À côté de la plaque

d'Lëtzebuerger Land vom 09.12.2022

Il y a des signes qui ne trompent pas. L’odeur des oignons frits, de cannelle et de sucre cuit qui se répand dans les rues. Le replay qui fourmille de titres de films plus improbables les uns que les autres (de Coup de foudre à Noël, à Flocons sur mon cœur, en passant par La choucroute du 25 décembre). Les chalets agglutinés au pied de la Gëlle Fra. Les guirlandes lumineuses avenue de la Liberté. La foule qui se presse dans les centres commerciaux. Noël arrive, et ce n’est pas un cadeau.

Que va-t-on pouvoir encore offrir cette année, pour ne pas gâcher la fête ? Écartons l’option boîte de chocolats « Merci » : quatre euros pour dire « je me sentais obligé, mais tu ne mérites pas les Marcolini », autant boycotter directement l’événement au nom de la décroissance ou de la solidarité avec le peuple ukrainien : inutile de rajouter des conflits, les casques bleus sont déjà occupés. Évitons l’option coffret « Bongo » qui propose 300 options de séjours merveilleux, dont la moitié n’est disponible qu’au mois de novembre du lundi au jeudi, et l’autre moitié nécessite quatorze heures de route. Réservons aux adolescents le billet glissé dans une enveloppe, en mode « tu t’achèteras ce que tu veux », et qui va finir progressivement converti en kebabs du vendredi midi et sorties au Melusina du samedi soir. Gardons en ultime recours la caisse de vins, qui a l’avantage sur le dernier Goncourt de pouvoir être reçue en de nombreux exemplaires, mais dans les limites du raisonnable, parce qu’au-dessus du douze litres déballés le matin du 25, vous allez faire passer votre belle-mère pour la Sue Ellen du Gutland.

Une bonne idée, aussi originale que pratique, si vous devez faire un cadeau en Belgique, c’est la plaque d’immatriculation personnalisée. Pour seulement mille euros (beaucoup moins qu’une place de concert de Bruce Springsteen ou de Taylor Swift), nos voisins belges ont en effet trouvé un excellent moyen de renflouer les caisses de l’État tout en se faisant plaisir : une plaque entièrement à votre nom, ou au nom de qui vous voulez, et qui vous suivra toute votre vie. Une sorte de taxe sur la vanité ajoutée. On peut même ajouter des tirets, ou des chiffres, à condition de ne pas dépasser huit positions et, évidemment, de ne pas choisir de combinaison manifestement inappropriée, ou déjà prise. Grâce à Internet, en deux clics sur le site du Service public fédéral de la mobilité et des transports, vous pouvez vérifier si une plaque est déjà réservée. Spoiler : « T-SWIFT » ou « THE-BOSS » sont encore disponibles, par exemple, mais pas « ELVIS » (attribuée depuis le 25 août 2022), ni « BILOUTE » (attribuée depuis le 19 mars 2020). C’est quand même autre chose que la triste combinaison « initiales + date de naissance (ou de mariage) » en vigueur de ce côté-ci de la frontière. Et, comme d’habitude, on peut compter sur nos voisins pour savoir se faire plaisir. Un petit tour sur le groupe Facebook « Licence Plate Belgium » nous révèle ainsi l’existence d’une Fiat Multipla agrémentée d’une plaque « BARAKI », d’une improbable Porsche immatriculée « SDF » (difficile d’être de plus mauvais goût), d’une gentille immatriculation « MON-REVE » accrochée sur un camping-car (dans le plus pur style des noms de baptême des villas du siècle dernier), d’un courageux « POULET » (mieux vaut éviter de se faire arrêter en France), d’un surréaliste « A-VENDRE », d’un mystérieux « MHBWGXKH » (mauvais tirage au Scrabble ?) ou d’un plutôt lourd à porter « VLADIMIR ». En 2021, l’État belge a délivré plus de 11 000 plaques, et fait ainsi rentrer quelques millions dans ses caisses !

Bon, évidemment, si vous n’avez pas de cadeau à faire à quelqu’un qui habite en Belgique, ou que vous ne comptiez pas y mettre une telle somme, ça ne vous avance pas beaucoup. D’ailleurs, même si vous connaissez quelqu’un en Belgique, amateur de voiture et de tuning, ce n’est peut-être pas l’idée du siècle. Moins beauf que la plaque, mais moins ringard que le bol ramené de Bretagne avec le prénom peint à la main ou la gourmette de première communion, faire broder un nom ou un surnom sur une serviette éponge, des initiales sur une nouvelle chemise ou graver la lame d’un beau couteau ou le boîtier d’une montre sera tout aussi personnalisé, et beaucoup moins « néfaste and furious ».

Cyril B.
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