Avant d’être le titre d’une bande dessinée, la Bigaille est le nom du bar associatif ouvert en 2012 à Marennes (Charentes maritimes) pour contrer l’absence d’événements culturels en milieu rural. Un petit local rêvé, mis sur pied et géré par des bénévoles depuis maintenant dix ans qui propose une programmation artistique et culturelle allant des concerts de punk, métal ou hip-hop aux spectacles pour enfant en passant par des expositions, des ateliers ou encore des réunions publique… Un endroit ouvert à tous, avec tarifs très accessibles.
Thibaut Lambert (Al Zimmeur, Au coin d’une ride, De rose et de noir, L’amour n’a pas d’âge, Si je reviens un jour...), auteur belge installé justement à Marennes, a décidé de raconter ce lieu, son histoire, ses gens. Un de ces lieux, écrit l’auteur, « qui dégagent quelque chose. Difficile de savoir quoi exactement. Pourtant, en y entrant, on sent qu’ils sont chargés en énergie. Comme si les murs avaient capté une parcelle de l’aura de celles et ceux qui les ont fréquentés ».
L’auteur est allé à la rencontre de ses fondateurs. Il y a Mathieu, Antoine, Laurent, Nico, Fits, Gwéna, Willow, Julie, Béber et quelques autres dont les lecteurs n’apprendront pas nécessairement les noms. Certains étaient animatrice culturelle ou technicien du son, d’autres étaient chef de projets informatique, pompier, géographe, maraîcher, ostréiculteur… Des métiers bien éloignées de celui de programmateur, booker ou encore gestionnaire d’un bar. Mais tous avaient en commun d’être originaires de la campagne ou de milieux péri-urbains, d’être partis étudier ou travailler en ville et d’avoir fait leur « retour à la terre ». « Besoin de verdure. D’espace. Mais également de culture », explique l’un d’eux qui avoue sans détour le fait d’être passé, pendant sa période citadine, par une étape « bobobranchouille ».
Mais chez eux, « après 19 h tout est fermé (…) il ne se passe rien ». Il y a certes un cinéma, mais les films à l’affiche ne semblent pas toujours répondre aux attentes artistiques de ces chasseurs de culture ; et pour les concerts, c’est deux heure trente de bagnole aller-retour. « On a qu’à en faire nous des événements », lancera un jour l’un d’eux. Une association verra ainsi le jour, histoire d’organiser des concerts dans des salles mises à disposition pour un soir par différentes communes. De premières expériences de bénévolat, faites de système D et de bric et de broc : les meubles de l’un pour occuper l’espace, des guirlandes de culottes pour décorer ces salles des fêtes sans âme…
Une deuxième association, le LAC, pour Lieu d’Action Culturelle, prendra le relais et ira taper aux portes des élus locaux pour obtenir un local pérenne jusqu’à ce que l’un d’eux, fraîchement élu maire et cherchant une manière de redynamiser sa commune, ouvre sa porte à ces doux rêveurs. Il a l’argent, ils ont l’envie, l’énergie et un début d’expérience. Le lieu se fera attendre, mais finira par arriver. L’utopie culturelle cessera ainsi d’être SDF et s’installera dans une ancienne caserne des pompiers. C’est petit, pas du tout adapté, mais c’est bien là que naîtra la Bigaille, un mot de patois pour parler d’un « ensemble de petites choses qui individuellement ne valent rien… mais rassemblées ont une force ». Le chantier sera long et compliqué, mais ne dit-on pas que le chemin est aussi important que la destination ?
Thibaut Lambert raconte cette histoire en 124 pages et en quatre chapitres : le point de départ, le chantier, l’arrêt public (autrement dit la naissance de la structure) et la transmission. Car dans cette utopie, personne ne doit se croire indispensable et pour éviter que la structure ne se retrouve cadenassée par des bénévoles éternels, chaque membre du CA ne peut rester en place que trois ans, fondateurs y compris. Les créateurs ont depuis passé la main, de nouveaux bénévoles ont pris la relève, eux-mêmes remplacés par la suite. Un principe qui a fait ses preuves, La Bigaille a fêté ses dix ans en juin dernier.
L’album de Thibaut Lambert, lui, est sorti le 24 août. Documentaire, l’album n’est pas pour autant dénué d’humour avec son lot de bons mots, apartés, clins d’œil nombreux à l’univers de la BD ou à la culture pop… Ce Bigaille est non seulement terriblement touchant, par le récit même de cette utopie culturelle porté par une bande de doux rêveurs qui a réussi à voir le jour et à tenir dans la durée, mais aussi très drôle et agréable à lire. Le dessin est semi-réaliste, en noir et blanc et le découpage fait de cases aussi libres que les personnages qui y sont représentés.
L’album donne surtout très envie de s’engager, de donner de son temps, de (re)faire du bénévolat… Il donne aussi envie de découvrir ce lieu culturel, qui parvient à recréer du lien social, du vivre ensemble à travers des projets culturels et sociaux. Dommage qu’il se trouve à quelque 900 kilomètres de Luxembourg !