Les amendements au projet de loi sur le surendettement prévoient une meilleure protection des codébiteurs. Des créanciers prioritaires sont définis

Faillites excusables

d'Lëtzebuerger Land vom 04.11.2011

Les déboires de Nicolas1 ont commencé au début des années 1990 par la création d’une société de télécommunications et de téléinformatique. Au début, ils étaient quatre associés à lancer l’affaire, après un an, deux d’entre eux ont quitté le navire. Les deux restants ont continué à ramer, même si le déficit accumulé dépassait déjà les trois millions de francs luxembourgeois (75 000 euros). À l’époque, la loi permettait encore de disposer de 25 pour cent des parts et de fonctionner en tant qu’administrateur d’une société. Il fallait trouver de l’argent frais, quitte à trop tirer sur la corde.

Nicolas s’est donc adressé à plusieurs banques pour contracter des prêts personnels en racontant des histoires sur l’utilisation de ces fonds. Une fois, il indiquait que c’était pour acheter un appartement, à une autre occasion, il assurait qu’il en avait besoin pour régler son divorce. Ainsi, il a pu accumuler à peu près un million de francs (25 000 euros), qui a servi à renflouer les caisses de la société. Tous ses biens ont été hypothéqués. Ses propres parents se sont même portés garants.

Après quatre ans, la société a mis la clé sous le paillasson. Bilan : seize millions de francs (400 000 euros) de déficit, dont plus de quatre (100 000 euros) de dettes personnelles pour Nicolas. Sans parler des intérêts qui continuaient à courir. Surtout ceux du courtier belge qui lui avait prêté de l’argent à un taux exorbitant. « En un an, j’ai dû payer près d’un demi million d’intérêts, raconte Nicolas, la pression était énorme. Je n’arrivais plus à maîtriser mes dépenses, j’achetais tout de manière compulsive, guidé par la peur de manquer de quelque chose. J’achetais même tout en double, on ne sait jamais... »

Tous ses biens ont été saisis, même les bouteilles d’alcool. La rente de ses parents a été ponctionnée. Il a réussi à éviter quatre ventes aux enchères de son appartement. Mais même la vente de son bien immobilier n’a pas suffi pour remettre les compteurs à zéro. Il s’est adressé aux services de surendettement d’Inter-Actions et de la Ligue médico-sociale. Il a participé à des réunions de groupes, a établi un plan de dépenses, s’est adressé à une association parisienne qui organise des groupes d’aides aux dépendants pour tenter de gérer sa vie d’une manière différente. « Ici au Luxembourg, les projets sociaux d’aide et d’assistance ont souvent l’aspect d’une mise sous tutelle, ça a quelque chose de dégradant d’être pris en charge par une autorité, » explique-t-il.

Vingt ans plus tard, sa situation a l’air stable, il s’est remarié et a eu des enfants. Il vit dans un logement loué et sait qu’il ne pourra plus s’offrir d’extravagances, qu’il sera toujours lié par des chaînes invisibles liées à son statut de surendetté.

Au Luxembourg, « l’endettement des ménages à continué sa progression pour atteindre 21,9 milliards d’euros », écrivent le Statec et la Banque centrale du Luxembourg dans un communiqué sur les comptes financiers du deuxième trimestre 2011, publié fin octobre. « Cela représente une augmentation de 0,4 milliard par rapport au trimestre précédent, poursuit le texte. Cet endettement se compose principalement d’emprunts hypothécaires ».

L’année dernière, les demandes adressées aux deux services d’information et de conseil en matière de surendettement ont augmenté de dix pour cent (pour un total de 926 demandes). 441 nouveaux dossiers ont été ouverts, ce qui représente une hausse de 17,5 pour cent par rapport à 2009. La commission de médiation a été saisie de 19 dossiers : six ont fait l’objet d’u plan de redressement – une assistance sociale, éducative et de gestion des finances a été décidée. Treize dossiers ont été un échec au niveau du règlement conventionnel des dettes et onze sont passés directement devant le juge.2

Le gouvernement vient d’amender le projet de loi sur le surendettement, déposé à la Chambre des députés en mai 2009. Celui-ci introduit la possibilité d’une faillite civile pour la personne surendettée qui peut aboutir à une réduction ou même à l’annulation de ses dettes. Trois phases sont prévues avant d’en arriver là : la phase de règlement conventionnel devant la Commission de médiation, ensuite la phase de règlement judiciaire devant le juge de paix et finalement la faillite civile proprement dite, qui est appelée « phase de la procédure de rétablissement personnel ».

Le gouvernement entend donc maintenir cette procédure, même si plusieurs instances avaient critiqué la lourdeur du procédé (d’Land du 25 février 2010). Il y a eu des allègements ponctuels, notamment en matière de recours, où la législation deviendra similaire aux procédures prévues en matière de bail à loyer.

Un amendement fondamental concerne les personnes qui se sont portées garantes et ont cautionné les prêts de la personne surendettée. Par ricochet, les codébiteurs et les cautions peuvent devenir aussi vulnérables que celui qu’ils ont voulu aider et risquent de tomber elles aussi dans la précarité. Car du moment où le débiteur principal est dans l’impossibilité de payer ses dettes, le créancier se tournera vers les garants – souvent des partenaires ou membres de la famille qui ont agi en toute bonne foi et qui ont voulu rendre service –, quitte à les dépouiller de tous leurs biens. Le Conseil d’État avait relevé la contradiction à vouloir protéger la personne surendettée, alors que son garant risquerait seul d’en faire les frais. À peine arrivés à la deuxième phase de la procédure, les seuls créanciers qui n’auront pas encore été servis seront ses amis ou parents qui ont dû se saigner pour réparer les dégâts faits par d’autres. Les chances de se faire indemniser à leur tour sont minimes.

Il est donc prévu d’inclure les codébiteurs solidaires dans les dispositions nouvelles de protection : réduction du montant de la dette, rééchelonnement du crédit, réduction des intérêts sur la dette. Les créanciers professionnels ne pourront pas récupérer davantage des codébiteurs que de la personne surendettée.

En outre, un contrat de cautionnement sera déclaré comme ineffectif lorsque l’engagement pris est disproportionné par rapport à la situation financière de la personne solidaire.

Une autre nouveauté concerne le cautionnement d’une activité professionnelle : les personnes qui se sont portées garantes d’un engagement souscrit par une entreprise gérée par un proche auront aussi accès à la procédure de surendettement. Le gouvernement s’est inspiré ici de la loi française.

D’ailleurs, le commerçant qui a fait faillite pourra lui aussi échapper à la poursuite des créanciers, sauf s’il s’agit d’une banqueroute simple ou frauduleuse ou s’il a réussi à se refaire une santé financière dans les dix ans qui suivent la clôture de la faillite.

Le gouvernement a aussi choisi de dresser une liste de créanciers prioritaires. Seront servis en premier les bénéficiaires de pensions alimentaires. Ensuite, le propriétaire du logement qui se verra payer le loyer pour éviter que la personne surendettée ne se retrouve à la rue. Dans cette logique, les fournisseurs d’eau potable et d’énergie passeront aussi devant les autres créanciers pour permettre au locataire de vivre d’une façon décente. « Le fait de favoriser ces créanciers dans le cadre de la procédure de règlement collectif des dettes profite à l’ensemble des créanciers et contribue à sortir le débiteur surendetté de son impasse, » est-il précisé dans le texte des amendements. Le juge a aussi la possibilité d’éviter la liquidation du logement de la personne endettée lorsque des enfants y vivent « ou qu’elle sert de domicile aux personnes vivant au risque de pauvreté ou qu’elle sert de domicile aux personnes qui, en raison de leur âge ou de leur handicap, se trouveraient exposées à une situation de détresse sociale par la perte de leur domicile ». Les banques ne vont certainement pas trop apprécier de se voir reléguées au deuxième rang.

Par contre, un auteur de violences domestiques ne pourra pas échapper au paiement des dommages et intérêts à sa victime. La personne surendettée perdra aussi la possibilité de bénéficier des nouvelles dispositions sur la faillite personnelle s’il est avéré qu’il a organisé son insolvabilité, s’il aura tenté de détourner ou de dissimuler des biens ou s’il aura aggravé son endettement pendant la procédure de règlement collectif des dettes.

La situation financière de Nicolas a elle aussi été irrémédiablement compromise et s’il avait pu bénéficier à l’époque des avantages prévus par le projet de loi sur le surendettement, il n’aurait peut-être pas eu besoin d’autres béquilles pour se rattraper, ni dû subir toutes les humiliations auxquelles il a dû faire face. « D’ailleurs, c’est à se demander de quelle façon les pouvoirs publics gèrent l’argent du budget ? ironise-t-il. Je me demande comment les citoyens peuvent-ils rester sereins face à la situation dans laquelle nous [-]vivons en ce moment. »

1 Le nom est connu par la rédaction
anne heniqui
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