Aerowaves Dance Festival

Le contemporain du contemporain

d'Lëtzebuerger Land du 13.09.2019

Plateforme de monstration pour les jeunes chorégraphes « qui ne sont pas encore super connus », comme l’explique avec légèreté Ainhoa Achutegui, la directrice de Neimënster, dans son discours d’introduction, l’Aerowaves Dance Festival est devenu en seulement trois éditions un événement incontournable en Grande Région et bien au-delà. L’Aerowaves est aujourd’hui un passage essentiel, voire obligé, pour les nouveaux arrivants sur la scène de la danse en Europe. Ce sont ainsi trois jours de danse, pour huit spectacles, dont un issu de résidence, qui ont été proposés au public luxembourgeois la semaine dernière. Montrant un éventail des possibles de la jeune danse contemporaine européenne, à l’image de la première soirée, où l’on a enfin trouvé matière à redéfinir le terme « contemporain ».

Organisé conjointement entre le Trois CL (Centre de création chorégraphique), et Neimënster, depuis 2015, c’est de leur investissement au sein du réseau européen Aerowaves – Dance across Europe qu’est né ce festival luxembourgeois. Un réseau européen pour la danse créé en 1996, soutenu par le programme de l’Union Européenne « Europe Créative » et tenu aujourd’hui par 45 partenaires, issus de 33 pays européens. Et au vu des nombreux talents émergents du domaine en Europe, l’initiative est majeure.

À Luxembourg, l’émergence connaissait déjà le TalentLab, même si l’initiative revêt plus le format d’une résidence de recherche et d’exploration. À l’inverse l’Aerowaves Dance Festival se veut promoteur de créations chorégraphiques déjà bien en place, et agit sur la diffusion de celles-ci par des moments de représentation, dans un cadre bienveillant et professionnel. De fait, les programmateurs soutiennent avec un zèle exceptionnel les projets qu’ils accueillent, montrant leur passion, autant que leur implication, à faire résonner une jeunesse d’artistes qui peine à montrer leur travail. Précisons que ce genre de festivals sont des initiatives rares et même très isolées, à contre-courant des intérêts du public, tant ces jeunes créateurs s’intéressent à des problématiques très actuelles comme celle du genre ou liées au climat.

Quoi qu’il en soit, cette troisième édition s’est vue garnie d’une programmation très alléchante, de Hyperspace de l’Australien James Batchelor – en ouverture – à What Does Not Belong to Us de la prolifique Sarah Baltzinger (que l’on retrouve, à juste titre, massivement dans les programmations danse des scènes luxembourgeoises cette saison) en passant par Scarabeo de l’italien Andrea Costanzo Martini, Mouth de la Grecque Sofia Mavragani (résultat de deux semaines de résidence à l’Abbaye), Likes de l’Espagnole Nuria Guiu Sagarra, Jean-Yves, Patrick & Corrinne du collectif français ÈS, Somiglianza de la compagnie espagnole Kor’sia et Homo Furens du collectif Plan-K. Un vivier de propositions fortes, nouvelles, contemporaines, comme celles des créations de la première soirée du festival à la Bannanefabrik qui ont largement courut dans ce sens.

En ouverture de cette édition 2019, qui ressemblait fort à un agréable 3 du Trois (les rendez-vous chorégraphiques mensuels du 3CL), le chorégraphe australien James Batchelor présentait Hyperspace, troisième volet d’une série d’œuvres, nées lors d’une expédition scientifique dans l’Antarctique en 2016. Après le succès de Deepspace en 2018, Hyperspace montre une performance solo intrigante, où la sculpturalité du corps est couplée à une réflexion sur « les profondeurs inconnues de l’univers » et « l’infiniment petit ». Batchelor signe une ode magique aux petits gestes du corps, les imperceptibles, ceux qui poussent à des effets d’optique étonnants.

Seul en scène James Batchelor devient thésard d’une cosmologie du corps humain. Son spectacle envoie ainsi les signes d’influences pêchées chez Merce Cunningham, renvoyant à une vision mentale et intellectualisé du monde par la danse. Dans ce sens, Batchelor, après Cunningham, offre son expérience du monde au travers de son travail. Il y explore l’humain dans sa fragilité et sa mortalité, au travers et autour de lui-même.

Et puis, c’est aussi du côté de Myriam Gourfink que renvoie l’Australien, par la microscopie des mouvements qu’il engage dans sa partition. C’est en effet, d’une certaine lenteur, mais sans péjorative dans le terme. Dans Hyperspace on sort de l’hyperactivité quotidienne pour apprécier une direction contraire. Pourtant, si Batchelor touche du doigt un phénomène sociétal important et enraciné dans les habitudes pour longtemps encore – visiblement –, il est loin d’être à l’avant-garde des préoccupations du genre. Et s’il a compris que le temps peut se figer grâce à l’art, sa vision de l’espace – pourtant foncièrement liée au temps – manque de clarté.

Dans un autre genre, le chorégraphe italien Andrea Costanzo Martini invite avec son Scarabeo à un délire chorégraphique proche du dance theater, voire d’un numéro chorégraphique de clowns sous acide. Entrainé par une musique d’ascenseur en thème principal, couplée à une abondance de bruitages sonores incongrus, le duo joue d’humour potache pour capter son public et sa fonctionne plutôt bien. On se croirait devant Oggy et les Cafards, un dimanche après-midi de pluie, une image aussi angoissante que rassurante. Et c’est cette même dualité que Scarabeo transporte. Ainsi, si tout se passe bien sur les dix premières minutes, la tournure que prennent les choses dans une grosse seconde partie, vire au n’importe quoi. Un bordel quand même assez maîtrisé qui fait vriller le spectacle dans la case ovni de notre classement, sans pour autant avoir envie de l’oublier.

Toutefois, si Scarabeo connaît quelques écueils dans la narration, il faut bien admettre qu’il montre bien que la danse s’enjaille à repousser les codes – quand le théâtre peine à trouver une nouvelle contemporanéité – vers l’infini et l’au-delà, quitte à, parfois, en faire trop. Mais foncièrement, on préfère le « trop » que le « pas assez », et la réussite de Scarabeo vient clairement du fait que dans l’excès du concept, Andrea Constanzo Martini brille d’un je-m’en-foutisme qu’on adore.

Godefroy Gordet
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