Une exploration picturale avec un outil technique détourné. Le travail récent de Pit Riewer à la galerie Reuter Bausch

Chaud froid

d'Lëtzebuerger Land du 20.06.2025

La galerie Reuter Bausch présente avant l’été, le travail le plus récent de Pit Riewer, Receptors (Récepteurs). Il est un des poulains de la galerie, tout comme Julien Hübsch. Julie Reuter a su voir les perspectives qu’ils ouvraient à la peinture luxembourgeoise (Group Show Part I en 2021) avant même qu’ils soient tous les deux distingués au Salon du Cercle Artistique de 2023, par le Prix Grand-Duc Adolphe en 2023 pour Hübsch et le Prix Révélation pour Riewer.

On ne peut pas approcher plus différemment les expression des arts visuels : les matériaux de Hübsch sont des résidus de chantiers, qui deviennent un univers sculptural, témoins de l’espace urbain et de ses marges. Riewer, formé à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers (diplômé en 2022), est un peintre figuratif, que l’on peut rattacher à la représentation classique, notamment du corps humain. Mais, jeune artiste dans son époque, sa manière n’est pas statique, ni fidèle au modèle.

Le rendu obéit à une approche classique – Riewer raconte les longues séances d’atelier de nu à l’école – et telle ou telle partie du corps, comme la musculature d’un bras, est fidèlement rendue dans « sa » palette de couleurs, « son » langage pictural. Le titre de son premier solo show au Centre d’art Nei Liicht à Dudelange en 2024 dit tout Pit Riewer en quatre mots : No Form, No Shape. Il travaille sur des situations captées dans l’instant. Sur le motif mais plutôt tel un arrêt sur image, comme en photographie. La situation, l’environnement n’est pas un cadre général, la situation est donnée par ce que son œil de « voyeur » dépose sur la toile avec une liberté qui lui est propre.

Avec Receptors (Récepteurs), Pit Riewer continue l’exploration de la dissection « d’éléments figuratifs jusqu’à un point concentré de compréhension visuelle et émotionnelle », comme le dit Catherine de Jamblinne dans un texte pour les Amis des Musées écrit pour la visite de No Form, No Shape. Mais, « l’intensité, la forme et le geste du pinceau et la définition d’un plan de couleur peint », sont guidés cette fois par une caméra thermique. Soit qu’un outil mécanique, destiné à visualiser la mesure de l’intensité des zones chaudes et des zones froides de la pièce d’une maison par exemple, sert de point de départ au rendu pictural du corps humain.

Receptors (Récepteurs), ne compte que onze toiles, dont deux ont été réalisées lors de la résidence au Bridderhaus à Esch l’année dernière, où Pit Riewer a travaillé l’intensité des couleurs liées à l’Histoire. On est dans le sensible, l’émotion d’une industrie disparue mais déjà dans l’approche de la technicité. Meltdown présente les tons orangés de la fonte du métal par le feu et Glow des teintes froides comme l’industrie métallurgique morte. Ce sont des hommages à ce qui a bâti le sud du pays. Des éléments de la belle et fière architecture eschoise sont peints à l’oxyde de fer sur toile, déjà la technicité (ici la chimie), s’en mêle.

Mais la console au balcon de Meltdown, richement ornementée est brouillée comme une image d’un ancien téléviseur en panne. Ce rendu cinétique provient d’une expérience personnelle. Tout jeune, pour se faire de l’argent de poche, Riewer travaillait à la cinémathèque et lui sont restées en mémoire les photogrammes des films où chaque image est une capture de la réalité délimitée par un cadre. Mises bout à bout et projetées à une certaine vitesse, elles créent l’illusion du mouvement. L’œuvre symbolise la fonte de l’acier et se lit avec un double sens : la fierté du travail ouvrier et la perte de l’industrie métallurgique.

De l’effet de la vitesse de projection explorée en 2024 en résidence au Bridderhaus, on passe aux toiles les plus récentes, produites spécialement pour l’exposition. Engine est à rapprocher du même mouvement qui figure la vitesse et l’évasion en voiture dans la nuit. Romantique comme les virées dans les films américains, fenêtres ouvertes, cheveux au vent… Mais la mesure de la caméra thermique est expérimentée par Pit Riewer essentiellement sur des silhouettes et des parties du corps humain. Smoke et Plunge sont un travail sur des silhouettes entières. On est dans une « ambiance ».

Dans Smoke, Riewer suggère la perspective de l’angle de la pièce où une jeune femme est en train de fumer. On sent la chaleur d’un moment de détente. Mais avec l’effet de la douche froide de Plunge, Riewer éprouve la palette froide des noir et blanc et le corps debout, semble tétanisé par la douche glacée.

On classera dans la même catégorie Condensation et Body Temp, le premier, divisé en quatre parties égales par la focale de la caméra donne l’impression d’un négatif photo du fait du retournement des chromies au fur et à mesure que l’écho des auras s’éloigne d’une représentation en fait très réaliste : un moment d’intimité. C’est aussi une manière pour Pit Riewer de détourner l’attention de ceux qui regardent sur le centre plutôt que sur l’action « chaude ». Body Temp ne garde que la trace de la chaleur gardée un temps par les draps de lit après le lever.

C’est l’œuvre la plus complexe de l’exposition, la plus abstraite et sans doute la plus cérébrale. External, Orbit et Vessels, sont plus faciles à lire : un visage de profil, une vue de face et le bas du mollet, une cheville et les pieds, les parties du corps sont reconnaissables. On remarquera l’habilité de la prise en plongée de Vessels. Riewer, se sert ici de sa formation classique. On retrouve aussi son art du flou et de la saturation des couleurs. L’apport de l’échelle chromatique des zones froides et chaudes y est pour beaucoup.

Receptors (Réception) peut donc s’interpréter à double sens. À la frontière du réalisme et de l’abstraction. L’exemple parfait est Chills. Un chandelier posé sur une table, les bougies brûlent, l’aura est incandescente. Son revers froid, Riewers le traduit subtilement par le reflet du chandelier dans un miroir. Les couleurs sont « naturellement » froides.

Receptors (Réception) de Pit Riewer, est à voir jusqu’au 12 juillet à la galerie Reuter Bausch. Rencontre avec l’artiste, vendredi de 17 à 19h

Marianne Brausch
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