Vitesse et déformation transparaissent dans les images d’Olivier Dassault

Mirages photographiques

d'Lëtzebuerger Land du 13.06.2025

Son nom évoque d’emblée le ciel, un lieu que sa famille a investi comme nulle autre sur plusieurs générations. Olivier Dassault est en effet le petit-fils de Marcel Dassault, fondateur d’un empire de l’aéronautique français. Disparu à la suite d’un accident d’hélicoptère en 2021, Olivier Dassault affichait un profil atypique. En plus d’être entrepreneur et homme politique, il était un pilote d’avion réputé, comme en témoignent les nombreux records de vitesse à son actif. L’exposition Expressions abstraites qui se tient à la galerie Indépendance de la BIL montre une autre passion : la photographie.

Né en 1951 à Boulogne-Billancourt, Olivier Dassault s’inscrit dans la lignée familiale en obtenant en 1974 un diplôme d’ingénieur de l’air. Dans la sphère artistique cependant, il doit déjouer les préjugés entourant son nom, comme lors de ce concours organisé par la Fnac auquel il décide de postuler anonymement pour espérer être sélectionné. Ce sera le cas, et le point de départ d’un nombre important d’expositions à travers le monde. À ses débuts, il s’oriente vers les images people, se faisant connaître pour ses portraits sophistiqués de stars de la musique et du cinéma, de Serge Gainsbourg à Isabelle Huppert, de Jane Birkin à Isabelle Adjani. Déjà, il travaille des zones de flou comme les prismes de lumière qui empiètent sur la lisibilité des figures. En 1975, parait son premier ouvrage, Fugues, où des modèles (encore) reconnaissables sont en proie à des glissements vers l’abstraction. L’un des maîtres de la photographie couleur, l’Autrichien Ernst Haas, est à l’origine de la métamorphose stylistique d’Olivier Dassault. Le colorisme et l’énergie de ses vues urbaines marquent durablement le jeune homme. Dassault se tourne ensuite vers les cieux que sa famille sillonne et dont il magnifie les crépuscules, les effets de miroir avec le terrestre, dans une facture de type impressionniste. On y décèle le désir de rapprocher l’esthétique de la peinture et de la photographie. Finalement il opte pour un langage visuel entièrement débarrassé de toutes scories narratives et figuratives. « Le besoin de m’affranchir de la peinture m’a ouvert à une vision plus abstraite du quotidien », confie-t-il. C’est l’accomplissement de ce processus que célèbre aujourd’hui l’exposition à la BIL, qui rassemble des clichés éclatants que Dassault a capturés avec son Minolta XD7 en plusieurs lieux de la planète (France, USA, Maroc, Espagne).

Une immense fresque photographique (210 par 560 cm) marque l’entrée de l’exposition. Il s’agit d’Ouvrage Montresso (2016), qui combine six vues prises d’un échafaudage à Marrakech. La méthode tient du montage et de l’inversement d’images, pour obtenir une abstraction construite à partir d’éléments très concrets : on y reconnaît, en s’approchant, des parpaings de béton ainsi que des montants rouges, le tout produisant un effet optique particulièrement dynamique. S’affirme dès lors l’appétence de Dassault pour la symétrie, les figures géométriques, que l’on retrouve dans d’autres œuvres, mais aussi les lignes saillantes, avec une prédilection ici pour l’oblique. Dans la large allée menant à cette grande fresque, plusieurs pièces de format plus modeste se détachent, quant à elles, par des tons ternes (gris, noir et blanc). L’une d’elles, intitulée Intervalle (2016) avec ses griffures blanches sur fond noir, évoque les toiles lacérées de Lucio Fontana. Une autre, plus complexe dans sa composition, entrelace des formes courbes et linéaires, ne renvoyant à aucun référent familier (Eurythmie, 2016). Ce qui rend difficile de nommer ce qui échappe à l’expérience commune et à toute possibilité d’identification visuelle. C’est davantage le jeu des formes, le rythme de la composition, et le mystère qui s’en dégage qui importe Dassault. Face à ces deux épreuves se dresse Circulation d’art (2016), une pièce issue des collections du Centre Pompidou, depuis le don effectué en 2023 par Natacha Dassault auprès du musée. Deux tons, le rouge et l’or, y croisent le fer, structurant la composition de façon cruciforme. Non loin trônent deux sculptures (Signature, 2018) qui élargissent l’étendue du travail artistique de Dassault.

Les autres tirages exposés montrent combien la photographie est un art métamorphique. L’un, particulièrement réussi, explore l’univers végétal, déployant un bouquet de tons mauve et or comme autant de pétales (Poésie emmurée, 2015). Un jet d’eau y devient constellation d’étoiles (Jet d’eau, 1995), de même que Genèse (2011) reproduit une texture aqueuse particulièrement intéressante pour les strates graphiques et tachistes introduites dans la composition. Il en est de même de Cascade (2017), constitué d’une pluie de lumière scandée par des stries horizontales. Dans une série, la photographie est un moyen pour Dassault de rendre hommage à certains peintres, en en pastichant le style, de Braque à Nicolas de Staël. D’autres évoquent bien plutôt les toiles de Hartung ou celles de Kandinsky par la musicalité de leurs lignes. Une autre série, réalisée cette fois-ci à l’IPhone, affirme plus que jamais Dassault comme un coloriste obstiné ; une photo revient aux origines des mains négatives laissées sur les parois rupestres de Lascaux (Multicolor n°12). Voici donc mise à nu l’obsession d’un homme pour l’écriture de la lumière. La lumière comme matériau et sujet, essence de toute vie, que Dassault magnifie en recourant à la surimpression et au logiciel de retouche afin de produire des vues inédites. Le spectacle est complet lorsque la lumière du jour vient se prêter au jeu et recouvrir à son tour ces clichés de ses stigmates, comme une mise en abime harmonieusement accidentelle de l’œuvre de Dassault.

Exposition Expressions abstraites d’Olivier Dassault, jusqu’au 18 juillet à la galerie Indépendance de la Banque Internationale à Luxembourg

Loïc Millot
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