Lost in the Stars

Au diable demain!

d'Lëtzebuerger Land vom 21.02.2002

C'est un univers où tous les mecs s'appellent Johny et sont aventuriers, marins, cow-boys ou soldats - en tout cas, tous cherchent le grand large. Mais les femmes qu'ils désirent ne veulent qu'une chose: qu'ils restent avec elles, sédentaires. «Soldaten wohnen / auf den Kanonen» chante Frédéric Frenay avec une incroyable force vocale que l'on découvre ici, bien qu'il ait été chanteur d'un groupe de rock durant dix ans. 

Son talent de chanteur, Sascha Ley l'a probablement découvert lors de la West Side Story de Claude Mangen, en été 2000 à Wiltz; les deux acteurs ont retravaillé ensemble dans Messer in Hennen de David Harrover, la saison dernière au Casemates. Le spectacle Lost in the stars, composé de chansons de la période américaine de Kurt Weill, nous le devons au désir des deux interprètes et cela se sent : ils s'éclatent sur scène.

Pour Lost in the stars, Sascha Ley et Frédéric Frenay ont su bien s'entourer : Georges Letellier au piano - il signe aussi la majorité des arrangements -, Claude Pauly à la guitare, Lis Berg au violoncelle et Vania Lecuit au violon. Ce sextuor (à parité hommes-femmes!) symbolise à lui seul toute la richesse de la musique de Kurt Weill, qui se servait - dans la première moitié du vingtième siècle déjà - de tous les registres de la musique, populaire, classique, jazz, rock, pour ses spectacles musicaux.

Lost in the stars se nomme ainsi d'après la tragédie musicale que Weill (né en 1900 à Dessau, en Allemagne) écrivit en 1949, un an avant sa mort. On dit qu'il y avait deux Kurt Weill : d'abord l'Européen qui, en 1935, fuit les nazis qui avaient interdit que son oeuvre soit encore joué. Il élut alors domicile à New York et considéra dès lors le Broadway comme sa patrie. Ce sort de tant d'autres persécutés ressemble aussi très fortement à celui de Lola Blau, ce personnage de George Kreisler que Sascha Ley interpréta avec autant de succès que de brio.

Qui pense Kurt Weill pense bien sûr d'abord Bert Brecht, l'Opéra de quat'sous et surtout le fameux Mackie Messer. Sascha Ley et son équipe en font comme un hymne ou un signe de reconnaissance et d'identification pour le public, en l'évoquant par  quelques notes jazzy par-ci, plus rock par-là, en intermezzo classique ou la chanson entière jouée en rappel.

«Mit Morgen könnt ihr mich !»chante Sascha Ley, au diable demain ! Car dehors, la guerre ravage le monde, les hommes partent en guerre et ne renvoient que des voiles de deuil à leurs femmes. Le monde n'est qu'injustice sociale ? Allons boire un coup ! Les chansons et spectacles de Kurt Weill jouent dans le milieu des bars et des voyous, des prostituées, des joueurs et des fêtards, tous pacifistes. Sa musique cherche à les suivre dans les périples de la vie, entre swing, bossa-nova, jazz ou rythmes plus classiques. 

Un régal pour les musiciens et musiciennes, qui peuvent se frayer un chemin à travers ces espaces de liberté. Sur la scène du studio-brasserie des Capucins, ils s'y adonnent à coeur joie, s'accordent de longues plages d'improvisations. L'ensemble est souvent surprenant, toujours excellent. Où on découvre d'autres facettes de Vania Lecuit, de Lis Berg ou de Claude Pauly, et où Georges Letellier s'impose comme accompagnateur et arrangeur.

Plus soirée de chansons que spectacle théâtral, il manquait néanmoins peut-être un regard extérieur, celui d'un metteur en scène ou d'un dramaturge. Car il y a des longueurs, le public reste complètement à distance durant quasiment toute la première partie, jusqu'à l'impressionnant Apple Jack, lorsque le swing l'emporte. Durant la deuxième moitié, les chansons ont plus de pep, les musiciens aussi semblent se décontracter. 

Au Capucins, le spectacle souffre surtout des mauvaises conditions : l'acoustique est exécrable dans cette salle, le décor miteux, les musiciens, qui jouent sur une minuscule scène légèrement surélevée, sont à l'étroit avec leur matériel, on ne voit pas ceux du deuxième rang, cachés derrière leur pupitre. Et surtout : le public est gardé à distance. Trop, pour ce genre de spectacle musical. 

Mais ce n'était que la première représentation mardi, les choses vont se roder. Et le spectacle devrait tourner un maximum pour acquérir cette décontraction et cette souplesse mauvais garçon nécessaire pour nous faire vivre leurs histoires de bars.

Le spectacle Lost in the Stars composé de chansons de Kurt Weill (anglais / allemand) avec Sascha Ley, Frédéric Frenay, Georges Letellier, Claude Pauly, Lis Berg et Vania Lecuit sera encore donné ce soir et mardi 26 février à 20h30 au Studio brasserie du Théâtre des Capucins ; téléphone pour réservations : 22 06 45. Les 5, 6, 7 et 9 mars, il se jouera au Café-théâtre L'Inouï à Rédange ; téléphone : 26 62 02 31 ou www.inoui.lu.

josée hansen
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