L’espace occupé dans nos médias par les informations et commentaires sur la crise climatique a toujours été très limité – inversement proportionnel en réalité à la menace qu’elle représente. Or, depuis quelque temps, c’est cet espace contraint qui sert à relayer des annonces et opinions alarmantes sur la hausse des prix des énergies fossiles. Celui du litre de carburant augmente, comment se déplacer ? Celui du mètre cube de gaz flambe, comment se chauffer ? Celui du panier de biens de base explose, gare à la hausse des taux !
Balayées, les vagues tentatives des journalistes de mettre les préoccupations climatiques au centre de leur couverture. Oubliés, les engagements solennels de décarbonation à l’horizon 2030 ou 2050. Ce qui compte désormais, c’est que rien ne vienne enrayer la reprise post-pandémie et que tout un chacun parvienne à boucler sa facture énergétique. Dans le meilleur des cas, ce discours est accompagné de doctes considérations sur la nécessité d’une « transition juste ». Mais la plupart du temps, politiciens et commentateurs cachent mal leur joie de voir ces ennuyeux impératifs de vertu environnementale relégués à un nébuleux moment futur. Place à la rassurante realpolitik du statu quo fossile, de l’OPEP insatiable, des oléoducs et gazoducs pharaoniques ou de l’inévitable invasion de l’Ukraine.
Cette myopie nous fait perdre un temps précieux. Mais elle a au moins un mérite : celui de révéler à quel point sont inopérants les concepts que nous utilisons à propos du prix des énergies fossiles. Lorsque le prix à la pompe ou la facture de gaz de chauffage s’emballent, suggère la vulgate économique, les consommateurs se tournent vers des solutions moins émettrices de carbone. Est-ce vraiment le cas ? En 2021, sous l’effet d’une augmentation conséquente du prix du gaz, les États-Unis ont brûlé 6,1 pour cent de plus de charbon qu’en 2020. Les émissions de CO2 équivalent toutes sources confondues du pays le plus puissant du globe ont augmenté de six pour cent l’an dernier par rapport à l’année précédente. L’an dernier a aussi été celui où les États-Unis sont devenus les premiers exportateurs mondiaux de gaz.
La mécanique de l’offre et de la demande s’enraie lorsqu’il s’agit de décarboner. Tôt ou tard, il faudra interroger en profondeur les axiomes qui font des prix du pétrole, du gaz ou du charbon des leviers efficaces de politique climatique. Certes, lorsqu’ils baissent, la consommation de ces produits tend à s’accroître. Mais lorsqu’ils augmentent, on assiste davantage à un rééquilibrage entre sources d’énergie et à une diversification de leur origine qu’à une remise en question de leur ubiquité. Entre les larmes de crocodile versées sur le sort de ceux livrés à la « pauvreté énergétique » et l’impuissance professée par les gouvernements face aux diktats de la « géopolitique », mieux vaut apprendre à interpréter leurs tentatives d’agir sur les prix de l’énergie comme autant d’incantations et de gesticulations maladroites.