Der Parasit

Parasite parasité

d'Lëtzebuerger Land du 01.12.2005

Que faut-il pour que les pièces d'un auteur traversent les siècles sans embûches, tandis que d'autres, de qualité semblable et célébrées même du vivant de leur créateur prennent la poussière dans quelque bibliothèque d'amateur? Il n'y a pas de réponse toute faite, mais une chose est certaine: il faut notamment des hasards heureux. Comme celui, par exemple, de voir ses pièces adaptées par un des plus grands auteurs de son époque. C'est ainsi que Schiller, désireux de faire plaisir à son souverain, qui avait commandé des comédies, et ne se sentant pas apte à en créer une de toutes pièces, tombe par hasard sur celles de Louis-Benoît Picard, fêté en son temps comme l'héritier spirituel de Molière, et adapte deux pièces de l'auteur dont l'histoire n'aurait retenu au final guère plus que son passage à l'Académie française et à la tête du théâtre de l'Odéon, s'il n'y avait eu Schiller et ses adaptations. Surtout Der Parasit est en cette Année Schiller 2005 ressorti de quelques tiroirs de metteur en scène hostile à du Schiller pur et dur, mais disposé au compromis que représente ce texte, qui se joue des avantages des deux genres, le théâtre à la sauce boulevard française, et l'analyse piquante de la société qui était le fort de l'homme de Weimar. Au final, une pièce drôle - sans être pesante - et surtout encore bien plus d'actualité que la majeure partie des écrits du célèbre ancêtre de Picard. Le lieu de l'action: un ministère. L'instant de l'action: un nouveau ministre vient de débarquer. Les protagonistes de l'action: le parasite, le parasité et le justicier. Le fond de l'histoire en est un que la majeure partie des gens actifs observent ou vivent jour après jour dans leur bureau, fonction publique ou pas. Un homme, dépourvu de tout talent, sauf celui de se vendre auprès de son supérieur, grimpe les échelons au détriment d'un autre, dépourvu de toute ambition, mais doté lui de tous les talents. C'est un couple qui en somme fonctionnerait très bien, s'il n'y avait les autres, moins doués dans les deux domaines, mais qui se sentent les véritables victimes de ce petit jeu de pouvoir. Voilà donc la trame de la pièce que Germain Wagner a choisie pour sa première mise en scène, plutôt réussie. L'acteur d'origine a fait le choix de ne pas déconstruire. Mise à part une bande sonore pour le moins étrange et des costumes contemporains - qui ne dérangent pas, au contraire - sa direction est plutôt classique, sobre. Le tout se joue dans un seul décor - convaincant -, une sorte d'archives où des classeurs s'entassent du sol au plafond. C'est là que Wagner a puisé la meilleure trouvaille de l'ensemble, en faisant sans cesse réapparaître le faciès de La Roche, de derrière les classeurs, en sortant un là, pour y glisser sa tête, et en les escaladant ici à l'affût de chaque parole perdue qui pourrait servir sa cause de justicier. Autre réussite de Wagner, la distribution. Il a pioché quasi exclusivement parmi les comédiens luxembourgeois qui se retrouvent pratiquement tous dans leur rôle, les rares exceptions ne dérangeant pas outre mesure. À souligner: Josiane Peiffer, qui est excellente en bourge hystérique dans le rôle de la mère du nouveau ministre (Claude Mangen), même si elle n'a pas vraiment l'âge de l'emploi.   Mais le plus intéressant, reste probablement l'affrontement entre Selicour (Jules Werner) et La Roche (Marc Limpach), moins sur le plan des personnages que sur celui des comédiens. D'un côté Jules Werner, acteur professionnel, qui vient de s'installer à Luxembourg, après plusieurs années passées à Londres. Werner fera probablement toujours partie de ces acteurs, dotés d'un naturel tellement développé qu'ils exigent du spectateur d'attendre le moment à partir duquel il peut faire abstraction de la mimique du comédien reconnaissable entre mille, pour découvrir vraiment ce que ce dernier a fait du personnage. Cet instant passé, le parasite de Werner fonctionne, même s'il est trop gentillet encore, trop sympathique, mais le ton est juste. Face à lui, quasiment de la même génération, on retrouve Marc Limpach, l'amateur, ayant choisi une autre voie professionnelle. Mais, du moins dans cette pièce, l'amateur n'a rien à envier au pro. Le rôle du petit fonctionnaire névrosé lui va comme un gant. De sa gestuelle répétitive et agitée, en passant par ses apparences réitérées parmi les classeurs jusqu'à ses vaines tentatives désorientées de convaincre le ministre de son histoire, Limpach est La Roche.Der Parasit, sans être en course pour le titre de pièce de l'année, est néanmoins un bon moment de théâtre - luxembourgeois - à passer, le théâtre remplissant ici sa fonction primaire, celle de divertir.

Der Parasit de Friedrich von, dans la mise en scène de Germain Wagner; avec: Hans-Jörg Frey, Marc Limpach, Jean-Paul Maes, Claude Mangen, Josiane Peiffer, Raoul Schlechter, Mariel Jana Supka, Jules Werner et Raimund Wissing; décor et costumes par Kirsten sera encore joué ce soir et vendredi 9 décembre à 20 heures au Théâtre des Capucins; réservations par téléphone Tél.:  47 08 95 - 1 ou par e-mail: ticketlu@pt.lu

 

 

Sam Tanson
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