Le FDC publie ses comptes et affiche ses difficultés à gérer la problématique des droits de l’Homme

Compensation asymétrique

d'Lëtzebuerger Land du 19.07.2024

Les réserves des retraites luxembourgeoises augmentent de dix pour cent en 2023 à 26,25 milliards d’euros, selon le rapport annuel du Fonds de compensation (FDC) publié mardi. Cette belle performance de ses placements s’explique par une « reprise globale des marchés financiers ». Ce bénéfice compense les pertes colossales essuyées en 2022. En cette année de déclenchement de la guerre d’Ukraine, le FDC avait vu partir en fumée 3,17 de ses 26 milliards d’actifs, soit douze pour cent de leur valeur totale. À noter que le MSCI World, indice représentatif des marchés financiers internationaux, avait lui reculé de presque treize pour cent en 2022. Cet exercice avait ainsi « neutralisé » les effets d’une « excellente année financière 2021 », avait écrit le FDC depuis l’avenue de la Porte-Neuve.

Dans son rapport d’activité 2023, le FDC met en avant « sa nouvelle stratégie d’investissement » adoptée en février, « poursuivant sa politique d’investisseur responsable ». Dans son introduction, le président Alain Reuter vise surtout les impératifs environnementaux « afin de s’engager pour une réduction des gaz climaticides auprès des entreprises dans lesquelles le FDC est investi ». Il est également question d’un « élargissement des principes d’exclusion » des sociétés. Pour l’heure, le FDC exclut d’investir dans des sociétés impliquées dans des activités liées aux armes controversées et contrevenant aux normes internationales, en matière de droits de l’Homme, de l’environnement, de droit du travail ou de lutte contre la corruption.

Sont dorénavant ajoutées les sociétés qui ont passé deux ans sous le statut d’observation, un statut attribué à des entreprises soupçonnées de contribuer à des violations de normes internationales « sans violation confirmée, mais à risque ». En 2014, le FDC avait ajouté à sa liste d’exclusion quatorze entreprises israéliennes (et une américaine) en raison de leur implication dans la colonisation et de violations des droits de l’Homme en Cisjordanie (Territoires occupés). Figuraient les cinq principales banques israéliennes (dont Leumi et Hapoalim, dont les filiales luxembourgeoises ont été fermées en 2015 et 2017).

Aucune de ces sociétés ne figure plus sur la liste d’exclusion composée par Sustainalytics. Sur cette liste renouvelée tous les ans et dans sa version de février 2024 apparaissent deux entreprises israéliennes, Aryt industries (détonateurs électroniques pour missiles) et ICL Group (chimie) au motif qu’elles produisent des « armes controversées ». Au même titre que Safran, Rheinmetall ou Rolls-Royce (France, Allemagne et Royaume-Uni). Des sociétés russes et chinoises, comme Sberbank ou Tencent, sont, elles, bien suspendues pour des problématiques de droits de l’Homme. Fin juin, le fonds souverain norvégien a vendu sa participation dans le groupe Caterpillar. L’entreprise américaine vend à Israël des bulldozers qui sont ensuite armés (« weaponized ») par Tsahal et des groupes liés. La presse internationale et des ONG détaillent leur utilisation pour expulser des foyers en Territoires occupés et enterrer vivants des Gazaouis.

Les liens économiques avec Israël inquiètent une partie de la société civile luxembourgeoise. Au début du mois, le collectif BDS et le Comité pour une paix juste au Proche-Orient (CPJPO) ont demandé au gouvernement d’interdire les activités luxembourgeoises de l’entreprise israélienne NSO : « Connue dans le monde entier pour avoir vendu son logiciel espion Pegasus dans le but de surveiller des militants des droits humains, des hommes politiques ou des journalistes, elle est également un fournisseur important de l’armée israélienne. La technologie de NSO Group est notamment utilisée pour intercepter les signaux téléphoniques afin de fournir des cibles et guider les bombardements par drones », écrivent les ONG.

Dans une lettre ouverte envoyée fin mai aux ministres luxembourgeois concernés, le CPJPO avait demandé de veiller à ce que le centre financier luxembourgeois, à travers ses entreprises, le régulateur et les autorités politiques, ne se rende pas ou plus complice « de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et potentiellement du crime de génocide », en permettant par exemple des transferts de fonds à destination d’entreprises de l’armement de l’État hébreu. Contactés ce jeudi, les services de Luc Frieden n’ont pu trouver trace de réponse du gouvernement.

Pierre Sorlut
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