Autrice en résidence du Théâtre national du Luxembourg, Nathalie Ronvaux revient sur son parcours et ce qui motive son écriture

« Être avec les mots et les personnages »

d'Lëtzebuerger Land du 20.06.2025

« À mes yeux, la qualité éphémère du théâtre accède à une part d’éternité lorsqu’une de ces étincelles de résonance commune est emportée en mémoire par le spectateur », écrit Nathalie Ronvaux dans Pour arriver au seuil du geste, publié en 2023 dans la collection « Discours sur le théâtre » du Centre national de la littérature. Par ces mots, elle dit tout de son amour pour le théâtre, né d’une fascination indescriptible devant Morts sans sépulture de Jean-Paul Sartre monté par le Théâtre du Centaure dans les années 1990. Les comédiens et comédiennes étaient venus dans sa salle de classe pour un atelier, à l’initiative d’une professeure passionnée sans qui celle qui est aujourd’hui dramaturge serait « passée à côté de cette rencontre avec le théâtre ».

Pourtant ce n’est qu’une vingtaine d’années plus tard que Nathalie Ronvaux s’affirmera sur les scènes professionnelles luxembourgeoises. Elle est aujourd’hui considérée comme une grande autrice francographe, « de 1m73, j’ai rapetissé de 2 centimètres », s’amuse-t-elle. D’entrée, elle se définit comme expérimentatrice, et présente son écriture comme une constante recherche pour effacer l’ennui. En deux décennies, cette « fascination » a grandi… « Dès l’âge de quinze ans, je me suis inscrite au conservatoire en classe de diction, puis en improvisation et en art dramatique. J’expérimentais le théâtre non pas par l’écriture, mais par le corps et la voix. Mais j’étais une très mauvaise comédienne », dit-elle avec grande modestie. « Marja-Leena Junker m’a demandé un jour pourquoi je m’acharnais ! ». Elle comprend qu’elle ne veut pas jouer, mais apprendre la mise en scène. « Au départ, je n’avais pas prévu d’écrire, ni pour la scène, ni pour autre chose. L’écriture était un geste plus ou moins organique qui était là. J’écrivais pour moi, dans mon coin ».

Nathalie Ronvaux revendique un français « non encombré d’une tradition académique ». Elle se sent chanceuse d’appartenir à une littérature luxembourgeoise plurilingue. Ronvaux s’avère façonnée par son exploration constante d’une écriture citoyenne, fidèle à ses valeurs qu’elle décrie très bien elle-même, « Personnellement, j’ai envie de croire en des théâtres, des lieux de vie où les débats retentissent, où les prises de paroles construisent de nouvelles pensées, où les échecs sont des éclats de création, où les statistiques n’ont pas le dernier mot et où l’expérimentation, au même titre que la création, trouve des lieux d’accueil, d’expression ».

Nathalie Ronvaux va accumuler les expériences et les fonctions : assistante au metteur en scène Jean Flammang pour la création d’Une chemise de nuit de flanelle au TNL, chargée en communication, gestion administrative et gestion de production au Kasemattentheater. Elle suit ses aspirations pour se trouver très active en tant que metteuse en scène au Luxembourg, dès 2010. « À partir du moment où tu as touché à quelque chose de si vivant, l’envie de l’explorer devient vitale », explique-t-elle. La Dame au violoncelle, un texte de Guy Foissy, Der Kleine Koenig Dezember, (les deux en collaboration avec Marc Rettel) au Mierscher Kulturhaus, E Wäibierg an Alaska de Jay Schiltz pour le festival de Steinfort et L’Atelier d’écriture de David Lodge au Théâtre ouvert Luxembourg.

Nathalie Ronvaux a côtoyé tous les rouages de la création d’une pièce de théâtre. Elle ne poursuit finalement pas la voie de la mise en scène. C’est face au texte qu’elle se sent le plus heureuse. « Je ne suis pas du genre poète maudite, j’écris pour aller bien. Parfois, l’écriture peut être agaçante, irritante, angoissante, mais je m’y sens bien. Et ce n’était pas le cas avec la mise en scène pour laquelle il faut savoir rassembler tout le monde sur un projet et les motiver à aller dans la même direction ». Elle continue pourtant à porter haut ceux qui « contribuent à faire d’un texte un élément vivant sur scène ».

Après des années d’écriture dans son coin et d’ébauche de premiers récits, ses amis lecteurs ont fini par conjurer Nathalie Ronvaux de se lancer dans le grand bain. Serge Basso De March, alors directeur de la Kulturfabrik, lui « ordonne » d’écrire. Son premier manuscrit, publié en 2011 sous le titre Vigne et Louve, reçoit le Prix d’encouragement de la Fondation Servais. « J’ai été très surprise de remporter ce prix. J’ai l’avantage de faire partie de ces gens qui n’ont jamais pensé être publiés un jour ». Un cadeau, donc : « J’ai trouvé un endroit où je me sens chez et on m’ouvre des portes pour que je puisse continuer à écrire. J’ai une légitimité à poursuivre », se réjouit-elle.

Le théâtre plane au-dessus d’elle, encore et toujours. Si elle n’arrive pas formellement à se dire autrice, Nathalie Ronvaux assume bien l’acte en lui-même : « J’écris. Pour le théâtre, de la poésie, de la prose. Mais demain, si je n’écris plus, suis-je encore autrice ? ». Ce doute est nécessaire et elle en fait une force comme un athlète qui s’entraîne quotidiennement. Comme lui, si elle ne s’entraîne pas, elle est malheureuse. « J’aime être avec les mots et mes personnages. C’est très étrange d’être avec quelque chose qui est si abstrait parce que c’est de l’ordre de l’imaginaire et en même temps ça nous ancre dans une réalité, dans le présent. C’est très méditatif. »

Fin 2010, sa première pièce, Échographie, est montée au Théâtre du Centaure dans le cadre du cycle « Femmes et violence ». Un texte qui fait écho à sa volonté « d’investir un théâtre qui interroge, qui laisse place au débat, qui suscite l’émoi et la discussion ». Ce théâtre il est construit autour des de femmes et des injustices qui leurs sont faites. Ses autres premières pièces, La vérité m’appartient, Histoire(s) et Enterre-moi, parlent de cela. Plus tard, en 2021, l’excellent monologue Moi, je suis Rosa ! y revient. Elle ne veut pas définir son théâtre comme engagé. « Dans mes écrits, je ne vais pas forcément donner de réponses, ce qui m’intéresse c’est de questionner, d’interroger. Et en général, ce sont des choses qui me semblent être des injustes. Des choses qui me heurtent, me touchent, m’émeuvent. Et je crois qu’au théâtre, tu as cette possibilité de partager un questionnement et de pouvoir nouer un dialogue. Je parlerais d’une écriture citoyenne. »

À l’occasion de sa résidence au TNL pour la saison qui s’achève, ses textes Un jeu d’enfant et Histoire(s) ont à nouveau été portés à la scène, quinze ans après leur création. Sous cet auspice, qu’il faudrait décrire plus justement comme « artiste associée », elle écrit Versions des faits, un nouveau texte de théâtre, mise en scène par Liss Scholtes, avec Marc Baum, Claude Breton, Rosalie Maes. « Avec ce texte, je cherche à déplacer une certaine réalité. Ce qui m’intéresse c’est la façon dont tout le monde ressent le besoin de donner son avis sur les réseaux sociaux. On arrive rapidement à des débordements, des messages hallucinants décomplexés de haine. En parallèle, il y a ce besoin de consommer du journalisme à sensation et de contribuer à son existence. » Aussi, dans cette nouvelle pièce, Ronvaux reprend les codes de la fake news et déforme la réalité pour la déplacer dans une société où tout est bétonné, où il n’y a plus de jardin, où tout le monde mange des repas en bocaux, en conserve, ou en poudre.

L’autrice a laissé une grande place à la metteuse en scène et son équipe, même dans l’écriture du texte, « avec Liss et Florian (Hirsch, dramaturge du TNL) on s’est mis d’accord sur la possibilité d’une lecture intermédiaire avant de finaliser le texte, pour voir si la vision commune du texte était bien maintenue ». Après la première journée de répétition et à la suite des nombreux échanges préliminaires qui ont permis d’anticiper certaines réflexions, elle a laissé l’équipe travailler. L’autrice fonctionne ainsi, dans le respect des rouages de la machinerie théâtrale. Versions des faits figure le prototype de la construction d’un spectacle théâtral avec une autrice, un dramaturge, une metteuse en scène, des comédiens, un scénographe…

Pour Nathalie Ronvaux, la saison prochaine est bien remplie : Toi, moi, nous… et le reste on s’en fout, qu’elle cosigne avec le metteur en scène Laurent Delvert sera joué en octobre 2025 au Théâtre des Capucins. Suivront une résidence d’écriture à la Chartreuse-lez-Avignon, la traduction en turc et en roumain de Moi je suis Rosa, ou encore un projet de recréation de sa pièce Échographie par une troupe en Argentine. La boucle sera ainsi bouclée… ou pas. Car il est bien clair que Nathalie Ronvaux ne s’arrêtera jamais d’écrire, pour rien au monde.

Godefroy Gordet
© 2025 d’Lëtzebuerger Land