Alors que la Coupe du monde de football se tient en ce moment au Qatar et que la guerre se poursuit en Ukraine, difficile de passer à côté de l’album de Pepe Galvez et Guillem Escriche, Le Match de la mort

Le match de toute une vie

d'Lëtzebuerger Land du 02.12.2022

Le Match de la mort est le surnom, on ne peut plus parlant, donné un match de football qui s’est déroulé le 9 août 1942 à Kiev. Un match qui a opposé l’équipe ukrainienne du FK Start à l’équipe allemande de Flakelf. Un match qui finira sur le score de 5 à 3 pour l’équipe locale, mais qui sera suivi, quelques jours plus tard, par l’arrestation de onze participants ukrainiens de la rencontre. Il faut dire que ces derniers sont, pour la plupart, des anciens joueurs du Dynamo Kiev, une équipe proche du parti communiste, et que la Flakelf est une équipe composée d’aviateurs de la Luftwaffe.

Un peu de contexte s’impose. À la suite de l’opération Barbarossa, le Troisième Reich a avancé vers l’Est : de 1941 à 1944 la majeure partie de l’Ukraine a été occupée par l’Allemagne nazie. Pour Hitler et sa clique, les Ukrainiens étaient, des « masses amorphes qui n’ont rien à apporter à la civilisation » ou encore une « populace (qui) occupe des étendues infinies dans une des régions les plus fertiles du monde ». Le drapeau à la Svastika s’installe dans tous les bâtiments officies de Kiev.

En Ukraine, comme dans à peu près tous les territoires occupés par les nazis, la population est partagée. Il y aura des résistants, des personnes neutres et des collabos. Après tout, comme dit un ancien camarade de goulag d’Aleksei Klimenko, une des anciennes stars du Dynamo Kiev, « Je doute que les Allemands nous traitent plus mal que Staline… » Il n’a jamais été facile de choisir entre la peste et le choléra ! C’est principalement à travers le parcours de Klimenko que le scénariste Pepe Galvez et le dessinateur Guillem Escriche décident de raconter cette histoire – dont la version originale espagnole est parue en 2021. Une histoire de résistance sportive, où le ballon rond est préféré aux balles des armes à feu. Une résistance un peu folle, saugrenue voire totalement irrationnelle. Partout les gens meurent, sur les champs de bataille, dans les camps de prisonniers, de froid ou de faim, mais les salariés des fourneaux de la boulangerie industrielle n°1, des anciens footballeurs réunis par le directeur des lieux, Josef Kordic, un ancien fan du Dynamo, jouent au ballon. Klimenko est conscient du ridicule de la situation, mais, face à un Hitler qui veut que ses militaires installés en Ukraine imitent « les Américains dans le Far West » ou du moins aient une conduite qui « doit être dictée par l’idée que nous avons affaire à un peuple inférieur à tout point de vue », le foot, et surtout la domination de leur équipe sur le terrain, semble redonner de la joie et de l’espoir à tout une population qui n’a plus beaucoup d’occasion de ressentir ni l’un, ni l’autre.

Malgré les craintes, la violence de l’équipe adverse venue clairement casser de l’ukrainien, avec la complicité de l’arbitre – membre de la Luftwaffe lui aussi – et malgré l’avertissement d’un entraîneur ukrainien collabo qui, à la mi-temps de ce fameux match viendra dans leur vestiaire pour les intimider – « Vous jouez magnifiquement et vous avez prouvé que vous étiez les meilleurs. Mais il vous reste à montrer que vous êtes aussi les plus intelligents, et vous savez ce qui est le mieux pour vous, pour nous tous. Alors je vous demande : vous voulez vous mettre les Allemands à dos, ou gagner leur amitié pour le bien de la paix et de la tranquillité ? » leur balancera-t-il –, les joueurs du Start joueront, là, le match de leur vie. Quitte à y trouver la mort.

On l’aura compris, le football et tout particulièrement ce match du 9 août 1942 sont au centre ce cet album. Pourtant, on est loin du simple un récit sportif. Une quinzaine de pages seulement, des 96 que compte le livre, représente des actions de jeu. Le reste des planches ont une portée clairement historique. Elles montrent la misère des soldats vaincus dans les camps de prisonniers, la misère des civils dans ces villes détruites par les bombardements et les combats, elles montrent les exécutions sommaires des vaincus de la part des vainqueurs et puis la haine qui s’installe de part et d’autre lors de ces conflits armés.

Tout en s’intéressant à l’histoire de ces footballeurs héroïques – dont l’image a ensuite longuement été exploitée par l’Union Soviétique, au point que certains historiens remettent désormais en cause le lien direct entre le match et l’arrestation puis l’assassinat de la plupart de ces joueurs – et en dénonçant les exactions nazies, les auteurs évitent le récit partisan. Ils rappellent là que les Ukrainiens n’ont pas tous été exemplaires pendant cette triste période, mais également que tous les Allemands n’étaient pas nazis.

Ils proposent donc un récit bien ficelé et bien rythmé, même s’il faut parfois s’y retrouver à cause du grand nombre de personnages, magnifiquement mis en image par Guillem Escriche avec un style réaliste et des aplats de couleurs aux tonalités grises et sépia desquelles ressortent, ci-et-là, quelques touches de couleurs vives : le rouge du sang – et du drapeau nazi – ou encore le jaune de la lumière – souvent de bougies – et des explosions.

Ce Match de la mort est un album marquant, qui fait réfléchir et rappelle, n’en déplaise au président de la république française qui appelait quelques jours seulement avant le début de la coupe du monde de football au Qatar à ne « pas politiser le sport », la force symbolique politique de toutes ces grandes compétitions sportives.

Le Match de la mort de Pepe Galvez et Guillem Escriche. Les Arènes BD

Pablo Chimienti
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