La Parure

La plus belle pour aller danser. Et tomber

d'Lëtzebuerger Land vom 29.11.2013

La Parure est une composition scénique par Stéphane Ghislain Roussel, interprétée par Ludmilla Klejniak, d’après la nouvelle de Guy de Maupassant. La version proposée depuis le 20 novembre dernier au Théâtre du Centaure se veut contemporaine. Et elle l’est clairement, car à aucun moment le spectateur ne se sent face à une histoire d’époque, écrite par Maupassant au XIXe siècle (1884), celle de Mathilde Loisel qui, avec Monsieur Loisel, simple petit fonctionnaire-comptable, a fait un mariage de raison et ne rêvait pourtant que d’une vie romanesque et faste. Ce chef d’œuvre transmet sur à peine dix pages toutes les questions liées au pessimisme ainsi qu’au réalisme de l’époque, mêlant une forme profondément poétique et la cruauté de la vie réelle. Cette jeune femme dépeinte par l’auteur ne tend que vers la gloire personnelle – une forme de quête de la starification, et ce à travers l’acquisition de divers biens de luxe, notamment de belles robes et de bijoux inestimables. De ce fait, oui, on peut aisément s’imaginer Mathilde comme petite reine de soirées de cocktail, que ce soit à Paris ou au Luxembourg.

La nouvelle nous est livrée dans sa totalité par la comédienne Ludmilla Klejniak qui a déjà collaboré avec Stéphane Ghislain Roussel dans Golden Shower, présenté au TNL la saison dernière. Cette superbe blonde à la voix cristalline représente à la fois la beauté classique et enjouée des figures féminines petites-bourgeoises de Maupassant. Assise dans un fauteuil blanc, écoutant d’abord longuement un extrait du Lac de Cygnes, elle raconte l’histoire. Elle est narratrice est revêt la peau de tous les personnages présents dans l’histoire, à la fois. Un exercice périlleux qu’elle parvient à tenir en équilibre. Malgré une certaine transposition caricaturale, on ne tombe pas dans le mauvais goût et le sur-jeu. Certaines longueurs qui agacent au début, permettent cependant mieux de se transposer dans l’inévitable drame lié au personnage. Mathilde paiera et fera payer son mari, dix longues années durant, son rêve de gloire d’un soir, celui d’avoir été la plus belle pour aller danser. Un rythme qui accentue et triste Mathilde.

Presqu’en opposition à une scène dépouillée et un rythme lent en constance, Roussel, qui aime travailler avec tous les médias qu’il estime comme disponibles, à juste titre, a imaginé et intercalé une longue vidéo tournée dans la célèbre salle de bal de la Fondation Biermans-Lapôtre, dans une esthétique à la Kubrick. Cette prise à part évoque le fameux bal auquel Madame Loisel dansera sans fin, jusqu’à perdre toute notion de la réalité, jusqu’à perdre tout ce qu’elle a, jusqu’à perdre sa dignité. Car pour rembourser la fameuse parure de diamants qui lui a été prêtée par son amie d’enfance, Jeanne Forestier, et qu’elle a perdu le soir de ce grand bal, elle fera tout, oubliant ses rêves les plus doux. Roussel accentue la perte de statut et la déchéance personnelle, tant psychique que physique avec le thème de la prostitution, une interprétation qui reste parfaitement plausible.

Malgré le désespoir ambiant, celui de ne pas avoir assez, de ne pas être reconnu, d’avoir tout perdu, de devoir payer une faute, la pièce reste dans un créneau assez léger. On voit cette triste fille devant nous sur le petit plateau du Centaure qui explique son sort – son histoire émeut, le texte reste un monument. On constate donc les dégâts, le cauchemar d’une vie, mais on n’éprouvera aucune révolte. Et après réflexion et bien que la révolte éprouvée au théâtre soit nécessaire, pour cet univers-ci dans le contexte contemporain, son absence peut faire sens. Parce que précisément aujourd’hui, plus rien ne nous révolte réellement ou juste l’espace d’un instant. Maupassant décrivait ses contemporains avec beaucoup de sévérité, sans doute pour susciter auprès d’autres – de ses lecteurs –, une sorte d’empathie à l’égard de ceux qui perdent tout en tentant leur chance et de dégoût à l’égard de ceux qui gagnent en piétinant. Roussel et Klejniak décrivent une femme qui va droit dans le mur, à force de rêver et qui paiera de sa personne, et c’est comme ça. Un pari réussi pour nous caricaturer, tels que nous sommes lorsque nous vivons sans discernement, guidés par le rêve du clinquant objet matériel, jusqu’à se perdre.

La Parure, composition scénique d’après la nouvelle de Guy de Maupassant, mise en scène par Stéphane Ghislain Roussel, avec Ludmilla Klejniak ; scénographie : Stéphanie Laruade & Stéphane Ghislain Roussel ; au Théâtre du Centaure, dernière représentation ce soir, vendredi 29 novembre à 20 heures ; informations et réservations par téléphone au 22 28 28 ; www.theatrecentaure.lu.
Karolina Markiewicz
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