édito

Réveil Snooze

d'Lëtzebuerger Land du 14.01.2022

C’est ce qu’on appelle une petite contradiction : Le gouvernement luxembourgeois continue à encenser la « finance verte » tout en déposant plainte contre la taxonomie qui la sous-tend. En classant le nucléaire et le gaz comme « technologies de transition », la Commission européenne a fini par totalement estomper les contours (déjà flous) de la finance « verte ». Si le gouvernement luxembourgeois se prenait au sérieux, il ferait pression là où ça compte : sur la place financière. Or, cette option reste du domaine du politiquement impensable. L’Association luxembourgeoise des fonds d’investissement (Alfi) préfère « ne pas prendre position » sur la taxonomie : la question serait « politique ». L’industrie des fonds adore disserter sur la finance durable, sauf lorsque les choses deviennent concrètes. C’est à ces moments que sa position apparaît pour ce qu’elle est : conservatrice et attentiste. Le lobby se satisfait du plus petit dénominateur commun.

La Frankfurter Allgemeine rappelait récemment l’impuissance de la Bafin. Même si le superviseur financier allemand voulait imposer des critères plus stricts, ses mains seraient liées, puisque la moitié des fonds allemands sont distribués depuis le Grand-Duché. Et de conclure : « Es ist fraglich ob die Luxemburger Behörden ihren Fondsstandort durch härtere Auflagen nun schwächen wollen ». Or, l’hypothèse inverse pourrait également se défendre : En s’affichant plus strict, le Luxembourg gagnerait en crédibilité et s’assurerait un avantage compétitif sur ses concurrentes, qui, toutes, se revendiquent « green ». Voilà une vraie « révolution copernicienne », à la hauteur des enjeux climatiques. Mais, dès novembre, l’ancien ministre des Finances, Pierre Gramegna (DP), avait donné le mot d’ordre : Le Grand-Duché ne serait pas un pays « wat lauter rout Linnen huet an negativ wëll opfalen ». Vert pâle, vert foncé, peu importe, tant que ces flux continuent à transiter par la juridiction luxembourgeoise.

Tout et n’importe quoi passe actuellement pour « vert ». Une multinationale pétrolière peut ainsi se référer à ses bonnes pratiques de sécurité et de santé sur ses plateformes offshore pour revendiquer l’étiquette vert-pâle. Or, la pression sur les fonds luxembourgeois monte. Elle provient d’abord des grands investisseurs institutionnels, dont certains analysent dans le moindre détail les portefeuilles et n’hésitent pas à mobiliser leur pouvoir de négociation. Les labels « climate finance » et « ESG » distribués par Luxflag excluent l’énergie atomique, du moins pour l’instant. (La nouvelle taxonomie aura-t-elle un impact sur les critères d’exclusion ? Luxflag n’a pas donné suite à nos questions.) Cet étiquetage pourrait rassurer les petits investisseurs privés, en crise de confiance. Or, Luxflag est une association publique-privée, dont les lobbies financiers sont les membres fondateurs et qui est présidée par l’ex-cheffe de l’Alfi. Un conflit d’intérêts latent qui dessert sa crédibilité.

Reste la CSSF, censée protéger les investisseurs, notamment contre les tentatives d’écoblanchiment. La finance durable serait « une des réglementations les plus importantes qui soient », assure le superviseur. Après la fraude fiscale et le blanchiment, le greenwashing se profile comme une des principales menaces pour la réputation de la place financière. (Sans parler du risque systémique que font peser les « stranded assets ».) Alors que la taxonomie européenne ne sera pas d’une grande aide pour orienter les investisseurs, la CSSF devra au minimum imposer un maximum de « sustainable financial disclosure ». Faute de bases légales, qui se mettront en place d’ici 2023, elle a jusqu’ici privilégié une approche soft, sommant les entités surveillées à mieux se préparer aux exigences à venir, au lieu de les « critiquer ou freiner ». Mais en août dernier, le directeur général de la CSSF, Claude Marx, assurait ne pas fixer des exigences nationales complémentaires par rapport à celles décidées au niveau européen. La place financière n’apparaît pas exactement comme « first mover ». C’est l’impératif amoral du « level-playing-field-über-alles » qui prime.

Bernard Thomas
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