Télécoms – Achat de Nokia

Feu vert pour Microsoft

d'Lëtzebuerger Land vom 13.12.2013

Le rachat par Microsoft de la division terminaux et services liés de Nokia qui inclut l’activité smartphones a été validé par la Commission européenne le 3 décembre. Le deal, annoncé en septembre dernier pour 5,4 milliards d’euros, devrait se concrétiser début 2014. L’exécutif européen a en effet estimé que l’opération ne poserait aucun problème de concurrence, notamment parce qu’ « il n'existe que peu de chevauchements entre les activités des parties ». En outre, il explique que les liens entre les systèmes d’exploitation pour dispositifs mobiles, les applications mobiles et le logiciel de serveur de messagerie pour entreprises de Microsoft et les dispositifs mobiles intelligents de Nokia sont peu susceptibles d’entraîner l’éviction de concurrents du marché. Elle ajoute que Microsoft n’aurait aucun intérêt à limiter le développement de ses applications et services sur Windows Phone (Office, Skype) et ne serait « pas en mesure de restreindre l'interopérabilité des dispositifs mobiles intelligents concurrents avec Exchange Server ». De plus, souligne encore la Commission, plusieurs concurrents puissants, tels que Samsung et Apple, continueront de concurrencer l'entité issue de la concentration.

Microsoft, dont le système d’exploitation pour les smartphones et les tablettes Windows Phone est à la peine avec ses 4,1 pour cent de part de marché – essentiellement sur des appareils Nokia –, est en retrait par rapport à Apple avec l’iOS (13,4 pour cent) et Google avec Androïd (81,3 pour cent. Avec ce rachat, Microsoft entend contrôler la partie logicielle de ce segment, mais aussi celle liée à la fabrication d’appareils mobiles, en produisant et vendant, sous sa marque, une gamme d’appareils équipés de Windows Phone, ce qui lui permettra d’empocher quatre fois plus sur les appareils Nokia dotés de son système d’exploitation.

Le géant américain de l’informatique espère aussi augmenter ses parts de marché grâce au pactole de brevets touchant à la 2G et à la 3G, indispensables à la téléphonie mobile qu’il acquiert du même coup. Son PDG sur le départ, Steve Ballmer,a annoncé en effet lors de l’annonce de l’opération vouloir utiliser ces brevets comme leviers et relancer l’innovation pour renforcer la position concurrentielle du groupe. Autre aspect non négligeable, Microsoft, grâce à ces fameux brevets, va pouvoir augmenter sa puissance de feu, notamment sur le champ de bataille des licences Frand, ces licences sur les fonctionnalités essentielles au marché que sont tenus de délivrer à leurs concurrents à un prix raisonnable les fabricants d’appareils détenteurs du brevet.

Mais Nokia, avisée plus en matière de propriété intellectuelle qu’en anticipation des habitudes de consommation des appareils téléphoniques où elle a perdu pieds, garde la main sur un trésor de brevets dans ce secteur (plus de 10 000 brevets, fruits d’un investissement de trois milliards d’euros en R&D sur vingt ans). Elle espère ainsi rebondir rapidement. Et ce « magot », elle le défend férocement en entamant depuis mai 2012 des poursuites judiciaires contre plusieurs fabricants d’appareils mobiles comme HTC, RIM et Viewsonic. Louise Pentland, responsable juridique de Nokia a ainsi expliqué il ya quelques semaines : « Même si nous préférons éviter les actions en justice, nous sommes forcés de poursuivre les fabricants qui utilisent sans autorisation notre propriété intellectuelle, nos innovations et nos technologies qui n'ont pas fait l’objet de licences globales. »

La Commission avertit néanmoins et Nokia et Microsoft qu’elle « considère que les problèmes de concurrence qui pourraient résulter du comportement que Nokia adopterait après l’opération en matière d’octroi des licences de brevet pour dispositifs mobiles intelligents qu’elle a conservées ne relève pas de la présente affaire qui porte sur le règlement sur les fusions mais « qu’elle restera vigilante et surveillera étroitement de telles pratiques au regard des règles de l’UE en matière d’abus de position dominante ». Le Commissaire Almunia a enfoncé le clou cette semaine lors d’une conférence à Paris en mettant en garde la société finlandaise contre la tentation de devenir un troll à brevets (patent troll), expression qui désigne, dans le jargon de la propriété intellectuelle relative aux nouvelles technologies, un cabinet ou une personne physique, spécialisé(e) dans les contentieux en cette matière. Ces personnes ou sociétés acquièrent des brevets qu’elles n’exploitent pas. Leur activité consiste ensuite à contracter des licences d’exploitation de ces brevets auprès d’entreprises produisant des biens et services, et à optimiser les royalties qu’elles en retirent, quitte à faire appel à la justice pour augmenter la pression sur les contestataires. « Si Nokia devait profiter illégalement de ses brevets à l’avenir, nous ouvrirons une affaire antitrust a prévenu M. Almunia. J’espère sincèrement que nous n’aurons pas à en arriver là. »

Pour rappel, Google a, le 31 mai 2012, déposé une plainte devant l’exécutif européen à l’encontre de Nokia et Microsoft, suspectés de complot en matière de brevets de manière à utiliser la propriété intellectuelle pour contourner les règles de la concurrence dans l’UE et surtout attaquer son système Androïd via un système organisé de contentieux. Selon Google, « Nokia et Microsoft s’entendent pour faire grimper les prix des terminaux mobiles en créant des trolls à brevets ».

Sophie Mosca
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