En 2025, le Fundamental Monodrama Festival souffle ses quinze bougies avec quatorze spectacles de dix pays dont neuf créations

« Je ne sais pas faire silence »

d'Lëtzebuerger Land du 20.06.2025

Le festival accueille chaque année des spectacles en provenance d’Afrique de l’Ouest, une belle tradition qui nous réjouit. Samedi, la comédienne burkinabé Safourata Kaboré présentait Noces, texte qu’elle a écrit. La mise en scène est signée d’Odile Sankara, présidente du festival Les Récréâtrales et elle-même comédienne. À l’issue de la représentation, cette dernière a évoqué les difficultés à venir ici et le bonheur de partager cette « parole commune ».

Noces porte les mots d’une survivante, les paroles de femmes du Burkina Faso et d’ailleurs dénonçant les violences, les viols, les discriminations, les injustices, les humiliations dont beaucoup sont victimes au quotidien. On y parle mariage forcé et excision. On y observe les travers d’une communauté qui accuse et rejette celles et ceux qui sont différents. On y évoque la politique et le terrorisme. On y questionne le pouvoir de l’argent, des hommes, du sexe. On y interroge l’éducation des filles, leur rôle et leur devenir, le sort des laissés-pour-compte.

Une femme est sur le point de se marier. À quelques heures de la cérémonie, elle se retrouve seule avec elle-même, face au miroir devant lequel elle se maquille, devant la table où elle doit écrire une lettre, ses « vœux de noces ». Dans ce moment de solitude, le passé resurgit, il doit se faire entendre, dévoiler les secrets, les douleurs, les agressions subies à l’adolescence, le viol, une nuit. Il jaillit en une explosion de mots, de cris, « je ne sais pas faire silence, en moi il y a trop de voix, trop de corps qui flottent » dit-elle.

Comment survivre ? Comment continuer avec la douleur, les blessures, le silence de la mère, « j’ai peur que le silence de ma mère empêche la mer de danser ». Cette histoire intime se fait parole universelle. Dans Noces, il est question des combats des femmes et de leurs libertés mais aussi d’amour, de maternité, de réappropriation du corps et des désirs. C’est une ode vibrante à la femme, à son courage, « courage est le mot qui me porte », à sa résistance, à sa résilience, à son humanité.

Avec ses différentes strates et ses histoires dans l’histoire, le récit se conjugue au pluriel. Passé et présent s’y enchevêtrent, monologue intérieur et dialogue imaginaire alternent. Le texte est dense et ardant, le langage direct et cru, les mots souvent poétiques, les paroles, parfois fleuves, teintées d’humour.

Sur scène, narratrice ou personnage, Safourata Kaboré livre une belle performance, entre immersion et juste distance, toujours proche du public. La mise en scène est efficace et lui donne la latitude nécessaire pour porter le personnage de la femme avec ses excès et ses pudeurs tout en endossant d’autres personnages (le vieux voisin, l’homme qui s’ennuie, l’ami qui l’a trahie, la mère…). Les jeux de lumière marquent les changements de temps, les alternances de récits, les passages entre le dire et l’écrit et quelques beaux clairs-obscurs viennent mettre en évidence cette femme qui se métamorphose. Le spectacle est subtilement traversé par la musique, avec quelques belles voix de chanteuses et une ambiance jazzy pour quelques mouvements de danse.

Karine Sitarz
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