Bitcoins

Bernanke bénit le bitcoin

d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2013

La fermeture par les autorités américaines du site Silk Road, plateforme souterraine hébergeant toutes sortes de trafics et utilisant exclusivement la devise virtuelle bitcoin, n’aura pas empêché pendant très longtemps son fonctionnement. Malgré l’arrestation de son principal animateur, celle-ci a recommencé à fonctionner environ un mois après le raid des agents fédéraux. Ce raid n’aura pas eu non plus pour conséquence une diabolisation des bitcoins, quand bien même certains réclamaient des mesures de mise au pas de la part des banques centrales.

C’est même le contraire qui s’est produit. Lors d’une audition au Sénat des États-Unis sur les « risques, menaces et promesses » des devises virtuelles cette semaine, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a souligné certains des avantages à long terme que peuvent présenter de telles devises, en dépit des risques, notamment en matière de blanchiment, qui y sont attachés. Il s’est référé à un avis émis en 1995 par un vice-président de la Réserve fédérale, qui vantait le potentiel de telles innovations à « promouvoir un système de paiement plus rapide, plus sûr et plus efficace ».

Le cours du bitcoin a fait un bond impressionnant après cette audition, dépassant les 700 dollars – il en valait environ 400 à la mi-novembre … et treize en janvier 2013 ! Il n’en fallait pas plus pour que le Wall Street Journal et le Financial Times, jamais en retard d’une occasion de spéculer, en fassent leurs choux gras. L’économie bitcoin équivaut aujourd’hui à huit milliards de dollars, a ainsi indiqué le Wall Street Journal.

Les bitcoins et autres devises virtuelles sont-ils vraiment de nature à faciliter voire à encourager les activités criminelles ? C’est surtout sous cet angle-là que certains, encouragés par la fermeture musclée de Silk Road, ont voulu sévir contre ces improbables concurrents des devises traditionnelles, perçus comme facteurs d’instabilité et d’incertitude. La structure décentralisée des bitcoins met ceux-ci à l’abri d’interventions des autorités, par exemple de dévaluations. Ceci peut être perçu comme dangereux par ceux pour qui un contrôle central de la monnaie est essentiel pour pouvoir faire face à tous les coups durs. Mais pour d’autres, cette décentralisation est au contraire une garantie de perennité du marché des bitcoins. Perennité sans doute, mais pas nécessairement stabilité, comme le montre le cours passablement erratique du bitcoin ces dernières années.

Une autre considération qui complique le débat tient au fait qu’en théorie, comme toutes les transactions effectuées à l’aide de bitcoins sont par définition enregistrées sur des serveurs publics, il est possible de retracer qui a effectué quelle transaction en bitcoins. L’anonymat du réseau bitcoin est donc tout relatif, et ce d’autant plus que les bourses de bitcoins sont censés enregistrer la véritable identité des intervenants. Ceci met à mal, au moins en partie, l’argument d’une devise propice aux agissement criminels, même s’il existe des possibilités de tricher.

L’audition au Sénat et les remarques passablement bienveillantes de Bernanke marquent-elles un tournant pour les bitcoins et leur intronisation comme devise légitime ? Sans doute pas, ou du moins pas encore. Le bond de la devise virtuelle souligne le risque d’une bulle bitcoin, contre laquelle bien des économistes ont déjà mis en garde. Une autre source de défiance est le risque que des propriétaires de bitcoins se fassent dévaliser par des hackers. Un risque réel, comme l’ont montré plusieurs vols de portefeuilles virtuels, dont certains impliquant des sommes non négligeables.

Pour l’heure, le Sénat ne semble pas avoir l’intention de proposer de législation sur les devises virtuelles, mais plutôt de collecter des informations sur un phénomène qui ne laisse personne indifférent dans le monde de la finance, comme l’a résumé avec humour le sénateur Tom Carper : « Les devises virtuelles, et peut-être surtout le bitcoin, ont captivé l’imagination de certains, suscité des peurs chez d’autres et semé une formidable confusion chez le reste, dont moi ».

Jean Lasar
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