Saison théâtrale 2019-20

On sort du caveau…

d'Lëtzebuerger Land du 27.09.2019

C’est la 46e saison du Théâtre du Centaure, petite salle voutée du centre-ville. Initié par l’équipe dirigée par Myriam Müller, le Centaure a connu ces dernières années un remaniement assez exemplaire, poussant à ses retranchements les possibilités de l’espace, les goûts du public, et motivant de plus en plus d’actions hors les murs.

Alors que l’année dernière, le théâtre de la Grand-rue se positionnait comme une scène militante, tournée vers un art de révolte et pestant face aux budgets alloués aux petites institutions, cette saison, l’équipe semble adoucir un poil son discours pour se positionner dans le constat des effets des changements sociopolitiques de notre monde et respirant de quelques milliers d’euros supplémentaires dans ses caisses.

Cette année encore, outre un budget supérieur, la convention du ministère de la Culture étant passée de 105 000 à 155 000 euros, le Théâtre du Centaure continue de faire au-delà de ses possibilités, au bonheur de son public. Les subventions ont enfin bougé, et la notion « d’amateurisme » que soulignait Jules Werner l’année dernière apparaît doucement comme de l’histoire ancienne.

D’autant que, rappelons-le, cet été le Centaure avait, pour la première fois, été associé au dispositif du Grand Est de soutien concerté destiné à financer la présence de quinze compagnies au festival Off d’Avignon en juillet. Révolte, succès 2018/19 du Centaure, a ainsi montré toutes les qualités d’un grand spectacle au Off d’Avignon.

Dans cette idée, le Centaure montre, depuis quelques années et cette année plus encore, un véritable engouement à soutenir ses pièces au plus loin qu’il le peut, à l’instar de la reprise de Sales Gosses de Mihaela Michailov, mis en scène par Fabio Godinho, avec Eugénie Anselin et Jorge De Moura sur scène, qui ouvrira la saison le 6 octobre. Une pièce sur le harcèlement scolaire qui a connu un certain succès l’année dernière et qui trouve une redite inhabituelle pour le petit théâtre, mais bienvenue tant le sujet engage le débat là où il faut.

Et puis, aborder des sujets forts, le Centaure en a fait visiblement une marque de fabrique… Cette saison, l’équipe revient sur la politique internationale, les Trump et autres Bolsonaro, ces « joyeux fouteurs de trouble obsessionnels », comme s’en amuse Pierre Rauchs, le président de la structure. Il s’agit donc de s’intéresser aux effets des changements que la politique, le climat, peuvent engager sur le comportement des individus. Des « thèmes sociétaux liés aux tremblements de notre ère » qualifié avec humour par monsieur Rauchs « d’aubaine pour les créatifs d’aujourd’hui ! ».

De fait, la nouvelle saison va véritablement se lancer avec la troisième et dernière édition de La Bibliothèque des livres vivants – « en attendant une intégrale des seize livres en journée marathon au printemps 2021 à Chelles » –, appelée sobrement cette année Un soir / Deux Pièces. Avec joie, pour les voir furieusement évoluer, on retrouve sur la scène du Centaure Laure Roldan et Sullivan Da Silva qui porteront Nana d’Émile Zola et Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq. Deux romans qualifiés de « bel ensemble Femme-Homme », ancrés dans une tradition française d’observer son époque.

Sans vouloir ôter au théâtre l’une de ses cartes maîtresses, un cycle littéraire disparaît pour laisser la place à un autre. En effet, cette année Jacques Schiltz et Claire Wagener ont carte blanche pour essuyer les plâtres d’un nouveau cycle baptisé « Les agitateurs ». Avec À la recherche des temps modernes, ils ouvrent cette programmation basée sur l’idée de « réduire le temps entre l’actualité, l’idée artistique et sa concrétisation ». Une idée ambitieuse qu’on a hâte de voir à l’œuvre, d’autant que le théâtre veut la rendre pérenne…

Deux autres créations baignent plus encore les aspirations du Centaure à livrer une voix et une voie contemporaine et transgressive à sa ligne artistique. D’abord le Trouble affectif saisonnier de Lola Molina, en avril 2020, avec Eugénie Anselin et Serge Wolf mise en scène par Maud Galet-Lalande, devrait vivement agiter le public face à une histoire d’amour entre une quadra et une ado meurtrière… Attention le spectacle sera joué au Théâtre des Capucins pour des raisons techniques. Là est le presque dommage, n’est-ce pas à l’espace de dicter une programmation de créations ?

Ensuite, Fabio Godinho reprendra du service pour clôturer la saison avec Bug de Tracy Letts, mettant à l’affiche Myriam Muller, Mathieu Saccucci, Leila Schaus, Raoul Schlechter et Pitt Simon, habitués du petit théâtre. Un thriller paranoïaque, qui encourage son public à poser un regard sur notre société contemporaine.

Dans cette dynamique plutôt moderniste et une programmation contemporaine autour de jeunes auteurs, comédiens et metteurs en scène, les grands changements s’opèrent cette saison vraiment du côté du hors-les-murs que le théâtre luxembourgeois semble avoir mis en exergue. On ne compte sur place que quatre spectacles, dont une reprise (Sales Gosses), pour sept projets joués ou organisés hors du théâtre, comprenant la tournée du très bon Terreur, qui a connu un vif succès la saison passée et des projets devenus coutumes, en partenariat avec la Kulturfabrik (Textes sans frontières), les Théâtres de la Ville (TalentLAB#20), ou le Kasemattentheater (Mort aux cons). Pourtant, force est de constater qu’avec la mise en place cette année des tables-rondes animées par Josée Zeimes, le théâtre pousse à entretenir ses – à priori bons – rapports avec son public. Pourvu que ça dure !

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Godefroy Gordet
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