La rue de Bitbourg, un cul-de-sac pour Kindy Fritsch. Le Wort a publié la semaine passée l’annonce de déclaration de mise en faillite de Greenfinch Capital Management (GCM), la société de gestion d’un ensemble d’immeubles à Hamm fondée en 2014 par Kindy Fritsch, petit-fils du fondateur des supermarchés Cactus, Paul Leesch. Selon son dernier rapport publié au registre de commerce, GCM comptait pas moins de six fonds sous gestion.
Le plus connu, Greenfinch global invest a déjà fait l’objet de publicité. En 2021, Reporter avait narré les dissensions sur la détention et l’exploitation de ce fonds d’investissement spécialisé (FIS) qui valorisait son portefeuille d’actifs 330 millions d’euros à la fin 2019. Fin 2021 et après la restructuration (demerger) pour prendre le virage sur la taxation des plus-values, le FIS ne comptait plus que 33 millions d’euros en portefeuille, dix fois moins. Mais le fonds est surtout mité par des litiges.
Le premier est lié à son ancien co-fondateur, Franck Sertic. Ce client de Grant Thornton a été mis en contact par ladite fiduciaire avec Kindy Fritsch, lequel utilisait également ses services, dirigés par Romain Bontemps (associé par ailleurs à Éric Lux et Gerard Lopez). Sertic s’était associé à Fritsch pour acheter un terrain rue de Bitbourg, au numéro 20, et y construire un immeuble, baptisé Eiopso. À l’époque Kindy Fritsch bénéficiait d’un certain crédit. Ses origines familiales le rendaient too big too fail aux yeux de ses partenaires d’affaires qui louaient aussi volontiers le bagout et le charme du jeune individu (né en 1983). Kindy Fritsch siégeait alors au conseil d’administration d’Ikodomos, société de développement immobilier de la famille Lux. Figuraient en outre parmi les coinvestisseurs de Kindy Fritsch rue de Bitbourg, Olivier Assa, fils de l’industriel Marc Assa (Tarkett), sa famille par alliance.
Mais ce mariage d’intérêts (dans l’immobilier) a explosé. Franck Sertic accuse Kindy Fritsch et ses coactionnaires d’avoir vendu au rabais et dans son dos l’immeuble Eiopso. L’entrepreneur réclame aux Fritsch, Assa, Bontemps & Co la somme de 24 millions d’euros. Franck Sertic a été débouté par un jugement rendu le 20 novembre 2020, mais il a bon espoir d’obtenir gain de cause en appel. Dans l’instance, apparaissent en fond des problèmes de gouvernance. La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a été alertée maintes fois au sujet de Greenfinch global invest qu’elle supervise. Le fonds n’a pu soumettre de rapport annuel (pourtant une obligation) pendant plus de deux ans faute d’auditeur, EY ayant prétexté « un manque de disponibilité » pour produire les comptes 2020 et 2021 avant de soumettre une facturation prohibitive. Franck Sertic et son avocat, Fabio Trevisan, ont alerté le régulateur à plusieurs reprises, des errances de l’associé-gérant commandité de GCM.
Mais c’est un autre litige dans Greenfinch global invest qui a mené GCM à la faillite : avec un autre de ses partenaires initiaux, Romain Bontemps et sa société Grant Thornton. Cette semaine, Kindy Fritsch livre au Land, avec « grande tristesse », son récit du désaccord. Dans un courrier de cinq pages rédigé comme un article de presse (avec titre, sous-titre et chapeau), l’entrepreneur explique avoir noué des relations de confiance avec Romain Bontemps en 2012 puis avec sa société de services d’audit Grant Thornton. Mais tout a basculé en 2017 quand il s’est aperçu que le prestataire, et co-investisseur, facturait « des frais exorbitants » pour la gestion du fonds. Kindy Fritsch a voulu renégocier puis a retardé les paiements.
Parallèlement, Grant Thornton s’est plaint de transactions litigieuses, à l’instar de Franck Sertic, à l’image aussi du conflit entre Flavio Becca et Eric Lux dans Olos ou même de l’affaire Immocroissance. Si bien que Grant Thornton réclame 168 millions d’euros à Kindy Fritsch en justice, explique ce dernier. Dans un article daté du 25 juin, le média flamand de Tijd parle de deux immeubles (Eiopso et Greensquare, au 13 rue de Bitbourg) et de 93,37 millions d’euros « détournés frauduleusement », selon les termes d’Octogone, société représentant les intérêts de Grant Thornton. Et ce serait le non-paiement de 300 000 euros de factures qui aurait conduit à la faillite. « L’épuisement résultant de toutes les manœuvres de Grant Thornton me pousse à déposer les armes », écrit Kindy Fritsch.
Que va-t-il advenir des actifs des fonds, à savoir les immeubles construits et des projets en développements ? Les fonds gérés par GCM doivent se retrouver une société de gestion agréée par la Commission de surveillance du secteur financier, selon un avocat sollicité. GCM est « general partner » de la Sicav-Raif (fonds alternatif) Income-Producing property, fondée en 2022, mais qui n’a pas produit le moindre rapport annuel. Pareil pour Propco 1, Propco 2 et Prime Property Development. Seul IPP Holding publie régulièrement une documentation parmi les fonds de GCM (outre Greenwich global invest). Elle détient 290 millions d’euros d’actifs, 258 de dettes.
Que va-t-il se passer avec les sociétés cousines comme Silverfinch ? Les derniers comptes de Silverfinch Property & Asset Management datent de 2021. Cette société comptait alors 18 salariés et affichait 1,8 million d’euros de résultat brut (contre presque quatre l’année précédente) ainsi qu’un léger bénéficie. Silverfinch est le gestionnaire du projet Connection, un immense complexe de résidence temporaire de 83 000 m2 au 23-25 rue de Bitbourg. Cet ambitieux projet est soutenu par le groupe Numa, société fondée en Allemagne par un ancien de Sistema (conglomérat russe du consul honoraire Vladimir Ievtouchenkov). Kindy Fritsch ne répond pas aux questions que le Land lui a adressées. Le curateur de GCM, Christian Steinmetz, pas davantage. Ferdinand Burg, avocat de Grant Thornton, fait aussi la sourde oreille.
Sur les feuilles d’audience du tribunal d’arrondissement, des artisans et prestataires réclament régulièrement depuis quelques années de l’argent à Kindy Fritsch ou des sociétés liées comme GCM ou Silverfinch. Dans la salle des pas perdus de la cité judiciaire où les affaires de Kindy Fritsch reviennent régulièrement, les avocats des référés et du contentieux commercial imaginent les titres de presse : « Au nom du père, du FIS et du (plateau du) Saint-Esprit » ou encore « Laisse pas traîner ton FIS ». S’ajoute une affaire au pénal. Une chambre correctionnelle tranchera bientôt dans un litige opposant l’ancien directeur co-actionnaire d’Autotax à Kindy Fritsch, à qui il demande la restitution de plusieurs centaines de milliers d’euros. Autotax est la première entreprise lancée par le petit-fils Leesch rue de Bitbourg (au numéro 7), sur un terrain acquis via la famille. Des voitures y étaient louées, lavées et vendues. La société Parc Commercial Hamm atteste des liens de la dynastie Cactus avec le quartier. Au board, les patronymes Leesch (dont Maximilien, administrateur délégué du groupe employant 4 500 personnes) domiciliés à la Belle Étoile jouxtaient celui de Fritsch jusqu’à récemment. L’intéressé a quitté le conseil d’administration le 24 juin dernier.
Les déboires de Kindy Fritsch dépassent les frontières du Grand-Duché. Et pas seulement en Allemagne où l’on évoque sa relation avec la présentatrice Palina Rojinski (remarquée par le Wort). De Tijd détaille le retrait de l’un des principaux sponsors du Zoute Grand-Prix, un prestigieux événement automobile à Knokke-Heist : Kindy Capital. Dans un autoportrait dessiné sur ce site mis hors ligne depuis, l’entrepreneur revient sur son enfance au Luxembourg et en Suisse puis sur la brièveté de sa scolarité : « À la grande surprise de mes parents, à 18 ans, j’ai non seulement décidé d’arrêter l’école, mais aussi de ne pas rejoindre l’entreprise familiale. Je voulais plutôt devenir indépendant et faire mon propre argent », écrit-il. Sa « passion pour les voitures » est devenue son premier moteur et il s’est lancé, en 2001 dans la vente et la location à long terme d’automobiles de luxe. Kindy Fritsch dit s’être retrouvé avec un terrain douze fois supérieur à ses besoins et s’est lancé dans l’acquisition d’entrepôts, jusqu’à détenir 120 000 m2 de surface. Puis est venue la crise de 2009 : « In the middle of the financial crisis, no one wanted to invest in office buildings under construction. My gut-feeling and business intuition told me that it was exactly the right time to swim against the tide with a pure mathematical approach. A wise decision that has taken me far ! » Kindy Fritsch relate aussi avoir déménagé à Monaco en 2021 pour « prendre du recul ».