Édito

Éducation aux valeurs

d'Lëtzebuerger Land vom 29.01.2016

Le Studio du Grand Théâtre est plein à craquer. Plus que pour la première d’une pièce de théâtre d’un metteur en scène autochtone. Certains des membres du public, surtout constitué de fonctionnaires, de consultants en communication, de diplomates et d’hommes et de femmes d’affaires, n’y avaient jamais mis les pieds auparavant. La manifestation n’est pas culturelle, bien que le réalisateur Donato Rotunno et l’employée du Mudam Anna Loporcaro participent au débat. Non, il s’agit de parler économie, bizness, marketing. L’événement s’appelle « Une image forte pour un pays ouvert, dynamique et fiable » et est censé faire un bilan à mi-parcours, après un an et demi de travaux de sondages, enquêtes, workshops et autres consultations pour un nouveau nation branding. Autrement dit, sur la grande question du « qui sommes-nous ? »

Et Francine Closener (LSAP), secrétaire d’État à l’Économie, qui chapeaute le processus, d’insister que l’idée de faire une telle auto-évaluation de l’identité du Luxembourg et de l’image qu’il véhicule à l’étranger, remonte bien avant les fuites dites Luxleaks, que c’était même le précédent gouvernement qui l’avait entamée, en 2012 déjà. Après moult commandes à des sociétés de consultance et d’agences de publicité, le comité interministériel mis en place pour organiser ce nation branding a donc sorti des nombreuses propositions et associations d’idées soumises trois termes qui, selon lui, collent le mieux au Luxembourg : ouverture, fiabilité et dynamisme. Ces termes, le pays, ses représentants politiques, ses entreprises, ses créatifs et tous les citoyens devraient désormais l’incarner avec volontarisme et authenticité, non seulement au grand-duché, mais aussi et surtout vers l’extérieur, dans la vue idéalisée du ministère de l’Économie.

« C’est complètement illusoire de croire que l’on peut influencer l’image d’un pays, les canaux son trop nombreux », estime pourtant sur scène le correspondant bruxellois du Wort Diego Velazquez, qui voit dans sa pratique professionnelle quotidienne à quel point le millier de journalistes accrédités auprès des institutions est toujours marqué de préjugés négatifs dans son appréciation du grand-duché. Oui, rétorque Sasha Baillie, présidente du comité nation branding, il y aurait certes encore beaucoup de problèmes sociaux, économiques ou scolaires à résoudre, mais qu’il y aurait déjà tellement de choses dont on pourrait être plus fiers. Pour la femme d’affaires Christiane Wickler, les Luxembourgeois sont beaucoup trop souvent tétanisés de peur et de manque de confiance, à tel point qu’ils ne voient plus les avantages d’un petit pays si ouvert sur le monde et si rapide à se transformer.

Or, faute de concret, le nation branding se réduit actuellement à la promotion de valeurs. Ce qui est intéressant à observer dans une société qui se sécularise rapidement et où ni les valeurs des religions, ni même celles de la tradition humaniste du continent européen ne semblent plus arriver à récolter l’adhésion de la population. Si ni l’amour du prochain du catholicisme, ni le tous égaux du communisme et encore moins les droits de l’homme des conventions européennes ne sont plus acceptés comme normes éthiques, un gouvernement libéral qui se veut surtout business friendly en fait définir et promouvoir par des techniques de communication modernes. Qui peut être contre l’ouverture, le dynamisme et la fiabilité comme mètres-étalons d’un petit pays qui n’a d’autres atouts, pour prospérer financièrement, que ses chemins courts, sa paix sociale et sa stabilité politique, sa culture de l’accueil des migrants et sa volonté d’innover pour s’adapter rapidement à un contexte en constante évolution ?

Tout le monde serait désormais un peu ambassadeur de cette nouvelle image du Luxembourg, lancent ses promoteurs à la fin de la conférence. Qu’il s’agit d’être fier de son pays – un peu plus patriote quoi, même si le terme ne fut pas évoqué. Or, le patriotisme est une valeur du XIXe siècle... Tout ça pour ça ?

josée hansen
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