Comment devenir Luxembourgeois – suite

Les uns et les autres

d'Lëtzebuerger Land vom 21.09.2012

Inégalités devant la loi Il y ceux qu’on soupçonne d’abus et de tricherie, par exemple la belle Biélorusse ou le fougueux Roumain qui épouseraient un Luxembourgeois bedonnant, respectivement une vielle fille sur le retour – il y a quatre ans, le législateur, visiblement paniqué à l’idée d’une véritable avalanche de mariages blancs, a supprimé la naturalisation par alliance avec un ressortissant luxembourgeois. Actuellement, les jeunes mariés étrangers doivent donc passer par toute la procédure, résidence ininterrompue de sept ans sur le territoire national, participation à un cours d’instruction civique, cours et examen de langue luxembourgeoise avant d’avoir droit à ces supposés précieux papiers.
Et il y a ceux qu’on accueille les bras ouverts, alors qu’ils n’ont de rapport au Luxembourg autre que sanguin : ces Américains ou ces Belges dont les ancêtres, parents, grands-parents, voire arrières grands-parents, avaient émigré du Luxembourg avant 1900 et qui, par l’article 29 de la loi de 2008, peuvent recouvrer la nationalité luxembourgeoise par simple demande. Ils étaient 1 877 en quatre ans, dont 78,3 pour cent (1 469) de Belges. De ceux-là, le ministre de la Justice, François Biltgen (CSV), disait mercredi, lors d’une conférence de presse, qu’il signait leurs nouveaux papiers avec beaucoup de joie, tellement ces gens-là le touchaient avec leurs témoignages sur les liens intimes qu’ils entretiennent avec le pays, dû à quelques souvenirs familiaux – ou un emploi au pays.
Toute la logique, tout le paradoxe de la législation actuelle sur la nationalité luxembourgeoise tient dans ces deux cas de figure, peut-être même inconsciemment : tous les prétendants à la nationalité luxembourgeoise ne sont pas traités à la même enseigne. Les « anciens » consanguins, ceux qui sont venus au sang luxembourgeois par leur seule descendance et ne vivent même pas ici, sont les bienvenus, le Luxembourg aimant dernièrement à retracer une diaspora de nationaux qui irait de la Transylvanie en Roumanie aux États-Unis. Et ceux qui sont ici par amour, ont choisi de s’installer avec un partenaire au grand-duché, probablement d’y travailler et même éventuellement d’y fonder une famille et de donner naissance aux futurs fonctionnaires, médecins, voire ministres, sont d’abord vus d’un mauvais œil et soumis à toutes sortes de contraintes et de chicaneries. C’est l’immigration choisie, jadis si chère à Nicolas Sarkozy, adaptée à la réalité locale.
« C’est quand même dommage de jeter de la sorte le soupçon sur tous les couples, alors que seuls quelques cas pourraient être des mariages blancs – et ces cas-là, on les remarque tout de suite, » regrette Alex Bodry, président du parti socialiste, qui, en tant que maire de Dudelange, voit défiler bien des couples qui veulent s’unir par le lien du mariage. Le bilan qu’il tire de la loi de 2008 est globalement positif aussi, bien que plus mitigé que celui de François Biltgen : « La loi ne correspond pas à cent pour cent à nos attentes, mais fut le fruit d’un compromis. C’est la troisième réforme de cette législation à laquelle je participe et j’ai l’expérience que ce fut à chaque fois le CSV qui freinait pour les grandes avancées. Pour cette loi aussi, si plusieurs grands principes sont bons, il reste de la marge pour des améliorations. »
Ouvrir le débat Ce mercredi, 19 septembre, François Biltgen présentait, d’abord à la commission de la Justice de la Chambre des députés, puis devant la presse, le Rapport d’évaluation que son ministère a dressé de l’expérience de la loi de 2008. Un rapport quantitatif et qualitatif terminé en juin déjà, a-t-il martelé, se défendant virulemment contre le reproche de réagir précipitamment aux critiques qui avaient fusées après le dépôt de la « lex de Lannoy » par laquelle la comtesse Stéphanie de la Lannoy, future épouse du grand-duc héritier Guillaume, se voit attribuer la nationalité luxembourgeoise selon l’article 8 de la loi, « à l’étranger majeur qui rend ou a rendu des services signalés à l’État », une naturalisation non demandée, mais proposée par le gouvernement, a répété le ministre mercredi. Les Verts, la Gauche et le Parti pirate avaient fustigé le traitement inégalitaire des citoyens devant la loi suite au dépôt de ce projet de loi, le 3 septembre dernier (voir d’Land 37/12 du 14 septembre). Il avait, insistât le ministre, annoncé une évaluation et des adaptations de la loi depuis longtemps. Aujourd’hui, il veut ouvrir un grand débat « extensif » sur les questions ouvertes et « intensif » sur leurs enjeux, un débat qu’il veut mener aussi bien au sein du parlement, lors d’un « débat de consultation » qui pourrait se tenir à la mi-novembre, qu’avec la société civile lors d’une discussion publique avec des politiques, des juristes et des historiens, et par le biais de la page internet, qui invite à commenter, voire même à dialoguer avec le ministre.
La loi de 2008 constituait, selon François Biltgen, un véritable « changement de paradigme » en ce qu’elle introduisit la possibilité de la double nationalité – les demandeurs n’avaient plus à abandonner leur ancienne nationalité pour devenir aussi Luxembourgeois –, et changea l’ancien « acte souverain du législateur », pour lequel l’assemblée plénière du parlement devait décider au cas par cas et à huis clos du sort réservé à la demande coulé chacun dans une loi, en un acte purement administratif, un simple arrêté ministériel, par lequel le ministre décide sur pièces et selon des critères plus ou moins objectifs énumérés dans la loi (résidence, honorabilité, maîtrise de la langue, participation aux cours d’instruction civique). Ce qui, outre l’accélération des procédures, a certes l’avantage d’ouvrir la possibilité de recours contre les décisions de refus devant le Tribunal administratif (34 refus entre 2009 et 2011, sur 12 848 naturalisations ; seulement cinq recours introduits depuis), mais confère aussi une large liberté d’appréciation au ministre sur certains points. Une liberté que François Biltgen affirme toujours saisir en essayant d’être le plus généreux possible et de décider en faveur du demandeur dans les cas moins évidents, mais dont il aimerait voir précisés les contours dans la nouvelle loi.
Questions à trancher Suite au rapport d’évaluation et en vue de la modification de la loi élaborée à l’époque par son prédécesseur Luc Frieden (CSV), François Biltgen a donc dressé un catalogue d’une demi-douzaine de questions à trancher dans le débat public qu’il lance. La première concerne la durée obligatoire de résidence, qui a été augmentée de cinq à sept ans en 2008 (et encore, ce fut alors un compromis avec le partenaire de coalition socialiste, le CSV ayant à l’époque demandé dix ans, les socialistes cinq ans) : faut-il vraiment l’abaisser à nouveau, comme le revendiquent le LSAP et les Verts par exemple, ou est-ce qu’une flexibilisation dans l’interprétation de ces sept ans, en cas d’immigration circulaire (allers et venues de et au Luxembourg) ou d’interruption dans l’autorisation de séjour suffirait ?
Un deuxième point d’interrogations concerne le test de langue, dont le ministre François Biltgen s’enorgueillit certes de l’objectivité des critères de contrôles (normes établies par le Conseil de l’Europe) et des contrôleurs (le Centre de langue), mais dont il admet aussi un degré de difficulté qui dépasse souvent les candidats à la naturalisation. Des points que soulignent aussi bien l’historien Denis Scuto dans son livre La nationalité luxembourgeoise que l’Ecri dans son rapport sur le Luxembourg. Le ministre veut ouvrir le débat sur la question du niveau du test de langue et réfléchir à une possible introduction d’un système de compensation, mais ne pas toucher au principe même de la nécessité de maîtriser le luxembourgeois pour acquérir la nationalité – et est en cela sur la ligne de l’ADR et de l’extrême-droite –, alors que d’autres, comme le député écologiste Felix Braz rappellent que le Luxembourg a, depuis la loi de 1984, trois langues officielles, aussi l’allemand et le français, qui devraient logiquement suffire pour participer pleinement à la vie du pays.
Les autres questions peuvent ensuite être considérées comme subsidiaires à ce grand binôme résidence / langue : qui peut être dispensé des cours d’instruction civique et / ou du test de langue ? Qu’en est-il de « l’honorabilité » du candidat, qui peut motiver un refus si et si seulement le candidat a été condamné à une année de prison ferme au moins. Le ministre aimerait pourtant aussi voir écartés des candidats au comportement douteux, par exemple plusieurs fois condamnés pour injures à l’encontre de représentants de la force publique, ou des récidivistes en violence conjugale. Toutefois, aussi bien Alex Bodry que Felix Braz mettent en garde qu’une plus grande liberté d’appréciation du terme « honorable » accordée au ministre est aussi une porte ouverte à l’arbitraire dans le jugement d’une seule personne.
Ensuite, le ministre pose quelques questions de délais, s’il faut par exemple prolonger la possibilité de recouvrement de la nationalité au-delà de 2018 comme prévu dans la loi. La signature par le Luxembourg, en 2008 aussi, cinq mois avant le vote de la loi, de la Convention européenne sur la nationalité, obligera en outre le grand-duché, lors de sa ratification, à revoir ses critères d’acquisition de la nationalité pour les conjoints de nationaux (qu’en est-il des partenariats ?) ou les apatrides et enfants de réfugiés ayant résidé au Luxembourg. En dernier lieu, le ministre pose la question de savoir s’il faut élargir le droit du sol en attribuant simplement la nationalité à tous les enfants nés ici, quelle que soit la nationalité originelle des parents.
Gouffre philosophique « En fait, le ministre pose toutes les questions que nous avions déjà soulevées lors des débats parlementaires sur la loi de 2008, estime Felix Braz. Donc, nous trouvons bien sûr que ça va dans la bonne direction. Mais j’insiste qu’il serait désormais temps de vraiment fixer, article par article, tous les critères essentiels qui puissent nous amener vers le but de cette loi, à savoir une meilleure, intégration des immigrants et une meilleure cohésion sociale. » Car, après de premiers succès suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, le nombre de nouvelles nationalisations baisse à nouveau et le solde migratoire dépasse celui des naturalisations. « Il y a deux approches diamétralement opposées dans ce domaine, juge pour sa part Alex Bodry : Il y a ceux qui estiment que l’obtention de la nationalité luxembourgeoise est le couronnement d’un processus d’intégration réussi, et ceux qui, comme nous, y voient un début, un moyen pour une meilleure intégration et une plus grande participation citoyenne des candidats. » Les débats risquent d’être à nouveau passionnés en automne. Car, comme l’a souligné Denis Scuto dans sa conclusion : l’optimisme déclenché par la loi de 2008 quant à un assouplissement du droit de la nationalité ne doit pas faire oublier les débats animés qui l’ont entourée et « les ambiguïtés de la démarche législative », avant d’appeler à une « grande vigilance » quant à la suite.

josée hansen
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