Table rase

Ana, Lara, Sara et les autres

d'Lëtzebuerger Land du 15.12.2005

Le mythe du huis clos de la prison, comme endroit idéal dans lequel le prisonnier se situe dans une auto-confrontation permanente, lui permettant de se trouver ou de nouer des contacts en-dehors du commun, inspire depuis belle lurette auteurs et écrivains. Jean-Louis Schlesser et Nicolas Steil, s’étant respectivement fait un nom en tant que co-scénariste (pour les deux) et producteur pour Steil à travers sa boîte Iris Production du Club des Chômeurs et de sa Revanche, n’ont malheureusement pas résisté à la tentation. L’auteur et le metteur en scène se retrouvent ici dans le cadre opposé de celui – fort médiatisé – des films d’Andy Bausch. Et d’ailleurs, le caractère très peu innovateur de Table Rase a suscité la question en attendant le début de la pièce, pourquoi cette toute petite salle qu’est le TOL avec ses airs underground ne produit pas des pièces plus révolutionnaires que celle montée actuellement. Claustrophobes s’abstenir, par ailleurs, d'aller voir Table Rase, les nombreuses séquences de noir absolu entre les scènes suscitant un sentiment d'étouffement chez les moins hardis. Mais comme la claustrophobie s'inscrit bien dans une certaine idée populaire de la prison, le sentiment provoqué n'est probablement pas pour déplaire ni à l'auteur, ni à son metteur en scène. Après quelques instants de réflexion, on réalise d'ailleurs que le noir semble servir à des changements discrets du décor, plutôt réussi vu le peu de possibilités qu'offre la scène du TOL, où peu à peu des parties de corps apparaissent dans le tissu qui sert de mur. Après le premier noir, prolongé, pleins feux sur Guy Robert, le prisonnier donc, qui, péniblement introduit le public dans la pièce en lisant une lettre, envoyée par un journaliste qui souhaite le rencontrer. De prime abord, Robert ne convainc absolument pas en prédateur machiavélique. Il a la tête de l'emploi certes, mais la manière choisie pour l'interprétation de son rôle ne fonctionne pas. La gestuelle, le côté diabolique, non, on n'avale pas. Scepticisme qui sera confirmé par la suite, d'autant plus qu'au fur et à mesure que la pièce avance, le manque de contour du personnage – homme d'affaires sans scrupules, auparavant très riche, accusé du meurtre de son amante Lara – se fait de plus en plus remarquer. Entrée en scène alors du journaliste (Joël Delsaut), beaucoup plus à l'aise dans son rôle, même si là encore, le personnage manque de cohérence. Il s'agit d'un homme de télévision, apparemment très reconnu dans son métier, mais qui ne supportait pas que sa femme Sara ait du succès en tant qu'auteur de théâtre. Psychologiquement parlant, puisque la pièce se veut psychologique, cet homme entre succès, autoflagellation et esprit là-encore machiavélique mais « caché », il y a un truc qui ne colle pas, qui n'est pas abouti. C'est par ailleurs le sentiment provoqué par la pièce dans son ensemble. On se trouve face à un sujet traité de nombreuses fois sous toutes ses formes, mais qui, dans son genre, n'apporte strictement rien de nouveau, au contraire. Table Rase se veut une confrontation permanente entre deux hommes, l'un enfermé et condamné, l'autre en liberté, mais sujet à une condamnation morale du moins. Le faible (car en prison) prenant le dessus à de nombreuses reprises face au fort (car libre), exigeant de son vis-à-vis des confessions en retour, ce que celui-ci fera (presque) sans sourciller. Et c'est ainsi que le « bon» et « fort » devient le « faible » et « méchant ». Mais, comme, à l'image des Fables de La Fontaine que cette belle morale nous rappelle, il faut toujours néanmoins un ultime rebondissement, les choses n'étant jamais ce qu'elles semblent, le spectateur est averti dès le départ que n'est pas forcément meurtrier celui qu'on croit. Il est même invité à choisir « son » coupable pour la mort de Lara, entre, au choix, l'homme d'affaires, le journaliste, Boris ou un inconnu… La pièce se veut mélange de drame psychologique et policier avec un zeste de critique sociale ou d'allusion politique (notamment l'homme d'affaire véreux qui pollue tout un village ou qui se ruine en achetant des parts dans une société fictive de biogénétique), mais rien de tout cela fonctionne. La première pièce de Schlesser rappelle plus un mauvais assemblage de faits divers qu'une trame approfondie et recherchée. Le tout étant dessiné avec des traits trop grossiers pour avoir la finesse requise par l'un ou l'autre de ces genres, pour qu'au lieu de se rapprocher des modèles surtout cinématographiques de ces mélanges, le résultat fait plus figure d'un mauvais scénario pour série policière sur une chaîne privée allemande. Mais comme cette espèce de programmes, Table Rase est regardable, tel le junk food télévisuel qu'on s'injecte quotidiennement sans sourciller, mais absolument pas mémorable.

Table Rase ; une pièce de Jean-Louis Schlesser ; mise en scène : Nicolas Steil ; avec Joël Delsaut et Guy Robert ; décor : Jeanny Kratochwil ; prochaines représentations les 21 et 22 décembre à 20h30 au TOL, 143 Route de Thionville, Luxembourg-Bonnevoie. Réservations tél.: 49 31 66 (répondeur). Email : tol@tol.lu

 

Sam Tanson
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