Le label belge Igloo Records a fait paraître il y a un mois Infinity of Sound, un album live de Maxime Bender, enregistré en juillet 2022 lors d’un concert à la Philharmonie Luxembourg. Maxime Bender, aux saxophones ténor et soprano, était alors accompagné de Stéphane Kerecki à la contrebasse, Daniel Humair à la batterie, et aussi et surtout, Joachim Kühn, véritable monstre sacré du jazz européen, au piano. Après plusieurs années de réflexions, de découpage, de mixage, de décisions et de recherche d’un label, le fruit de ce quartet, Infinity of Sound, a enfin vu le jour.
Le dernier album en date de Maxime Bender avec sa formation Universal Sky datait de 2022. Fall & Rise, sorti sur le label de jazz italien C.A.M. Jazz, tout comme Universal Sky (2022), le précédent, privilégiait un son fusion, tendance et conciliant. Infinity of Sound tranche complètement avec les deux précédents opus. Maxime Bender s’est fait happer par le free jazz et s’est placé sous la figure tutélaire de Kühn. Ciblant un public plus niche, le compositeur et multi-instrumentiste luxembourgeois n’a cependant pas perdu son ambition de viser le plus grand nombre, puisqu’il mettra aussi en musique le feu d’artifice lors de la fête nationale luxembourgeoise. Le 22 juin au soir, plusieurs dizaines de milliers de personnes découvriront la pièce de 17 minutes qu’il a créée pour cet événement. L’occasion de s’entretenir avec Maxime Bender pour évoquer son nouvel album, dédié à son fils Nicolas, et prendre le pouls à quelques jours des festivités.
Maxime Bender n’est pas seulement musicien. Depuis 2020, il est aussi le directeur du Trifolion, centre culturel régional d’Echternach. Parmi ses faits d’armes s’inscrit notamment le développement du Echter’Jazz Festival, qui a su rivaliser avec ses homologues plus installés du centre et du sud du pays. Jonglant entre ses différents mandats, Bender roule sa bosse en tant que musicien, même si sa présence sur les planches s’est raréfiée. Il y a quelques années, dans les coulisses du festival Like a Jazz Machine, il a fait la connaissance d’un habitué du festival, le génial Joachim Kühn, qui lui a confié connaître sa musique. Les deux ont sympathisé et se sont promis de collaborer un jour. Ce qui aurait pu rester une promesse en l’air s’est concrétisé quelques mois plus tard, le second invitant le premier à Ibiza, où il vit depuis deux décennies.
De concerts en concerts, les deux artistes ont su tisser des liens humains et musicaux. « Lorsqu’on ne connaît pas trop bien un musicien et qu’on joue avec lui, on a tendance à trop en faire, à vouloir meubler », concède Bender. « Mais avec Joachim, nous parlons un langage commun, nous pouvons nous laisser des espaces et même nous accorder des moments de silence complet sur scène, et c’est magique ». Leur concert de 2022 à la Philharmonie a représenté un cap, marquant la création d’un quartet. L’album qui en découle est en fait un best of du concert enregistré. Seules cinq pièces pour 47 minutes ont été conservées sur les 90 minutes réellement jouées, devant un public particulièrement enthousiaste.
Infinity of Sound est illustré par une belle peinture en noir et blanc de Pierre Rulens. Para ouvre le disque avec une minute d’introduction suspendue, presque cérémonielle, où les instruments s’accordent. Puis surgit une parade, tantôt swing, tantôt inquiétante, menée par un Bender en cavale, poursuivi par les cordes nerveuses de Kerecki. Un crescendo en forme de calme avant la tempête. Le temps se dilate sous un long solo de basse, suspendu comme un souffle, jusqu’à ce que le pianiste ne déclenche l’explosion. Le solo de batterie, lui, ramène une âpreté pour une pièce longue (plus de treize minutes), introspective, démonstrative, et honnêtement difficile à digérer à la première écoute. Une déclaration d’intention traversée de fulgurances.
Kyō, la deuxième pièce, semble répondre à la première comme l’éclaircie à l’orage. Là où Para gronde et explose, Kyō respire, s’épanouit. Plus lisible, plus appétente, elle avance sans urgence. On ne sait pas trop encore dire si les musiciens jouent à bâtons rompus ou s’ils s’alignent en secret. On se surprend à battre la mesure, emporté par cette entente muette. Missing a Page arrive ensuite comme un arc-en-ciel après le déluge. Sa première partie, colorée, se fait aspirer par un vortex où chaque musicien pousse son jeu au bord de la rupture. Puis la tempête s’efface, et Expansion of Space s’élève. Longue pièce de neuf minutes, elle ralentit le rythme du disque, le cadre. Là encore, les motifs écrits ne sont qu’un prétexte. Enfin, Shadow and its Opposite vient clore le disque. D’abord consensuelle, la composition se fait sensuelle, puis nostalgique, et trouve peu à peu son équilibre. Il aura fallu tout un concert, en somme une infinité de sons, pour que le quatuor atteigne son zénith. Avec Infinity of Sound, le ciel a trouvé sa bande-son.
D’une manière beaucoup plus concrète, le ciel de la capitale sera témoin d’un feu d’artifice ainsi que d’une musique composée par Maxime Bender en ce dimanche 22 juin, à l’occasion du traditionnel feu d’artifice de la capitale. En contact avec la Ville de Luxembourg depuis septembre 2024, plus par un démarchage de l’artiste que d’une réponse à un appel d’offres, on lui a laissé carte-blanche ou presque. Outre les contraintes du budget et de la deadline, il fallait surtout respecter un cahier des charges technique permettant la synchronisation avec la structure traditionnelle d’un feu d’artifice, entre l’introduction, les jonctions, la cascade, et jusqu’au grand final. « On m’a juste demandé d’être moderne mais pas trop, et de rester accessible ». Aux antipodes du free jazz défendu dans Infinity of Sound, Maxime Bender promet une musique plus universelle, qu’il a en partie composée avec Antoine Honorez, alias Napoleon Gold, pour le volet électronique. Le compositeur, pleinement conscient du poids symbolique qui repose sur ses épaules pour cette fête nationale marquera la dernière du règne du Grand-Duc Henri, confie éprouver une forme de fierté patriotique, difficile à mettre en mots. « C’est quelque chose de spécial », dit-il simplement.