Projection privée

Un ménage à trois tragi-comique

d'Lëtzebuerger Land vom 16.11.2012

Projection privée de Rémi de Vos, actuellement au Théâtre ouvert (Tol), met en scène un couple à la dérive qui n’a plus rien à échanger. Les deux époux vivent leur vie comme deux étrangers dans une même maison, chacun ayant ses distractions et ses habitudes. Dès la nuit de noce, le couple a explosé et se résume à présent à deux individus qui ont littéralement oublié ou ignorent intentionnellement l’existence de l’autre. C’est un conte moderne, à la fois horrifique et drôle par son absurdité, d’une femme boulimique du petit écran et des spots publicitaires, d’un homme adultère et de sa jeune et fantasque maîtresse, qui se dit défenseuse « de la paix des ménages » et qui s’est donné comme mission de les réconcilier. Élément charnière et omniprésent dans la pièce, la télévision vient s’immiscer dans ce trio désolant, comme un personnage entier vivant à leurs côtés.
Le rideau s’ouvre sur les lamentations d’une femme seule devant sa télévision, se morfondant sur sa vie morose, mariée à un homme pour lequel elle n’éprouve que du dégoût depuis leur nuit de noce – début de leur éloignement. Affaissée jour après jour sur le canapé devant son poste, elle rêve de la vie des vedettes du petit écran et envie leur quotidien sous les feux des projecteurs. Elle admire leurs vies de paillettes, qu’elle vit par procuration à travers ses feuilletons adorés. Cette passion dévorante et de plus en plus malsaine pour son poste, se mue par moments en une relation quasi érotique. Son mari, fervent amateur de bars et de jolies femmes, imbu de sa personne, s’est tellement éloigné de la vie conjugale et de sa femme, qu’il en a oublié jusqu’à son existence et son nom, affublant son épouse de prénoms inventés. L’absurdité de la situation et le comique de la pièce sont à leur comble quand la maîtresse devient complice de l’épouse trompée et qu’une tendre amitié commence à se nouer entre elles.
Au fil de dialogues vifs et surréalistes, les personnages s’éloignent de la réalité. La télévision, perpétuellement présente et allumée, prend de plus en plus de place dans le récit. Les personnages évoluent au rythme des émissions télévisées qui passent en boucle et finissent par interagir avec la télé, comme si une quatrième personne s’était ajoutée au trio. Tous finiront par se perdre (littéralement) dans le petit écran, engloutis par la télé.
La pièce est une suite de situations grotesques et inextricables racontées avec un humour tranchant, rappelant quelque peu les pièces de Ionesco. C’est à la fois une critique des temps modernes où nous sommes tous esclaves des médias et accros de la télévision (même – ou malgré ? – des programmes de mauvaise qualité) et une histoire fabuleuse sur la solitude de deux êtres qui vivent pourtant côte à côte, la tendresse qui les lie malgré tout et la perte de soi.
L’énergie des acteurs se transmet par des grimaces, par des regards qui en disent long et des gestes  abruptes et comiques, qui nous rappellent le théâtre de vaudeville. La pièce est aussi complexe qu’elle est drôle. Les acteurs, particulièrement Colette Kieffer, à travers une écrasante présence scénique, nous embarquent dans une histoire folle et absurde, qui malgré tout nous laisse pensifs. Jérôme Varanfrain est loufoque dans le rôle du mari détestable par ses propos cruels et maladroits, mais attendrissant malgré lui. La mise en scène rajoute une pointe d’humour au récit en jouant avec les clichés des feuilletons télévisés à l’eau de rose.

Projection privée de Rémi de Vos, mis en scène par Frédéric Largier ; décor : Jeanny Kratochwil ; avec Caty Baccega, Colette Kieffer et Jérôme Varanfrain au Tol, 143, route de Thionville à Luxembourg ; prochaines représentations les 16, 22, 23, 24, 28, 29 et 30 novembre à 20h30 ainsi que les 6, 7 et 8 décembre à 20h30 ; réservations par téléphone : 49 31 66 ; Internet : www.tol.lu.
Nathalie Medernach
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