Mieux vaut être lucide et se l’avouer sans fard : l’espèce humaine est loin d’avoir pris en 2021 le tournant qui l’aurait mise sur une trajectoire de survie. Ballottée par les incertitudes de la pandémie, toujours aussi obsédée par la chimère d’une croissance infinie, elle reste engagée sur des rails qui la mènent, avec une grande partie de la biosphère, à sa perte.
La crise climatique est volontiers présentée comme un « wicked problem » : un défi aux attributs indéfinissables, contradictoires et changeants, difficile voire impossible à résoudre, résistant lui-même aux solutions, ces dernières devant être à la fois diversifiées et concomitantes pour avoir une chance d’aboutir.
Cette définition, elle-même assez floue, correspond sans doute à la perception que la plupart d’entre nous avons de cette crise, aux dimensions scientifiques, sociales, politiques, techniques, économiques foisonnantes et enchevêtrées. Mais elle a le défaut d’en cacher un aspect remarquablement simple : à moins d’un sevrage rapide des énergies fossiles, tous les efforts entrepris par ailleurs seront vains.
On vient d’apprendre que le 16 novembre, trois jours après la 26e COP que son gouvernement venait de présider, le ministre de l’Économie de Sa Majesté, Kwasi Kwarteng, a dîné avec des responsables d’entreprises pétrolières, rendus nerveux par les discours tenus à Glasgow par les représentants du Royaume-Uni, pour les encourager à continuer de forer en Mer du Nord. Shell, BP, Equinor, Neptune Energy et EnQuest étaient représentées. Craignant que l’envolée des prix du gaz ne cause de graves soucis à l’économie britannique, le ministre entendait les rassurer qu’elles pourraient continuer de bénéficier de permis de forage.
Ce qui n’a pas empêché Shell d’annoncer deux semaines plus tard qu’elle renonçait à développer le vaste champ pétrolier de Cambo, à l’ouest des Îles Shetland, objet il est vrai d’un lobbying adverse particulièrement intense des organisations écologistes.
Ce dîner de M. Kwarteng est révélateur du fossé qui continue de séparer discours et pratique. Sans un virage à 180 degrés consistant à tourner illico le dos au pétrole, au gaz et au charbon, nous nous payons de mots. Sans démantèlement des subventions extrêmement généreuses dont jouissent les énergies fossiles, nos efforts de décarbonation restent autant d’exercices de style. Tant que les gouvernements continuent de distribuer des licences de forage, les exhortations qu’ils adressent à leurs citoyens pour qu’ils réduisent leur empreinte carbone sont de la poudre aux yeux.
Le temps est peut-être venu, pour ceux qui, envers et contre tout, battent régulièrement le pavé pour manifester leur effroi devant les perspectives d’un emballement des bouleversements climatiques, de concentrer désormais leur ire sur cette dimension très simple du défi qui est le nôtre et de réclamer de manière ciblée et déterminée l’abandon effectif des hydrocarbures.