Public-private partnerships

PPPanacée ?

d'Lëtzebuerger Land vom 30.07.2009

Le premier bilan ne pourra probablement être tiré que d’ici le 15 décembre 2011. C’est la date de livraison des infrastructures, fixée contractuellement entre l’État et l’association momentanée GTK (Félix Giorgetti, Tralux, AP Kieffer, avec la Spuerkeess) et même par une loi, du 29 mai 2009 « relative à la réalisation du Campus scolaire de Mersch pour le Neie Lycée et pour le Lycée technique pour professions éducatives et sociales par le biais d’un partenariat public-privé ». Ladite loi avait finalement passé la Chambre des députés comme une lettre à la poste début mai, à un mois des législatives, avec l’approbation générale de tous les orateurs, du CSV en passant par le LSAP au DP et aux Verts, qui en appelaient néanmoins aussi à ce que toutes les précautions soient prises afin de garantir la réussite du projet ainsi que le respect de l’enveloppe budgétaire attribuée. Car il s’agit, mine de rien, d’un engagement de quelque 215 millions d’euros sur 25 ans. Le grand avantage pour l’État : il n’a pas à avancer l’argent pour la construction, mais peut étaler ses dépenses sur toute la durée du contrat de location-vente, ce qui équivaudra à 8,1 millions d’euros en loyers annuels plus 3,8 millions de frais d’exploitation annuels.

Et pourtant, malgré cette somme mirobolante, l’entreprise n’aura plus déclenché les passions sur sa dernière ligne droite. Lors de la précédente campagne électorale, en 2004, le sigle PPP se retrouvait dans quasi tous les programmes électoraux, énoncé comme la panacée à tous les maux présumés des chantiers publics – le coût et la durée surtout –, alors que cette année, son occurrence se fit exceptionnelle, même chez les libéraux. Comme si les ferveurs s’étaient calmées. En 2005, le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) avait annoncé une première fois que, dès 2007, l’État allait chercher des moyens de financement et de construction alternatifs. Une task force entre le ministère des Finances, celui de l’Éducation nationale et celui des Travaux publics s’est attelée à la mise en place d’une procédure infaillible, qui respecte les lois et n’exclue pas les entreprises luxembourgeoises sur un marché européen hyper-concurrentiel dans le domaine – la grande crainte des organisations professionnelles autochtones –, et d’un contrat en béton qui prévoie toutes les éventualités (d’Land du 3 août 2007).

Quatre consortiums ont répondu à la procédure d’adjudication, ils devaient proposer aussi bien une solution architecturale pour les deux écoles, plus leurs parties communes, un plan de financement avec un coût prévisionnel et un programme d’entretien sur les 25 ans du contrat. À ce stade, un premier groupement a été rejeté pour son coût jugé excessif. Au deuxième tour, le projet a été affiné avec les trois candidats restants, avant qu’un jury ne retienne le gagnant sur base d’une série de critères de sélection (cinquante pour cent des points sur le prix, 45 pour cent sur la qualité architecturale, la performance énergétique ou encore l’entretien du bâtiment et cinq pour cent pour l’intégration des PME). Il faut dire que GTK avait eu la bonne idée de travailler avec le bureau d’architectes Arco, déjà concepteur du Lycée de Rédange, qui compte pour la référence en la matière en ce moment. Ils ont conçu deux bâtiments aux géométries très sobres, qui se distinguent par les couleurs des façades, distinctes pour chaque lycée, avec une partie commune pour les infrastructures partagées (cantine, sports, internat,... ), le tout avec un souci particulier pour les performances écolonomiques des bâtiments. En tout, quelque 1 600 élèves pourront y être accueillis.

« Pourquoi ils sont venus me chercher ? » Walter de Toffol, ingénieur du bureau Inca, ne réfléchit pas longtemps à la question : « Parce qu’ils veulent que cela aille vite... » Rodé à la gestion des grands chantiers, complexes et urgents – il a notamment pris en charge la coordination des travaux de la place de l’Europe ou de la Philharmonie au Kirchberg –, il est aujourd’hui « project manager » du méga-chantier à Mersch. Et a posé comme condition la mise en place d’une cellule de coordination permanente entre tous les intervenants : désormais, 25 personnes des principales entreprises forment une « équipe intégrée » et travaillent ensemble dans les bureaux de l’une d’entre elles. Après la phase de planification du programme architectural, prise en charge par la task force PPP, les maîtres d’ouvrage ont aussi cherché le dialogue avec les deux directions d’école afin de leur permettre un dernier fignolage des plans, sans incidence sur le coût global s’entend. Cette consultation a été terminée la semaine dernière, parallèlement, les travaux de terrassement et de décontamination (minime) du site ont été entamés à Mersch, derrière la gare.

Selon les adeptes de la procédure PPP, elle devrait permettre de construire plus vite et moins cher qu’une administration de l’État. Or, sur ce dernier point, l’engouement s’est nettement calmé depuis les projections les plus récentes : alors qu’au début, on partait de l’hypothèse d’un gain de quinze à vingt pour cent, on n’en est plus qu’à une réduction des frais de l’ordre de six pour cent – et encore, il faudra voir à l’arrivée si des imprévus de quelque nature qu’ils soient n’auront pas créé des frais supplémentaires. 

« Je suis persuadé que c’est une illusion de croire qu’on peut construire moins cher en ayant recours au PPP, estime Walter de Toffol. Car les critères de qualité demandés sont rigoureusement les mêmes ! » C’était une des conditions de l’État : impossible de faire des économies sur la qualité de la construction et des matériaux utilisés. Le maître d’ouvrage privé gardant la responsabilité du bâtiment et de son entretien durant 25 ans, il a tout intérêt à veiller à des standards élevés des équipements – sinon à charge pour lui de les remplacer. D’ailleurs, le contrat d’entretien est assez limité pour ce projet et ne comporte que des missions de nettoyage et d’entretien au sens strict du terme, d’autres charges qui auraient pu être privatisées, comme la cantine ou l’exploitation de l’internat, resteront de la responsabilité du ministère de l’Éducation nationale.

En ce qui concerne la durée des travaux toutefois, Walter de Toffol est plus optimiste de pouvoir la réduire par rapport à un chantier public classique. Et ce non seulement parce que l’entrepreneur a forcément intérêt à le terminer dans les délais fixés et à optimiser la coordination des travaux et l’organisation des différents corps de métier – quelque 25 entreprises, essentiellement luxembourgeoises, y seront occupées. Mais aussi et surtout grâce à une procédure d’adjudication des marchés beaucoup moins contraignante : pas besoin de faire des soumissions publiques, qui imposent dé­-jà d’elles-mêmes des délais très longs, mais une simple information aux chambres professionnelles avec copie des cahiers de charges suffit. Aussi, la procédure d’autorisations a été très rapide, entre la demande d’une autorisation de construire, introduite fin janvier, et son obtention, trois mois seulement se sont écoulés. Parallèle­ment, les architectes ont préparé les plans d’exécution pour éviter le moindre délai dans la suite des travaux.

Si aujourd’hui, le projet a néanmoins un an de retard sur ce qui était initialement annoncé – les lycées devaient pouvoir fonctionner à partir de la rentrée 2010-2011 – c’est parce que la mise en place d’une procédure rigoureuse et d’un contrat solide ont pris plus de temps que prévu. Un délai qui pourrait, théoriquement, être beaucoup plus court pour un deuxième ou troisième projet. « Mais il reviendra au prochain gouvernement de décider de la suite, de voir s’il veut faire d’autres PPP, » estime Félicie Weycker, juriste au ministère des Travaux publics et membre de la task force PPP. Lors des débats sur le projet de loi à la Chambre des députés, le rapporteur Lucien Clement (CSV) s’était même mis à rêver de la construction du tram par un PPP. 

Le Conseil d’État par contre était plus dubitatif, voire sarcastique dans son avis, se moquant allègrement de l’enthousiasme avec lequel le projet de loi vante les avantages supposés de ce moyen de financement d’un projet : « Rien ne devrait plus arrêter le Gouvernement d’abandonner les procédures budgétaires ordinaires, si compliquées et si dévoreuses de temps précieux » ou « pourquoi maintenir encore le régime des marchés publics comme procédure normale, tellement encombrante et casseuse d’initiative ? » Avant de demander, plus sérieusement, une « définition des situations, nécessairement limitées et particulières, dans lesquelles l’État acceptera d’abandonner les garanties que lui donnent les procédures normales mises en place pour protéger ses intérêts vitaux. »  

josée hansen
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