L’assurance-vie, un placement attractif ?

Test-Achats

d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2013

C’est seulement vers la fin du XXe siècle que les assureurs-vie sont entrés dans la cour des grands du marché de l’épargne, un espace jusque-là tenu par les banquiers. Les tentatives antérieures des assureurs n’avaient rencontré qu’un maigre succès tant leurs produits, symbolisés par le tristement célèbre contrat mixte à frais précomptés, avaient soulevé de critiques en raison de leur opacité et de la médiocrité de leurs performances financières. Tout a changé lorsqu’en 1976 un assureur français visionnaire, Gérard Athias, a lancé le contrat Afer. Ce contrat d’épargne-retraite libellé en francs se distinguait par des qualités inédites : des frais peu élevés et clairement définis ; une grande souplesse de fonctionnement avec la possibilité de versements et de rachats libres ; une rémunération sous forme d’un intérêt capitalisé annuellement (effet de cliquet), généré par un portefeuille d’actifs essentiellement obligataires ; enfin, le bénéfice du régime juridique et fiscal de l’assurance-vie. Ces arguments, appuyés sur la publication de premiers rendements annuels attractifs, ont entraîné un développement fulgurant de l’assurance-vie d’épargne. Ne voulant pas rester au bord du chemin, les banquiers ont proposé eux aussi ce type d’assurance-vie, marquant ainsi le début de la « bancassurance ».

Les contrats d’assurance-vie en euros inspirés du modèle Afer d’origine constituent le « placement en bon père de famille » par excellence. Ils continuent, malgré des rendements en baisse, à séduire les épargnants épris de sécurité. Mais depuis, l’offre des assureurs s’est élargie de manière à couvrir l’ensemble des profils d’investisseurs. En particulier, l’architecture financière de l’assurance-vie s’est enrichie avec l’apparition, dans les années 1980, de contrats exprimés en unités de compte constituées par des placements financiers dont les variations sur les marchés, à la hausse ou à la baisse, sont répercutées sur la valeur du contrat. Cette étape a été très importante car elle marque l’ouverture de l’assurance-vie à la bourse. En outre, elle coïncide avec le développement et la diversification des fonds d’investissement dont les parts sont largement utilisées comme unités de compte. Bref, les unités de compte ont transformé l’assurance-vie de « placement pépère » en produit financier « tendance ». Ajoutons que certains raffinements ont été apportés à la structure du contrat d’assurance-vie. À l’image des fonds d’investissement à compartiments multiples, on a créé des contrats multi-supports, où le même contrat comporte une variété de supports, des plus conservateurs (comme un fonds garanti en euros) aux plus risqués (fonds investis en actions). Le client choisit le ou les supports au moment où il verse des primes. Et il peut se raviser en cours de contrat en opérant des arbitrages entre les supports attachés à son contrat. Ce type de contrat : multi-supports, à versements, rachats et arbitrages libres constitue la forme la plus aboutie du contrat d’assurance-vie moderne.

Le Luxembourg s’est adapté à cette évolution en se dotant d’un cadre réglementaire qui permet aux assureurs luxembourgeois de proposer sur le marché les contrats d’assurance-vie les plus modernes dont les supports multiples sont de nature à répondre aux différents profils d’investisseurs. Il est allé plus loin encore en adaptant le cadre du contrat d’assurance-vie à la gestion de fortune individualisée grâce au fonds dédié. Celui-ci autorise, à partir d’un certain niveau d’investissement, l’adossement au contrat d’un portefeuille personnalisé accueillant des actifs financiers à risques sans avoir à respecter les règles prudentielles de l’assurance-vie applicables au tout venant. En somme, le fonds dédié est un portefeuille géré dans une enveloppe d’assurance-vie.

Concernant les contrats liés à des fonds d’investissement, on remarquera que leurs performances tiennent davantage à l’évolution des marchés et aux choix d’investissement des clients qu’au talent de gestionnaire de l’assureur. Selon les chiffres globaux rapportés par le Commissariat aux assurances (CAA) pour 2012, la revalorisation des contrats en unités de compte a été positive de 9,96 pour cent pour les contrats grand public ; et de 6,65 pour cent pour les contrats adossés à des fonds dédiés, dont les options d’investissement sont marquées par des considérations propres à la situation de leurs détenteurs.

Plus révélateurs de la politique d’investissement des assureurs sont les résultats financiers des contrats d’assurance-vie garantis en euros. Le CAA indique que pour l’ensemble des assureurs, les actifs représentatifs de ces contrats enregistrent en moyenne un rendement positif de 4,36 pour cent, alors que la revalorisation des contrats correspondants s’élève à 3,23 pour cent. En première réaction, compte-tenu des taux d’intérêt en vigueur sur le marché et de la rémunération servie par les banques, ce taux moyen supérieur à trois pour cent paraît attractif. Mais qu’en est-il concrètement lorsqu’on examine le rendement effectif des produits phares de deux grands assureurs de la place ?

Foyer communique au moyen d’une affiche annonçant le rendement de son contrat à capital garanti « Flexivie Click » : trois pour cent en 2012. En y regardant de plus près, on s’aperçoit que ce chiffre est assorti d’un astérisque renvoyant à une note de bas de page imprimée en caractères minuscules : rendement brut. Pour connaître le rendement net, il faut se reporter à la fiche d’information financière du produit, laquelle annonce les frais de gestion du produit exprimés en pourcentage mensuel. Convertis en frais annuels, ceux-ci s’élèvent à 0,96 pour cent pour les contrats inférieurs à 50 000 euros et à 0,6 pour cent pour les contrats au moins égaux à 50 000 euros. Voilà qui ramène le rendement annuel net, selon l’importance du contrat, à entre 2,04 et 2,4 pour cent. La fiche d’information nous apprend encore que les primes sont sujettes à des frais d’entrée de trois pour cent maximum, chiffre dont il convient de tenir compte pour apprécier le rendement net des sommes versées. En outre, il est indiqué que les rachats opérés sur le contrat sont soumis durant les trois premières années à des « frais de sortie », autrement dit à des pénalités de rachat dégressives de trois à un pour cent. Voilà qui réduit encore le rendement effectif dans l’hypothèse d’une sortie du contrat avant la quatrième année. Enfin, on précisera que ce produit ne comporte aucune garantie contractuelle d’intérêt, l’attribution d’un intérêt au titre de la participation aux bénéfices financiers du fonds étant laissée à la discrétion de la compagnie. Bref un produit moins rentable et moins flexible qu’on pourrait le penser à première vue.

Axa braque les projecteurs sur son contrat Borea Invest 30, un produit sans garantie d’intérêt minimum comparable au produit de Foyer examiné ci-dessus. Le rendement affiché pour 2012 est de 3,30 pour cent, la compagnie insistant sur le fait qu’il s’agit d’un rendement net. Un bon point pour Axa, puisque son rendement net est supérieur au rendement brut de Foyer et qu’il apparaît tout à fait honorable comparé aux performances des contrats français (à titre d’exemple, le contrat Afer souvent cité comme référence a rapporté 3,43 pour cent en 2012). Qu’en est-il à présent des frais ? Concernant les frais d’entrée, ils sont plus élevés chez Axa, car ils peuvent atteindre cinq pour cent du montant des primes versées. En revanche, les frais de sortie durant les trois premières années sont plus favorables chez Axa, car ils sont inexistants lorsque le rachat n’excède pas quinze pour cent de l’épargne constituée.

Ces exemples démontrent que le contrat d’assurance-vie d’épargne en euros mérite un examen méticuleux lorsqu’il s’agit de le comparer à un autre type de placement. En particulier, il n’est pas un substitut à un placement bancaire liquide. Il ne doit être envisagé que dans la perspective d’un horizon de placement à moyen ou long terme, ce qui a toujours été et qui demeure son domaine d’élection.

Gérard Klein
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