faut-il pas s’inquiéter du renouveau du parti, aussi en vue des législatives de 2014 ? Si les nouveaux talents ne se forment pas au Parlement, où est-ce que cela se ferait ?Le renouveau ne se laisse pas décréter, ce sont les électeurs qui le décident. Mais je ne suis ni inquiet ni pessimiste, nous ne manquons pas de nouveaux talents, ils pourront le prouver lors des élections communales de 2011. 

Comment voyez-vous l’opposition politique, avec le retour de La Gauche, des Verts très stables, un ADR affaibli et un DP qui joue le renouveau, avec son président de fraction, Xavier Bettel, très motivé et offensif ? C’est excitant. Je trouve très bien que l’opposition s’affirme, j’ai toujours été très respectueux du Parlement du temps où j’étais ministre et je veillerai à ce que les membres du gouvernement actuel le soient aussi. La Chambre des députés est pour moi la première scène du débat politique, et un vrai débat sert la société. Ceci dit, j’ai horreur de la « politique spectacle » et je me vois un peu en gardien du temple, pour que les débats gardent un certain niveau et que nous fassions de la politique avec un grand P.

Quatre de vos députés sont aussi maires, presque tous sont engagés localement, soit en tant qu’échevins ou conseillers communaux. Comment est-ce que l’incompatibilité des mandats nationaux et locaux, sur laquelle les partenaires de coalition veulent réfléchir, pourrait fonctionner ??Il est déjà certain que rien de concret ne se fera dans ce domaine durant cette législature ! Il s’agit là d’une demande du CSV, qui veut qu’on y réfléchisse – probablement aussi parce qu’il n’a pas la même implication locale que le LSAP. Mais je considère que nous n’avons pas assez de personnel politique pour décréter cette incompatibilité, et que cette voix des élus locaux est aussi une voix importante au Parlement. Personnellement, j’ai concilié les deux mandats durant quinze ans et j’ai trouvé que, en se levant tôt et en s’organisant bien, c’est tout à fait jouable. 

Serez-vous alors candidat aux municipales de 2011 ?? Ah non ! J’ai tout donné ! ((éclate de rire)) J’ai déjà dit à mon parti, lors de nos premières réunions de préparation sur le sujet, que je n’étais pas disponible… 

josée hansen
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