Groupe Pol Wirtz

Effet domino

d'Lëtzebuerger Land vom 10.04.2003

Le mensuel économique Business vivait à la petite semaine depuis des mois : l'imprimeur exigeait des paiements en cash à la parution de chaque édition, avant que les exemplaires ne puissent sortir de son dépôt. Luxembourg News, la publication soeur, avait ralenti son rythme de parution en février, passant de l'hebdomadaire au bimensuel. La parution de IT Solution, troisième titre du petit groupe de presse International City Magazines (ICM), propriété de Pol Wirtz, avait été suspendue en janvier dernier, compte tenu de l'état de déliquescence du marché publicitaire dans le secteur informatique. L'existence de Golf News, une feuille hebdomadaire renseignant sur tous les potins qui s'échangent sur les parcours et paraissant pendant les sept mois que durent la saison golfique, aura été de courte durée : deux ans malgré le coup de main de la Fédération luxembourgeoise de golf, qui a toujours pris sur elle les frais d'impression d'un titre qu'elle distribuait à l'ensemble de ses adhérents. La disparition de IT Solution et de Golf News, à la diffusion plus que confidentielle, n'a été remarquée que par un cercle très limité de lecteurs. Avec la faillite le 28 mars dernier de ICM, la mort de Luxembourg Business, lancé en 1987, et de Luxembourg News, qui avait fêté ses 20 ans en 2001, est passée moins inaperçue. Surtout parce que neufs salariés ont perdu leur emploi. 

Le mensuel économique s'apparentait plus à un journal gratuit qu'à un « vrai » magazine, compte tenu de sa diffusion payante très marginale par rapport aux exemplaires distribués gracieusement notamment dans les hôtels et un contenu rédactionnel souvent à la limite du publi-reportage ou de l'indigestion avec une succession de plumitifs venus des grandes firmes d'audit à l'égo souvent hypertrophié.

Lux News laisse en revanche orpheline une partie de la communauté anglophone et anglophile du Grand-Duché dont il était « le » journal de référence depuis plus de deux décennies. Une communauté qui a d'ailleurs bien du mal à l'enterrer. Si bien qu'il n'est pas impossible que ce titre refasse d'ici peu son apparition sur la scène médiatique luxembourgeoise, probablement sous la forme d'une édition électronique, commercialement plus viable que la formule d'antan imprimée en quadrichromie. Un petit cercle d'anglophones, qui pleure encore la fin de « son » hebdomadaire, même s'il n'en était plus un, est en effet assez tenté de faire revivre le produit avec une structure rédactionnelle et commerciale réduite, qui fonctionnerait sous la forme d'une association sans but lucratif. 

Cela pourrait expliquer, sans pour autant l'excuser, le fait que les noms de domaine électronique news.lu et de business.lu, censés faire partie du patrimoine de ICM et donc de la masse de la faillite - intouchables à moins d'un accord avec le liquidateur -, ont très récemment changé de propriétaire, à l'insu du curateur de la faillite, Pierre Feltgen. Pillage? Une chose est sûre, le nouveau propriétaire sur le papier de ces noms de domaine, qui se cache derrière le holding Sunnit s.a., domicilié auprès d'une fiduciaire de Luxembourg, devra quelques explications au curateur, si tant est que ce dernier parvienne un jour à percer le secret de ses véritables ayant droits. Pol Wirtz, interrogé par d'Land, se défend pour sa part d'avoir orchestré cette opération de siphonage d'actifs. 

L'intéressé ne pourra tout de même pas faire oublier le précédent avec l'hebdomadaire Jobs, failli en décembre et révélé par le mensuel Paper Jam : le nom de domaine Internet jobs.lu, à forte valeur ajoutée comme le sont d'ailleurs aussi business.lu ou news.lu, a été récupéré à titre privé, peu avant la faillite en janvier 2003, par Pol Wirtz, au détriment de l'actif de la société. 

Pour prévisible qu'elle fut, la faillite de ICM et plus encore la disparition d'un titre, Lux News, qui avait trouvé son public, n'en reste pas moins choquante. Comme sous l'effet d'un jeu de domino, le petit groupe appartenant à Pol Wirtz s'est écroulé en quelque mois. 

La première à flancher a été la société de recrutement Pol Wirtz [&] Partners (PWP), dont M. Wirtz détenait 50 pour cent des parts avec deux autres associés qui s'en partageaient  le solde. Quelques semaines après cette première défection, l'hebdomadaire Jobs, spécialisé dans les annonces de recrutement, rendait l'âme à son tour, laissant derrière lui un passif de plus de 320 000 euros, dont près de 100 000 euros au groupe Editpress, et pas mal de salaires impayés (environ 67 000 euros). Curieusement, les caisses de sécurité sociale n'ont fait aucune déclaration de créance.

L'ardoise laissée par PWP se chiffre pour l'heure à un peu plus de 172 000 euros. L'administration de l'Enregistrement reste le créancier principal avec une note impayée de quelque 72 000 euros. Au second rang, l'un des anciens partenaires de Pol Wirtz, qui réclame près de 36 000 euros, ce qui correspond à ses indemnités pour licenciement abusif auxquelles la société PWP a été condamnée en mai 2002 par le tribunal de travail. Un appel a été interjeté par la société, mais compte tenu de la faillite, un point d'interrogation subsiste sur la poursuite de la procédure par le curateur. Vieille de deux semaines, la faillite d'ICM, troisième pièce du jeu à tomber, n'a pas encore rameuté l'ensemble des créanciers. Seule une poignée d'employés avait fait mercredi une déclaration de créance au tribunal de commerce pour un montant proche de 40 000 euros. Les impayés de l'imprimeur eschois atteindraient, selon une source fiable, plus de 200 000 euros. Les dettes envers l'État seraient du même ordre, sinon plus élevées.

Du petit groupe bâti par Pol Wirtz dans les années quatre vingt dix, ne subsiste plus aujourd'hui qu'une structure, HRC, spécialisée dans le conseil en ressources humaines. La société a dû adapter ses tarifs vers le bas et aller taquiner les clients dans l'artisanat, un des rares secteurs d'activité qui embauche encore au Luxembourg. Le volet plus noble de l'« executive search » s'appuie aujourd'hui sur une nouvelle structure, International Executive Search Group, laquelle opère sous le nom commercial de Pol Wirtz Search. S'y retrouvent les principaux associés de PWP. 

Il faut, sur ce point, s'interroger sur la politique conduite par le ministère des Classes moyennes en matière d'autorisation de commerce. Dans la lutte contre les faillites, l'une des solutions retenues pour enrayer les défaillances à répétition d'entreprises consiste à exiger du candidat à l'autorisation de commerce qui traîne une ou plusieurs faillites derrière lui, un solde de tout compte auprès des administrations sociales et fiscales, avant de pouvoir relancer ses affaires. 

Avec un tableau de chasse fait de trois défaillances presque coup sur coup, et pas mal de dettes, Pol Wirtz se fait volontiers coller à la peau, par ses détracteurs, l'étiquette de multirécidiviste de la faillite. L'homme connaît la chanson et se déclare droit dans ses bottes : « À l'exception d'une société plutôt poussiéreuse, je n'ai pas perdu un seul client », explique-t-il. L'ancien éditeur ne s'est tout de même pas fait que des amis sur la place. À commencer par un des ses anciens associés chez PWP, qui l'accuse notamment d'avoir détourné une partie du patrimoine de PWP et de Jobs au profit de ICM. 

Comme l'indiquait récemment Paper Jam, une plainte pour abus de biens sociaux a été déposée en décembre contre Pol Wirtz, un de ses associés ainsi que le comptable de PWP. Un mois après l'arrivée de cette plainte sur le bureau du Procureur, le parquet ouvrait une enquête préliminaire, en transmettant le dossier à la police judiciaire. C'est un début, même si à ce jour, aucune audition, ni des parties incriminées ni du plaignant, n'est encore intervenue. Nul ne sait ce qui adviendra de la plainte dans un système judiciaire au bord de l'asphyxie et des enquêteurs qui manquent singulièrement de pugnacité. L'espoir pourrait plutôt venir du curateur des trois faillites, l'avocat Pierre Feltgen qui devrait faire la lumière sur ces défaillances en tir groupé, avec les moyens du bord. La chute des maisons PWP, Jobs et ICM, selon la version officielle, est attribuée aux malversations du comptable de la société de recrutement, qui officiait également dans les deux autres sociétés. Accroc au jeu, l'indélicat a puisé pendant au moins cinq ans dans la caisse du groupe pour aller aussitôt jouer le fruit de ses rapines dans les casinos allemands. Dans sa lettre de démission en novembre 2002, après que son forfait eut été découvert, l'inconvenant s'est montré incapable de mettre des chiffres derrière son larcin. 

Le curateur lui-même n'aura peut être pas les ressources, ni le temps nécessaire, pour dresser un inventaire exhaustif. Un audit de tous les flux financiers des sociétés serait nécessaire pour retracer les fonds qui ont pu être détournés par le comptable. Or, un tel travail se chiffre en dizaine de milliers d'euros, plus sans doute que Pierre Feltgen pourra espérer récupérer dans la réalisation des actifs des trois faillies. Du reste, dans l'hypothèse où ce dernier découvre un cadavre dans le placard et transmette un dossier à la justice, les doutes sont permis sur les moyens à la disposition de l'appareil judiciaire pour percer les derniers mystères de ces déconfitures à répétition et dire si seul le comptable en porte la seule responsabilité.

Pierre Feltgen considère, pour sa part, la version officielle qui fait porter le chapeau au comptable ainsi qu'à l'ancien partenaire de Wirtz dans PWP peu vraisemblable : « Ni les malversations du comptable, ni le litige entre les associés ne peuvent expliquer les faillites ; il y a sûrement un troisième facteur et même un quatrième, » souligne-t-il. 

Le rétrécissement du marché publicitaire, la méfiance des annonceurs, qui comptent leurs sous au plus près et se montrent exigeants sur la qualité des supports et intransigeants sur les chiffres de leur diffusion payante, ne sont probablement pas étrangers à la chute de la maison ICM. La presse économique fait le dos rond partout en Europe en attendant les jours meilleurs : licenciements de journalistes, pagination réduite, voire même rythme de parution allongé. Le Luxembourg n'échappe pas au phénomène. Certains grands titres étrangers, qui publiaient régulièrement des suppléments consacrés au Grand-Duché en faisant ainsi tomber le jackpot publicitaire, ont dû cette année renoncer à la tradition, faute d'annonceurs suffisants. Assurément, la récession n'épargne plus personne.

 

Véronique Poujol
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