Édito

Qui vole un œuf vole un bœuf

d'Lëtzebuerger Land vom 27.09.2019

La liste des infractions sur lesquelles le parquet de Luxembourg enquête et pour lesquelles il a fait procéder vendredi dernier à des perquisitions à la commune de Differdange et dans les bureaux du CIGL (Centre d’initiative et de gestion locale) est longue : le maire écolo Roberto Traversini est soupçonné de « détournement de deniers publics ou privés », de « prise illégale d’intérêts » de « blanchiment » et de « violation de la loi concernant l’aménagement communal et le développement urbain ». Sa situation était devenue intenable, il démissionna quasi en même temps qu’eurent lieu les perquisitions. Le parquet avait été saisi la veille, le 19 septembre, par la ministre de l’Intérieur, Taina Bofferding (LSAP), sur base du code pénal. Son article 245 est très clair, il interdit toute prise d’intérêt privé par « toute personne investie d’un mandat électif public ». Traversini, qui est accusé par l’opposition politique differdangeoise d’avoir valorisé une maisonnette dont il venait d’hériter, son terrain et l’abri de jardin qui y est érigé en les faisant reclasser dans le cadre de la procédure de PAG en cours, d’avoir fait effectuer des travaux par un employé communal et des ouvriers employés par le CIGL (qu’il préside), ainsi que d’avoir fait abattre des arbres et réaliser des travaux dans une zone verte protégée sans en avoir l’autorisation, risque la prison (de six mois à cinq ans), une amende allant jusqu’à 125 000 euros ainsi que l’interdiction de remplir des fonctions et offices publics. De golden boy jovial, ayant remporté un succès phénoménal aux élections communales de 2017 – il remporta sept sièges contre trois en 2011 – et député-maire ministrable, il est tombé bien bas. Durant toute la phase qui a précédé l’ouverture de la procédure judiciaire, Traversini invoqua son ignorance pour se justifier. Or, nul n’est censé ignorer a loi.

Il était clair depuis un moment qu’en 2019, un responsable politique ne peut plus s’en sortir avec un hochement d’épaules et un « mais qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? », accusant ses détracteurs de mauvais caractère, de revanchisme ou de jalousie. Même si ça jase dans les chaumières et dans les cafés à travers le pays sur le crédo du « quel cirque pour un abri de jardin ! », de « tout le monde le fait… » ou « la valorisation de ses terrains n’est-elle pas la raison-même de s’engager en politique locale ? », le conflit d’intérêts n’est plus ni accepté ni acceptable aujourd’hui. Dans la foulée d’autres affaires, d’envergure plus grande, comme Wickrange/Livange, et selon les ambitions de transparence affichées par le gouvernement Bettel/Schneider/Braz I, des codes de déontologie pour élus nationaux ont été mis en place ces dernières années : la Chambre des députés en a un, tout comme le gouvernement et le Conseil d’État. Invité par le ministre de l’Intérieur de l’époque Dan Kersch (LSAP) de s’y pencher, le syndicat des communes Syvicol avait commencé à travailler sur un « code de conduite des élus communaux » en 2016, mais n’a jamais réussi à trouver de majorité pour le faire adopter.

Or, si un tel code de conduite officiel serait nice to have pour fournir des balises aux élus locaux débutants surtout, le code pénal et la loi communale de 1988, notamment son article 20 (qui interdit aux élus locaux de participer aux délibérations sur les objets auxquels ils ont un intérêt privé) sont déjà sans équivoque. Le gouvernement à participation écolo affirme vouloir lutter contre les spéculateurs immobiliers à grande échelle, il est alors inconcevable de laisser passer les petites tricheries au niveau local. La ministre de l’Environnement Carole Dieschbourg (Déi Gréng) promet de faire passer la protection de la nature avant les avantages économiques de projets industriels (comme Fage), il est alors nocif que de « petits arrangements entre amis » soient tolérés. La causa Traversini pose de nombreuses questions morales ou déontologiques, qui découlent du bon sens et qui demandent à être clarifiées. Comme celle-ci : Un maire peut-il vraiment accepter des tutelles et des héritages, alors qu’au niveau national, tous les cadeaux au-delà de 150 euros sont interdits ?

josée hansen
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