Stranded assets : La Ville de Luxembourg rénove ses parkings

Les Casemates du XXIe siècle

d'Lëtzebuerger Land vom 30.08.2019

Taux d’occupation La plupart des parkings de la Ville sont à moitié vides. Le 8 juillet, l’échevin de la Mobilité, Patrick Goldschmidt (DP), livrait au conseil communal les chiffres nus. Même aux heures de bureau, le Parking du Royal Hamilius n’atteint qu’un taux d’occupation de 26 pour cent. L’auto-proclamée « ultimate downtown experience » vient d’ailleurs de baisser ses prix, les alignant sur ceux des autres parkings du centre-ville. Le Parking Monterey n’est, quant à lui, rempli qu’à 62 pour cent. Dans le quartier de la Gare, le Parking du Fort Wedell est occupé à 51 pour cent, le Parking Nobilis à 65. En périphérie également, l’offre peine à trouver la demande : sept pour cent au Parking Place de l’Europe, 23 pour cent au Park & Ride du Stade, route d’Arlon.

Et encore, ces chiffres décrivent la situation aux heures de pointe, entre 9 et 16 heures. Considérés sur toute la journée, ces taux tombent partout en-dessous de la barre des cinquante pour cent. Quant aux petits parkings à Bonnevoie et au Limpertsberg, ils seraient « peu visités », « quasiment vides », estime Patrick Goldschmidt. Et cela malgré les prix « relativement sociaux » des abonnements réservés aux riverains. Les deux seuls parkings affichant régulièrement complets sont ceux de la Place du Théâtre et du Knuedler.

À chaque fois qu’un magasin multimarques ferme au centre-ville, la prétendue pénurie de parkings est mise en vitrine par les commerçants. Mais les statistiques pour les samedis donnent à voir une image plus nuancée : le Monterey est vide à 80 pour cent, le Royal Hamilius à 86 pour cent, le Rond-Point Schumann à 88 pour cent, la Place de l’Europe à 94 pour cent. De l’autre côté du pont Adolphe, sur la Place des Martyrs, le taux de vacance dépasse les 94 pour cent.

Plutôt que géographique, la distance est d’abord un facteur psychologique : « Quand j’explique aux commerçants que dans le quartier de la Gare des parkings sont vides, on me répond : ‘Nos clients ne vont pas à la Gare.’ » Goldschmidt craint que les plaintes des commerçants ne se transforment en prophétie auto-réalisatrice : « Plus ils tapent sur les parkings, plus les gens à travers le pays vont se dire qu’il est impossible de se garer en Ville… »

L’échevin espère que les jeunes et les expatriés, qu’il pense être moins obsédés par la voiture, finissent par imposer une nouvelle culture de la mobilité. « Mais, ajoute-t-il, je ne veux pas envoyer le message que la Ville ne doive plus être accessible en voiture. » Goldschmidt dit en effet vouloir lutter contre les voitures occupant durant toute la journée une place dans un parking communal profitant ainsi des tarifs relativement bas (deux euros l’heure, contre six à Amsterdam, par exemple). Il veut favoriser le parking de courte durée, lié aux courses en Ville.

Le directeur d’Indigo Park, Gérard Jeitz (qui dans la vie civile est conseiller communal LSAP à Rumelange), relativise une partie des taux d’occupation médiocres. Sur les 1 300 places du Parking Place de l’Europe – cinq étages souterrains entièrement financés par le Fonds Kirchberg – 900 seraient pris en abonnement par des banques, ministères et institutions européennes. Dans le Park & Ride du Stade, la moitié des emplacements seraient réservés aux abonnés. Il y a une demande pour plus d’abonnements, estime Gérard Jeitz. Mais sa firme, qui gère douze parkings pour le compte de la Ville, respecterait les consignes politiques : favoriser le parking de courte durée.

Reconversions Une fois accomplie la grande conversion aux transports publics et à la mobilité douce, que faire de ces baleines en béton ? On pourrait tirer un parallèle avec les Casemates. Avec le démantèlement de la forteresse et la fin de l’industrie militaire en 1867, ce réseau souterrain était devenu obsolète. Or, les anciennes chambres d’artillerie trouvaient rapidement de nouveaux usages économiques : la Fabrique de champagne E. Mercier y stockait ses bouteilles, un maraîcher y cultivait des champignons. Et si les parkings seront un jour reconvertis en fermes verticales sous lampes LED ?

« Ok, c’est une question intéressante, mais elle ne s’est jamais posée, ni au conseil échevinal ni aux services, dit Patrick Goldschmidt. Pour la simple raison que la durée de vie d’un parking n’est que de trente à cinquante ans. » C’est que les parkings vieillissent mal. En partie à cause du salage des routes durant les mois d’hiver : le sel sur les pneus s’infiltre dans le béton, corrodant le métal.

Coûts publics Gérard Jeitz estime qu’une place de parking souterraine coûterait entre 35 000 et 40 000 euros à la construction. Pour la rénovation et extension du Parking Knuedler, le devis estimatif se montait à 37,4 millions d’euros. (Une rallonge budgétaire a depuis été votée.) « Pour seulement 200 places de parkings de plus, j’ai trouvé que c’était extrêmement cher, dit Goldschmidt. Si c’était à vendre, ce ne serait même pas rentable, du moins pas en emphytéose. » Pour les conseillers verts, ce fut une couleuvre à avaler. En juillet 2014, Fabiana Bartolozzi avouait ainsi qu’elle ne pouvait « que difficilement s’identifier avec le projet soumis » mais qu’en tant que membre de la fraction verte, elle devrait respecter son « engagement » en faveur de l’accord de coalition.

Les parkings à étages construits rue Fischer et rue Neipperg à la fin des années 1970 ressemblaient à des bunkers. Leur aspect crasseux et glauque en fait un décor de film idéal. Ainsi, on retrouve le Parking Neipperg comme lieu de rendez-vous clandestin aussi bien dans Doudege Wénkel que dans Bad Banks. Sa rénovation est supposée « revaloriser » un quartier en train de se muter en nouveau « business district ». Les emplacements furent mis aux « normes actuelles », c’est à dire élargis à 2,50 mètres pour accommoder les 4x4. (Le nombre de places s’en est retrouvé réduit de 800 à 678.) Enrobé d’une nouvelle structure métallique, illuminé à la manière d’un Apple Store, le silo retapé aura coûté 21 millions d’euros. De nouveau, les Verts ont dû donner leur accord, le conseiller Carlo Back évoquant « un compromis avec lequel nous pouvons vivre ». Déi Lénk s’abstenait, leur conseiller Joel Delvaux expliquant qu’« on ne pouvait pas, du jour au lendemain, tout miser sur la mobilité douce ».

Profits privés Les parkings communaux sont gérés par deux sociétés aux capitaux principalement français : Indigo Park (anciennement Vinci Park) et Parkolux (anciennement Société parking Guillaume). Elles se rémunèrent en ponctionnant cinq pour cent des bénéfices générés par les parkings publics. Indigo et Parkolux se partagent le marché, chacun gérant une douzaine de parkings dans la capitale. C’est un business lucratif. En 2018, la Société du parking de l’avenue Monterey affiche un résultat de 600 000 euros (dont 450 000 distribués aux actionnaires). La Société du parking Guillaume a engrangé 350 000 euros de bénéfices (dont 260 000 versés comme dividendes). Quant à Indigo Park, le groupe affichait un résultat de 1,7 million d’euros pour 2017.

Quasiment tous les parkings de la capitale ont été financés par la commune ou le Fonds Kirchberg. En réalité, les pouvoirs publics auraient préféré un autre modèle : celui d’un financement, d’une construction et d’une exploitation privés. En 1972, le Land évoquait le « principe libéral sain » en matière de parkings : « Die Regierung weigert sich kategorisch [...] denjenigen Leuten, die unbedingt mit ihren Autos bis dicht an das Stadtzentrum heranfahren wollen, ein verdecktes Riesensubsid zu gewähren. Die Parking-Frage soll privatwirtschaftlich gelöst werden. [...] Als öffentlicher Dienst kann dieser Sektor nicht betrachtet werden. »

Mais lors des appels d’offres, la réticence des investisseurs à avancer les fonds devenait apparente. Cette frilosité du privé face au risque aura forcé la Ville et le Fonds Kirchberg à jouer au promoteur et à engager les deniers publics dans des opérations commerciales. Seulement trois des grands parkings ont été financés par des capitaux privées : Knuedler, Monterey et Royal Hamilius. Pour ces parkings, la commune a mis à disposition le terrain, l’exploitant futur prenant en charge le financement (même s’il pouvait compter sur une subvention) et la construction.

Créée en 1977, la Société du parking Guillaume SA rassemblera autour d’un bureau d’études en ingénierie parisien une flopée d’acteurs locaux, comme le patron de Lux TP, Jean Cazzaro, ou l’historique président de l’Union commerciale, Josy Welter. En 1978, la société anonyme lance une souscription et donne priorité aux personnes qui avaient signé une réservation d’achat pour un emplacement dans le futur parking. En 2009, après trente ans d’exploitation privée, celui-ci est retombé dans la propriété de la commune. En 2028, les derniers emplacements privés au Knuedler suivront.

Le Parking Monterey était financé par la Société du parking de l’avenue Monterey (dont l’acronyme officiel est Spam SA), un dérivé de la Société du Parking Guillaume. Créée en 1994, elle présentait une constellation actionnariale similaire, à la différence près que la Spuerkeess détenait un cinquième du capital. Spam SA aura le droit d’exploiter le parking de l’avenue Montrerey jusqu’en 2031, et d’en garder l’intégralité des recettes (à moins qu’un certain seuil de rentabilité ne soit franchi, une redevance devra alors être reversée à la commune).

77 500 euros Goldschmidt est catégorique, la Ville ne mettra pas en vente des emplacements dans ses parkings, même si la demande reste forte. Selon une étude de l’Observatoire de l’habitat, les garages et places de parking souterraines étaient vendus en moyenne à 77 500 euros dans la capitale en 2017. Amplement commentée par la presse, l’annonce de vente sur athome.lu d’une place de parking au Royal Hamilius à hauteur de 210 000 euros aurait été un fake, nous assure le promoteur du projet immobilier Codic. Les 620 emplacements de parking du Royal Hamilius ne peuvent être vendus, à part ceux destinés aux futurs résidents des appartements de luxe.

La ville d’Amsterdam supprimera annuellement 1 500 places de parking, en ne renouvelant plus les permis de stationnement dans son centre historique. L’espace ainsi libéré devrait être utilisé pour élargir les trottoirs, créer des pistes cyclables et planter des arbres. En donnant le feu vert à 628 nouveaux emplacements au Royal Hamilius et à 268 stationnements supplémentaires au Knuelder, la commune incite les automobilistes à pousser jusqu’au cœur de la Ville. « Nous sommes la capitale, le siège administratif et judiciaire, tout le monde ne peut venir à vélo », expliquait récemment la bourgmestre Lydie Polfer (DP) au Land.

Stellplatzschlüssel Dans son projet de budget 2019, le conseil échevinal définit la rénovation et l’extension de parkings comme un moyen d’assurer « l’attractivité des surfaces de bureaux dans le futur ». Or, parmi les banques et institutions, les « établis » disposent d’un stock de parkings, héritage des années 1970-1990 lorsque la Ville n’imposait aucune limite. Mais également des buildings plus récents ont des réserves souterraines imposantes : les deux tours à l’entrée du Kirchberg cumulent 400 emplacements, la Chambre de commerce dispose de quelque 600 places. (Selon une estimation approximative, le quartier du Kirchberg compterait d’environ 30 000 emplacements.)

La clé du nouveau PAG de la Ville de Luxembourg a créé de nouvelles réalités, en relevant les maxima : seulement une place de stationnement est désormais accordée pour 175 mètres carrés de surface construite brute. Les communes du Speckgürtel ont flairé l’opportunité, et tentent de concurrencer la capitale par des Stellplatzschlüssel ultra-libérales, promettant des parkings à gogo. Le nouveau PAG de la commune de Hesperange fixe ainsi sa clé à cinquante mètres carrés pour certaines zones d’activités. Ce n’est que sur les terrains situés entre Howald et le Ban de Gasperich, par lesquels devra un jour passer le tram, que la clé a été portée à 125.

Mais, avec un peu d’astuce, le Stellplatzschlüssel dans la capitale est facilement déjouable. Il suffit de construire quelques auditoriums et de les mettre « gracieusement à disposition des associations […] pour l’organisation de manifestations à caractère culturel, scientifique ou philanthropique ». Car le nouveau PAG prévoit une place de stationnement par douze mètres carrés de surface exploitable de ces amphithéâtres ; ce qui explique leur pullulement au Kirchberg et au Ban de Gasperich.

Hôtel PWC Au sein des bureaux, le rationnement des places de parking a attisé les convoitises et jalousies, rendant nécessaire de nouveaux arrangements. En déménageant de Neudorf à la Cloche d’Or, Deloitte a vu le ratio parkings/employés « fortement baisser ». Le Big Four, qui loue des places de parkings supplémentaires sur la Cloche d’Or, ne souhaite pas communiquer de « détails » sur le sujet, mais assure que « tous nos collaborateurs ayant demandé une place de parking en location en ont obtenue ». La situation dans le nouveau quartier d’affaires est tendue ; d’autant plus qu’Auchan, peu enthousiaste à l’idée que ses 2 800 emplacements se fassent squatter, a fixé le tarif journalier de son parking au prix prohibitif de 49 euros.

À quelques pas de Deloitte, s’élève Crystal Park. Le siège de PWC compte 422 places de parkings pour 2 870 employés. (Le Big Four loue en outre 220 places au promoteur Flavio Becca sur un terrain vague avoisinant, en attendant que cette parcelle soit développée.) Cela pose quelques défis pour une firme dont, d’après une enquête de mobilité interne, 58,4 pour cent des employés se rendent au travail en voiture. La hiérarchie a fini par s’imposer : Les places de parking sont réservées en priorité aux directeurs et aux associés.

Dominique Laurent, ingénieur industriel de formation, est en charge de la logistique chez PWC. Il évoque la question de la mobilité comme un enjeu central pour « l’attraction et la rétention des talents » : « Les candidats expérimentés vont d’office nous demander une place de parking ». PWC aura testé toutes les pistes : application de covoiturage, promotion du télétravail, ouverture de bureaux-satellites à Oberpallen pour les employés vivant en région arlonaise et à Weiswampach pour ceux descendant tous les matins du pays de Liège. Le Big Four a même élaboré un projet pour un « centre de co-living » réservé aux jeunes recrues fraîchement sorties des universités. Or, il s’avérait qu’un tel Hôtel PWC, truffé de chambres étudiantes mesurant chacune 18 mètres carrés, ne s’accordait pas avec le PAG.

Bernard Thomas
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